Juliette Armanet : «La musique rend la vie cinématographique»
Après quelques jours à découvrir le parc de la Mauricie, la chanteuse française était en concert à Montréal le 14 juin dernier dans le cadre des Francofolies. Avec sa présence scénique époustouflante et une énergie débordante, elle a offert une prestation rythmée et sans faute.
Si on regrette un peu son manque de renouvellement et de spontanéité – le concert était exactement identique à ses précédents, à la blague près -, on a découvert une Juliette Armanet très touchante dans sa rencontre avec le public montréalais. Le concert s’est ponctué de plusieurs larmes pleines d’émotion de la part de la chanteuse, qu’on sentait très fébrile et sincèrement reconnaissante.
On l’a rencontrée, quelques heures avant qu’elle n’enfile son complet pailleté pour monter sur la scène de l’Astral…
VOIR: Tu chantes et composes depuis toujours, tu parles de ce premier album comme d’un «besoin vital»… Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de te lancer?
Juliette Armanet: J’ai l’impression que ça c’est fait comme ça. Je me suis laissée le temps de trouver mon son, ma patte, et de trouver le courage d’assumer, de sortir de la pudeur. Peut-être aussi que j’étais pas assez mûre avant… Je me suis laissé un peu porter. J’ai attendu de sentir une vraie nécessité pour moi que ça vive. Et j’ai rencontré à ce moment-là la bonne personne, qui m’a aidée à aller au bout du disque et à prendre confiance en moi. Mais je ne regrette pas d’avoir attendu toutes ces années. Plus jeune, j’aurais été trop fragile.
Tu n’as jamais chanté en anglais, au contraire de beaucoup de tes compatriotes…
Je me suis jamais posé la question de chanter dans une autre langue. Ce qui m’amuse, c’est d’écrire en français. C’est ce que je maîtrise, ce que je trouve le plus amusant.
C’est qui, tes inspirations musicales?
Prince, Stevie Wonder, Michel Berger, Barbara, que j’aime particulièrement… Y’a aussi Debussy, que j’écoute très régulièrement. Sinon, j’ai chanté du Michel Legrand récemment et je me suis replongée dedans. Voir Les Parapluies de Cherbourg m’a fait un choc incroyable. J’ai trouvé ce film déchirant et splendide.
Le cinéma m’inspire aussi. Parce que la musique, c’est du cinéma, elle rend la vie cinématographique. Quand on écoute une chanson dans la rue, comme aujourd’hui sous la pluie, on se projette dans une histoire. Musique et cinéma se répondent très bien.
La littérature m’inspire aussi beaucoup, comme la radio; j’adore le bruit des voix, leur son, leur musique…
Presque toutes tes chansons parlent d’amour. C’est le seul sujet qui t’inspire?
Je crois que je peux difficilement parler d’autre chose. C’est très naturel pour moi de parler du sentiment amoureux dans tous ses états. C’est quelque chose qui m’est très familier, qui m’intrigue, qui me passionne. Tomber amoureux, désespérer, être jaloux, être dépendant, indépendant aussi… Ce sont des états que je trouve très puissants. Et c’est universel!
Ça ajoute aussi à ton univers tout en légèreté, un peu naïf…
J’ai pas l’impression de créer un personnage, il y a pas de posture. Au contraire, je propose des chansons extrêmement intimes. C’est très viscéral. Je ne mets pas de barrière particulière, je suis à la ville comme à la scène.
Après, c’est sûr qu’il y a une esthétique, et faut s’amuser aussi d’être dans le spectacle quand on est sur scène. Il y a aussi une notion de divertissement que j’assume complètement.
En parlant d’esthétique, tu aimes aussi travailler l’image, tout comme la musique.
J’adore ce volet-là, je trouve ça marrant de se projeter, d’imaginer… L’esthétique me passionne. C’est une clé de lecture très importante pour comprendre la musique. On n’écoute pas une chanson de la même façon quand on a un visuel en noir et blanc à la Barbara ou quand on a une photo avec des jabots, des cheveux frisés et du violet comme Prince! C’est une façon de donner une information sur l’identité.
Auteure, compositrice, interprète, ancienne réalisatrice, passée par le cinéma aussi… Tu as d’autres passions ou talents cachés?
J’adore aussi lire et écouter la radio. Sinon, je dessine absolument piteusement et je cuisine assez mal!
Dans la presse française, on te compare souvent à Véronique Sanson, Michel Berger ou Alain Souchon. T’en dis quoi?
Je suis très flattée d’être comparée à Véronique Sanson, mais je suis très étonnée: j’ai jamais écouté du Sanson! Pour Souchon ou Berger, je suis contente car ce sont des artistes que je vénère. Souchon est un immense parolier et musicien, qui sous des allures très humbles a des mélodies et des textes éblouissants. C’est donc plutôt flatteur d’être dans cet héritage-là des grands chanteurs français.
Certains médias parlent même de toi comme de «la nouvelle chanson française»…
C’est un mouvement un peu général. Il y a eu des années creuses, car les idoles françaises ont été un peu écrasantes pour les générations d’après. C’était un peu dur de couper le cordon avec Gainsbourg, etc. – ce qu’on n’a d’ailleurs pas vraiment fait. Mais en ce moment il y a plein d’artistes français supers – L’Impératrice, Clara Luciani, Eddy de Pretto… Y’a un renouveau général de la chanson française, c’est une super génération. Je suis ravie d’en faire partie. C’est une période assez exaltante!
Et en chanson québécoise, tu t’y connais un peu?
Pas du tout! On m’a parlé de Pierre Lapointe, qui a l’air vraiment super et très drôle en plus. J’aimerais beaucoup le rencontrer. Sinon je connais Roch Voisine, comme tout le monde! (rires) Mais j’imagine qu’il y a d’autres choses à découvrir…
Maintenant que tu fais des concerts ailleurs dans la francophonie, comment se passe l’accueil à l’étranger?
En Belgique, c’était pratiquement les dates que j’ai préférées. Ici, on va voir comment ça se passe… Mais j’ai de l’espoir, j’ai l’impression que ça peut être une belle rencontre. C’est toujours super de découvrir un public qu’on connaît pas, d’être déracinée… On sait pas du tout à quoi s’attendre et je trouve ça plutôt excitant.
Ça fait quoi, de voir ses chansons voyager comme ça?
C’est des émotions assez difficiles à décrire. On s’habitue pas à entendre les gens chanter ses paroles. C’est bouleversant, ça porte. Sur scène, parfois ça me prend à la gorge. Les bons concerts, c’est pas que des bons musiciens sur scène, c’est aussi un bon public, généreux, fiévreux, qui donne. C’est un partage. Et c’est magique quand les deux se rencontrent, quand les musiciens sur scène et le public arrivent à s’emmener les uns et les autres… Ce qui n’arrive pas toujours, ou parfois de manière plus envoutante que d’autres. Il y a eu des moments cette année où je me suis dit «Là je suis en train de vivre les plus beaux moments de ma vie». Parfois j’ai vraiment été submergée. C’est génial, vraiment addictif…
Pas de nouvel album en vue?
J’ai eu une année extrêmement intense et j’ai pas eu le temps du tout de me consacrer à d’autres compositions. Mais là je commence vraiment à en avoir envie… Ça fait trois jours que je trépigne, dès qu’il y a un piano je me jette dessus tellement j’ai envie de jouer!
Je vais faire un deuxième album mais je vais le faire tranquillement. Celui-là a eu une très belle vie, et c’est bien aussi de profiter des chansons qu’on a mis tant de temps à composer. C’est beau de plonger dedans, de les laisser résonner en soi, et de pas chercher à tout prix à rentabiliser sa célébrité. Il y a un rythme. Faut vivre avec ce qu’on a écrit, sereinement, se laisser envahir simplement…
On est à une époque où les choses vont hyper vite! Mais il y a un temps de partage, un temps de retrait. C’est nécessaire pour faire des choses qui y ont du sens. C’est ce que j’essaie de faire là. Il y a eu pas mal d’enthousiasme autour de cet album, en France en tout cas, et je m’y attendais pas. J’accueille ça, en me disant que c’est peut-être la seule fois où ça arrivera! (rires)
La composition fait toujours partie de ma vie, c’est essentiel, mais pour le moment je ne me dis pas que je dois pondre un deuxième album pour surfer sur la vague. Je suis trop exigeante pour me contenter d’un album écrit dans la pression… Cet album-là, j’ai mis énormément de temps à le faire, il y a des chansons qui datent de sept ou huit ans. Donc je suis pas pressée. Une chanson ça vient de loin, ça met du temps à remonter à la surface. Faut se laisser ce temps-là…