Fria Moeras : Fille d’aujourd’hui
Elle foule les scènes avec fougue et résiste à la mélancolie en créant une musique drôle, peu banale, à son image. Fria Moeras n’entre pas dans le moule.
On l’a vue en première partie de Violett Pi, au Festival OFF l’été dernier, au dernier Show de la rentrée (hivernale) de l’Université Laval alors qu’elle n’était même pas encore admissible au bac. Nouvellement locataire au Pantoum, dans un local qu’elle partage avec Victime et Le Charme, la musicienne s’est taillé une place qui ne demandait qu’à être comblée. Comme un garçon, c’est d’ailleurs le titre de travail de son second documentaire en chantier, la vidéaste en devenir sévit aussi comme technicienne de scène au Centre Vidéotron à temps partiel. Fria Moeras défonce les barrières. Au crépuscule de la dizaine, elle a déjà l’étoffe de ceux et celles qu’on vous présente dans Voir, déjà l’assurance et la détente des plus vieux routiers. «S’aimer et se faire confiance… C’est tellement quelque chose que je trouve important. J’ai 19 ans, OK, et je lance un EP dans pas long. Y a tellement de monde qui me disent: “Hein?! Moi à ton âge, je ferais pas ça, je serais jamais capable, j’ai pas ce que ça prend.” Moi je leur dis: “Mais ça te tenterait-tu?” Et là, ils me répondent que oui. Ben là, je leur dis: “Fais-toi confiance et tu peux le faire.” T’sais, qu’est-ce qui les empêche?»
C’est un démo, Le vent souffle malade, une chanson téléversée subtilement sur la plateforme Bandcamp, qui nous l’a révélée en janvier 2017. Cette pièce, elle la reprend justement dans son premier maxi. Elle l’a parée de violons, enrichie d’arrangements de cordes de son ami Louis-Solem Pérot. «Y a des bouts où j’ai l’impression d’être dans Mulan. Ça rajoute vraiment une intensité, c’est beau, là. Ça fait princesse badass.» Tendres, touchantes, inhabituelles, les paroles de ce morceau évoquent presque imperceptiblement la dépendance à la nicotine de son père Eric, celui qui coréalise par ailleurs cette offrande initiatique avec elle. Pas spécialement le genre de thème auquel on s’attend pour une jeune dame à l’orée de la majorité… C’est que, voyez-vous, Fria Moeras ne donne pas trop dans la complainte folk typique, dans la mise en mots de ses peines d’amour. «J’ai toujours été une fille qui est assez indépendante en amour et dès que quelque chose de plus triste m’arrive, je me dis: “So what? J’ai une vie à continuer!” Je priorise pas l’amour dans ma vie même si c’est l’fun. Ça rend content, c’est doux, c’est nice. J’écris pas de tounes d’amour, non plus, parce que je veux pas être connectée à cette personne-là chaque fois que je change [de chum]. […] J’ai été élevée de même. Mes parents m’ont toujours dit: “Si t’es pas capable de vivre sans un gars, ça va pas bien.” »
Comblée par la musique et ce métier de documentariste qu’elle s’affaire actuellement à apprendre au Cégep de Rivière-du-Loup, l’auteure-compositrice-interprète chante pour celles qui se refusent aux chagrins sempiternels, se choisissent et se font passer en premier.
Tête d’affiche
Quand elle prend la plume, Fria est en connexion directe avec son subconscient. Elle privilégie l’écriture automatique, tout sort d’un jet et dans l’urgence. Louise, par exemple, semble faire allusion au harcèlement sexuel, à ces femmes ou à ces filles qui, seules dans la nuit noire, marchent les poings serrés avec le trousseau de clés prêt à se diviser entre les jointures. Pourtant, ce n’était pas son idée de départ. «Pour vrai, Louise c’est une patronne que j’ai eue quand je travaillais au Lapin Sauté. Elle va se reconnaître en lisant ça, c’est sûr! J’ai vraiment juste gardé son nom. Quand je l’ai rencontrée la première fois, cette madame-là me faisait peur et me stressait. Elle avait quand même un visage sévère, elle avait l’air comme vraiment sérieuse, mais c’est en fait une madame super gentille. Sur le coup, elle était vraiment autoritaire.»
Cet emploi d’hôtesse dans le Petit Champlain, cette impression d’être figurante dans une reconstitution historique quelconque, s’est avéré lyriquement fertile. C’est en regardant tout ce beau monde passer, les croisiéristes comme les groupes de Coréens et les rares locaux aux airs romantiques, qu’elle a trouvé l’un de ses meilleurs filons. «Cet été-là, j’ai écrit beaucoup de tounes sur les départs parce que j’entendais tout le temps les bateaux partir. J’en ai écrit une qui s’appelle Alas K. Ça parle pas de bateau, ça parle d’avion, mais l’idée est venue de là. Ça parle d’aviation et de tempêtes. »
Ancrée dans le bitume, fière représentante de La Cité et de Limoilou, Fria Moeras chante la vie, la vraie, celle qui subsiste malgré les troupeaux de selfie sticks dans le Croissant du Vieux-Port. Elle se réapproprie l’arrondissement historique, façonne la ville à son goût. Ouvrez l’œil: vous reverrez (souvent) ce nom sur les poteaux de téléphone et les lampadaires des quartiers centraux. On vous en passe un papier.
La peur des animaux (EP)
Indépendant
Disponible le 9 avril
12 avril
au District Saint-Joseph
(Dans le cadre des Apéros FEQ)