Joe's Garage : Lorsqu'art et politique s'embrouillent
Musique

Joe’s Garage : Lorsqu’art et politique s’embrouillent

L’opéra rock mythique et controversé de Frank Zappa sera repris dans son intégralité par 11 musiciens de la scène locale de Québec lors du festival OFF. Un spectacle grandiose – à la mise en scène audacieuse – où rock’n’roll, sexe, religion, politique et censure régneront en maîtres.

En 1979, à la suite de la révolution, le gouvernement iranien exerce un contrôle exclusif sur les productions culturelles du pays. Dorénavant, c’est le ministère de la Culture qui autorise (ou non) les artistes à enregistrer leur disque, à donner un concert ou encore à diffuser leurs chansons. Voilà le contexte dans lequel Zappa – artiste engagé – compose Joe’s Garage, album séparé en trois actes qui raconte l’histoire de Joe, un adolescent frivole jouant de la musique rock dans son garage avec ses amis et vivant dans une société dystopique (à la 1984) où le gouvernement souhaite proscrire la musique. À travers la voix de la Centrale Scutinizer (Jean-Michel Letendre-Veilleux), un robot-ovni qui surveille chaque individu et qui les avertit des dangers de la musique, on suit le parcours de Joe (Nicolas Grynzspan) dans ses ébats amoureux, son passage en prison, sa descente aux enfers… Un récit quasi apocalyptique, toujours aussi brûlant d’actualité selon le responsable de la programmation du festival OFF, Jean-Etienne Collin-Marcoux. «Il y a le thème de la surveillance constante, du gouvernement qui essaie de rentrer dans la vie des gens et de les contrôler. La musique, c’est quelque chose d’intime pour la plupart des gens. L’idée du gouvernement ou d’une compagnie qui cherche à l’interdire pour priver certains de leurs droits, pour moi, c’est encore d’actualité, ne serait-ce qu’avec les récents scandales de l’utilisation de données confidentielles avec Facebook», dit-il.

Au-delà du message politique, ce sont avant tout les arrangements étoffés, les interminables et frénétiques solos de guitare de Zappa, la palette de styles explorés (hard rock, reggae, gospel, musique contemporaine) qui font de Joe’s Garage une œuvre aussi complexe à reproduire sur scène – encore plus dans son entièreté! –, à laquelle s’ajoute la narration de la Centrale Scutinizer et les dialogues entre musiciens et comédiens. «Il y a des chansons qui sont injouables, qui ne sont pas écrites pour être rejouées par d’autres gens après. C’est vraiment intense, il y a du stock. La section des percussions est juste ridicule. Il y a des répétitions depuis septembre-octobre uniquement pour la section rythmique», explique Jean-Etienne, qui sera l’un des deux batteurs sur la scène de la Salle Multi.

Pour la metteure en scène du spectacle, Isabelle Cormier, le défi a été de rassembler les 11 musiciens et d’avoir suffisamment de temps pour pratiquer afin de bâtir un concert cohésif, accessible au grand public. «Ça fait un peu plus d’un an que j’ai commencé à approcher le monde. Il a fallu que je me creuse la tête pour trouver des rôles, mais à la fin, j’ai une super belle équipe. Tout le monde est motivé. Tous le font parce qu’ils sont passionnés, parce qu’ils comprennent la signification et l’ampleur de l’œuvre», mentionne-t-elle, en soulignant au passage le travail acharné de Martin Teasdale (basse), de Daniel Deschênes (batterie) et d’Alexis Goulet-Bouchard (guitare), le «noyau du groupe».

Un peu moins de 40 ans après sa parution, Joe’s Garage demeure une œuvre subversive, satirique, revendicatrice d’une censure qui s’opère à l’intérieur d’instances gouvernementales qui ne «veulent pas entendre certaines choses», selon l’artiste Alexandre Martel (AnatoleMauves), qui traduira l’opéra rock de la légende du rock psychédélique. «À l’époque de Zappa, c’était beaucoup la droite qui voulait empêcher des choses d’être dites par l’entremise de l’art. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est une tranche de la gauche qui veut que l’art serve à promouvoir un programme social. Je trouve que c’est très dangereux, déplore-t-il. À mon avis, l’art ne devrait jamais servir à un programme politique et n’a pas à représenter une société idéale dans l’espoir que la société actuelle y accède un jour. On dirait que c’est ça que la gauche voit aujourd’hui: une représentation normative et parfaite en espérant que ça inspire les gens à accéder à ce mode de vie là. Je pense que c’est une mauvaise chose.»

4 juillet à 21h45
à la Salle Multi de Méduse
(Dans le cadre du Festival OFF)