Projet Iran : Une lionne et quatre guitares
La poésie se déploie à l’ombre des répressions et loin des caméras des chaînes d’information en continu. Avec Projet Iran, la bande à Tim Brady s’affaire à mettre en musique les mots de Simin Behbahani.
C’est une proposition qui intrigue, nous entraîne vers une scène méconnue, vers les arts et les lettres d’un pays qui ne fait pas les manchettes pour la pétulance de ses auteurs. Pourtant, feu Simin Behbahani a voué sa vie à l’agencement de ses strophes, à la célébration de la force des femmes, leur droit au désir, aux émotions vives. Dissidente par la force des choses, l’écrivaine n’a jamais reculé devant la peur. Toute sa vie, elle aura dénoncé l’injustice à demi-mot et avec un sourire amer dans la plume. Elle a servi de porte-voix aux autres et au péril sa liberté. « Elle critique le régime actuel et précédent, celui du Shah, toujours de façon très subtile, s’émeut Tim Brady. C’est là, c’est impossible à manquer, mais, quand même, ça passe bien d’une certaine façon. J’aime les textes de toutes sortes, parfois j’en utilise qui sont ultra ultra in your face, mais Mme Behbahani c’est complètement autre chose. C’est beaucoup plus intime, plus personnel. Le trajet et la vision politique sont là, mais c’est un petit peu en cachette. »
Le compositeur de musique de contemporaine a écrit ses partitions autour d’His Master’s Voice, texte qu’il a choisi parce qu’il est « fasciné par l’histoire de l’enregistrement », une référence directe à l’acronyme HMV et son logo avec un petit chien, un poème qui élève le gramophone au rang de Madeleine de Proust tout en évoquant des caresses lubriques dans un passage fort imagé.
Speak, ancient record, speak
Where’s that woman, master of the house
To wipe off the dust from your face
And the sorrow from your heart
Where is she to crank the handle with her soft hands
Évidemment, Tim Brady s’est offert la version traduite en anglais, c’est autour de cette dernière qu’il a façonné sa pièce. « Je ne parle pas farsi, c’est hors de mes compétences. Juste de parler les deux langues officielles du Canada, c’est exigeant, parfois! »
Échange culturel
Avec Projet Iran, un titre qui dit tout sans détour, le directeur artistique de la compagnie montréalaise Bradyworks et quelques compositeurs triés sur le volet explorent la face cachée du pays d’Hassan Rohani. Ensemble, ils posent une loupe sur un pan de la richesse artistique d’une des plus anciennes civilisations sur terre.
Deux Iraniens, deux persophones sont du spectacle : la Torontoise Parisa Sabet et Kiya Tabassian de l’Ensemble Constantinople. L’homme de la situation, pour ainsi dire, le musicien tout désigné pour mener à bien pareille initiative. Tim Brady l’avoue : ç’aurait été un sacrilège de l’oublier. « Il a déménagé au Québec à 14 ans, mais il est au moins biculturel, sinon plus. […] Lui, il joue de la musique perse traditionnelle et il a étudié la musique contemporaine. Sa pièce s’appelle Faryad et elle est vraiment très influencée par les gammes iraniennes, ce qu’on appelle les gammes arabiques ou orientales, quasiment. […] Pour moi, c’est une réussite totale. Il y a la spécificité de sa culture iranienne, mais quand même la pensée structurelle d’une musique de chambre contemporaine. C’est 50/50. »
Juliet Palmer, une Néo-Zélandaise d’origine, donne elle aussi dans la compo up tempo en s’attaquant au poème intitulé Morse – une référence au code homonyme. Jennifer Butler, elle, va complètement ailleurs et s’offre une plongée en eau douce. La compositrice Britanno-Colombienne sombre dans un tout univers apaisant, zen et presque méditatif pendant 11 minutes alors que Laurie Radford (une Albertaine) mise tout sur l’élégance. « Elle nous traite avec la même subtilité et finition qu’un quatuor à cordes très sophistiqué », résume Tim Brady, architecte du son, figure proéminente de la musique de création canadienne et guitariste de son état. Il alliera ses forces à celles les trois autres interprètes du groupe Instruments of Happiness : Jonathan Barriault, Simon Duchesne et Francis Brunet-Turcotte. La mezzo-soprano Marie-Annick Béliveau, chanteuse dont on le chef du clan vante souplesse et l’ouverture, une vocaliste bien en vue sur la scène contemporaine, complète l’alignement. « Elle a une formation classique, elle chante des opéras, tout ça, mais elle peut aussi chanter avec un type d’intonation ou une projection plus jazz, plus musique du monde. Elle n’est pas liée à la sonorité dite classique. »
Toronto, Montréal, puis Québec. Dans la Vieille Capitale, l’hommage à celle qu’on surnomme la lionne d’Iran sera conjointement présenté par le Mois de la poésie et E27, un organisme qui tend la main à tous les publics, un diffuseur de musiques nouvelles dirigé par Pierre-Olivier Roy. Programmer ce concert ne viendrait-il pas avec une prise de position politique, disons, intrinsèque? « D’une certaine façon. En tout cas, c’est ce qui m’a plus avec la proposition de Bradyworkds. Justement, on essaie de favoriser la diversité dans l’art, on essaie de piger ailleurs dans les inspirations, la poésie, tout ça. […] On n’a pas un désir de faire de l’éclat, mais juste de démontrer une certaine pluralité des représentations dans notre paysage. Ça existe déjà dans la communauté et on essaie de l’amener sur les scènes. »
27 mars à la Sala Rossa (Montréal)
29 mars au Palais Montcalm (Québec)