Chet Doxas : Le jazz en colorama
Musique

Chet Doxas : Le jazz en colorama

Saxophoniste émérite, Chet Doxas explore les multiples possibilités de la synesthésie sur Rich in Symbols. Un disque qu’il illustre lui-même.

Il est le frère de Jim, le cadet d’une fratrie connue d’ouest en est pour son amour de la musique. Le jazz coule dans les veines des Doxas, ces anglos au français fluide et subtilement cassé qui rythment les scènes de Montréal de père en fils. Transplanté sur les berges de l’East River depuis trois ans, Chet vit et travaille à Brooklyn non loin du pont homonyme. C’est là, dans le quartier Dumbo, qu’il partage un local de pratique avec le guitariste Matthew Stevens et le batteur Eric Doob. Des amis, des complices précieux qui l’accompagnent souvent.

Gars de gang invétéré, le soliste se laisse contaminer par les idées de ses collègues, leurs styles respectifs. Sa musique ne connaît pas de frontières. Sur son plus récent album enregistré dans le studio du quatuor pop Metric, le jazzman s’offre des expérimentations électro (les synthés sur Starcrossings) et même une batterie galopante, caractéristique du son indie rock, sur la plage no 1. Des chansons arrangées aux côtés de Liam O’Neil, connu pour son travail au sein de Broken Social Scene, son regretté groupe The Stills et ses collaborations auprès de Kings of Leon. «C’est sûr qu’il était très hands on avec cet album, confie Doxas. Il l’a réalisé et il a beaucoup, beaucoup contribué aux idées.»

D’abord et avant tout, Rich in Symbols est une célébration de la passion du saxophoniste pour les arts visuels. C’est aussi la sortie du placard d’un synesthète. Comme Lorde et Duke Ellington, Chet Doxas est atteint de ce phénomène neurologique un peu magique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés. Dans son cas, il voit certains accords en couleurs, puis la peinture et les dessins en musique. Explications. «Il y a quatre ans, je suis allé à un musée et je commençais à entendre de la musique en regardant les œuvres. J’avais la chance d’avoir un cahier de musique dans mon sac et j’ai commencé à composer juste comme ça, à l’oreille. Les premières fois, c’était tellement fulgurant que je devais écrire très, très rapidement. C’était des affiches du mouvement Art nouveau. Après ça, je suis allé dans une autre expo et ça m’a fait la même chose devant une toile de Georgia O’Keefe. C’est là que j’ai vu que quelque chose se passait.»

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photo : Evan Shay

C’est à la suite de cette révélation qu’il détermine la ligne directrice de Rich in Symbols. Toutes les pièces lui seront inspirées par des œuvres du New York des années 1970 et 1980. Une époque marquée par le no wave, les débuts du graffiti, les balbutiements de Madonna, la fraîcheur des Talking Heads. «Toutes les scènes se mélangeaient, il y avait une telle unité dans l’art! Ça me fascine de voir comment la musique a influencé les arts visuels et vice-versa. Je suis donc allé au MoMA et au Whitney Museum et j’ai commencé à composer devant les œuvres.» C’est ainsi que naissent ses «trames sonores» pour les dessins de Keith Haring, les toiles de Jean-Michel Basquiat, les photographies de Robert Mapplethorpe, de Robert Longo et de Nan Goldin.

Jamais prisonnier des stéréotypes

Chet Doxas donne dans l’autodérision avec son le récent vidéoclip de Starcrossing, un petit film reprenant l’esthétique surannée des VHS. Trop longtemps, à cause de Kenny G et Careless Whisper de George Michael, on a associé le son du saxophone à quelque chose de quétaine. «C’est clair que c’est un clin d’œil à ça [l’ancienne réputation de mon instrument]. Je trouve juste ça tellement drôle! Mais je pense que Broken Social Scene a été très important dans la renaissance des cuivres et du saxophone. Eux autres, ils n’ont jamais utilisé les cuivres comme quelque chose de kitsch. Ça fait partie de leur son! Il y a aussi eu Midnight City de M83. J’adore cette chanson! À la fin, le solo de sax, il est juste sur la ligne. Est-ce que c’est kitsch ou est-ce que c’est cool? C’est très le fun de se poser cette question, parce que c’est les deux. Il y a quelque chose de vintage, mais aussi de tellement cool, d’un peu dangereux dans le son. On dirait que ça raconte l’histoire de quelqu’un qui fait quelque chose de pas correct à 4 heures du matin.»

Colin Stetson et le projet d’Anthony Gonzalez évoqué plus haut ont su renverser la vapeur. Mais Chet Doxas ne pousse pas la note: il sait s’effacer pour mieux servir les chansons et laisser de la place aux autres instruments. «C’est une grande leçon de vie que la musique peut nous enseigner. Je pourrais jouer un million de notes, mais sur l’album, il y a comme deux solos de saxophone. C’est tout ce que ça prenait.»

Rich in Symbols
(eOne Music)

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