Musique nomade / Nikamotan MTL : La puissance des origines
Les artistes autochtones de la relève ont bien l’intention de poursuivre le dialogue et de faire tourner la roue pour leurs prochains. Entretien avec les participants de la grande fête Nikamotan MTL – nicw.
Au studio photo, c’est un va-et-vient d’arrivées de chacun des invités du quintette. La cadette, Anachnid, est là avant nous et nous accueille avec un sourire radieux. Allan et Christian, deux frères, s’introduisent dans le plus grand calme avec des t-shirts à l’effigie de leur groupe, Violent Ground. Iskwé, confiante, sort une jolie robe colorée qu’elle portait sur scène à Ottawa il y a quelques jours, lors des célébrations de la Fête nationale. Annie Sama se change plus vite que Clark Kent dans la cabine d’essayage et en sort avec ses longues tresses et un magnifique complet.
Par un samedi soir d’été, tout ce beau monde sera sur la grande scène de la place des Festivals à Montréal pour le spectacle Nikamotan MTL – nicw, présenté dans le cadre de Présence autochtone. Il s’agit d’un grand rassemblement musical mis sur pied par Musique nomade, un organisme à but non lucratif fondé par Manon Barbeau (Wapikoni mobile) en 2011. Musique nomade encadre la relève musicale autochtone en lui offrant des outils et des ressources pour développer sa carrière. L’événement Nikamotan MTL – nicw, comme l’an dernier (nicw désigne le mot «deux» en atikamekw, puisqu’il s’agit de la deuxième édition), est un rendez-vous avec cette scène émergente et actuelle autochtone et des artistes collaborateurs issus de différentes cultures. À cette occasion, les mondes électropop du trio Chances et d’Iskwé se rencontrent, tout comme ceux d’Anachnid, artiste multidisciplinaire d’origine autochtone, et d’Annie Sama, d’origine québécoise et congolaise et qui a amorcé sa carrière musicale sous le nom APigeon.
En studio récemment pour l’enregistrement du titre Now Wow We, les deux femmes ont mis à profit le mariage de musiques contemporaines, la puissance de leurs héritages et leur désir de revendication. «J’ai écrit des paroles en espagnol pour représenter le mur qui se construit au Mexique et les enfants immigrants qui se font enlever de leurs parents, explique Anachnid. Je voulais faire quelque chose de proactif et constructif avec mes frustrations envers Trump. Puisque c’est en espagnol, les gens ne penseront pas que je parle nécessairement de mes origines, mais celles-ci peuvent s’appliquer tout autant dans ce contexte contemporain. Y a comme un cycle historique qui se régénère lorsqu’on pense à divers peuples et populations dominés. Et je pense que la meilleure façon que je peux en parler c’est à travers la musique.»
«Quand j’ai amené le beat de la chanson, je voyais totalement Anachnid là-dessus, avec sa puissance et sa belle profondeur», dit Annie Sama à propos de cette collaboration bien dansante. «J’ai voulu souligner cette énergie et cette revendication dans la musique, alors que la voix pouvait naviguer à travers des sons ancestraux. On voulait ainsi travailler avec quelque chose d’ancien, mais l’appliquer dans le futur. C’était important pour moi qu’il y ait une dénonciation dans les paroles, mais aussi un appel à nos ancêtres africains et autochtones.»
Ce mélange de passé/futur, cette communion entre les racines et des musiques contemporaines, est aussi bien présent dans le travail d’Iskwé (originaire du territoire du Traité no 1 au Manitoba) et de Violent Ground (originaires de la communauté naskapie Kawawachikamach près de Schefferville).
Ces derniers évoluent dans le monde du hip-hop. Alors qu’ils étaient encore tout jeunes – 12 et 16 ans –, Allan et Christian se sont mis à prendre goût au rap, chacun de son côté, avant de réaliser que c’était une passion commune. Aujourd’hui, ils font des concerts, ils développent leur marque et ils ont complété l’enregistrement d’un premier album ce printemps. Si la vie les a menés à sortir de leur village – Christian est maintenant à Montréal et Allan est à Sept-Îles –, c’est la vie en réserve qui les inspire toujours et ils souhaitent faire tourner la roue avec leur musique. «On veut être des inspirations pour les jeunes de notre communauté, leur faire comprendre qu’on essaie de mettre notre nation naskapie sur la mappe et qu’ils le peuvent aussi, dit l’aîné des deux frères, Allan. On espère qu’en gagnant en notoriété, on aidera des gens. Notre équipe de hockey a gagné un tournoi au moment où on finissait notre album et ça nous a vraiment donné beaucoup de fierté envers notre peuple!»
Les gars de Violent Ground se démarquent par leur honnête portrait de la dure réalité d’habiter dans la «rez» (réserve). «On dit ce qui doit être dit sur notre extrait Difference, dit Allan. C’est à propos des épreuves à traverser, les douleurs causées par toutes sortes de choses: des femmes assassinées au mercure dans notre eau, en passant par le suicide et les questions de logement.» Son cadet, Christian, poursuit: «Ça parle de tous les problèmes qu’on a au Canada, mais ça s’applique aussi au reste du monde. Notre musique est créée en pensant aux habitants de notre communauté, mais les gens à l’extérieur peuvent s’y reconnaître aussi.» Allan reprend: «On aime penser qu’on est des voix pour ceux qui n’en ont pas. Y a bien des gens qui ont des problèmes, mais qui ne se font pas entendre. La musique est un bon moyen de communication parce que c’est ouvert et disponible partout en ligne.»
Anachnid remet les choses en perspective, s’adressant aux mauvaises langues qui diront que les artistes autochtones ne font que parler de leurs problèmes: «Les gens ne peuvent pas dire: “Oh, vous autres, vous vous victimisez et vous ne faites rien pour changer les choses.” Si vous nous donnez les outils, ça va se passer! On va prendre soin de nos communautés, un pas à la fois. La colonisation a cessé il y a 22 ans seulement. Est-ce qu’on peut nous laisser une chance de nous exprimer? Laissez-nous l’espace pour faire de l’art, ne parlez pas pour nous. Et je ne parle pas que des peuples autochtones, mais d’autres minorités.»
Iskwé, qui a quelques années de carrière derrière la cravate, dit se concentrer désormais davantage sur des chansons axées sur la conscience sociale. Pour elle, il fallait que sa musique devienne une source de conversation avec son public. Nobody Knows, extrait sorti en 2015 et qui traite des femmes autochtones disparues ou assassinées, a été le point de départ d’une nouvelle voie pour la chanteuse. «T’arrives à un moment où, lorsque tu as les yeux ouverts sur quelque chose, tu ne peux plus les refermer, dit-elle. J’étais fatiguée de me sentir comme si j’étais contre un mur de briques et de ne rien faire. J’ai eu tellement de gens de l’extérieur qui disaient: “Tu n’auras jamais de carrière si tu parles de ça, personne ne veut entendre parler de femmes mortes.” Mais c’est de ça qu’on parle dans nos communautés. Nous avons des conversations avec nos jeunes filles qui grandissent sur les façons de se protéger. À Winnipeg, nous avons un service de taxi différent pour les femmes autochtones parce que nous sommes trop en danger. Pourquoi donc ne parlerais-je pas de ces réalités? Heureusement, les choses changent et les gens semblent comprendre que c’est terrible et qu’il faudrait nous écouter.»
La chanteuse manitobaine, qui a vécu un temps à Mistassini, croit qu’il y a un intérêt accru envers les artistes autochtones depuis quelques années (on pense entre autres à Tanya Tagaq, A Tribe Called Red, Jeremy Dutcher et Matiu) et elle profite de cette visibilité pour poursuivre un dialogue important. «Dans le passé, c’était très séparé. Nous, les artistes autochtones, partagions des chansons, des histoires et nous avons fait des choses géniales, mais sans la plateforme pour nous pousser vers le succès à travers les médias traditionnels. Y a eu du changement. Je pense que nous sommes dans une ère de prise de conscience. Quand vous regardez la musique pop par exemple, je trouve ça très cyclique. Nous passons de périodes où nous sommes très conscients en ce qui a trait à la musique populaire, l’art, l’activisme politique, puis les gens ont besoin de revenir à écouter quelque chose qui est facile à digérer. À l’heure actuelle, nous sommes de retour dans une époque de conscientisation, alors que nous avons des conversations sur les droits des femmes, les droits des Autochtones, la représentation des femmes et les abus sexuels. Les gens sont ouverts en ce moment aux histoires des uns et des autres.»
Et on souhaite que toutes ces histoires voyagent et résonnent sur les scènes.
Nikamotan MTL – nicw
avec Iskwé, Chances, Anachnid, Annie Sama, Violent Ground et plus
Le 11 août à la Place des festivals
dans le cadre de Présence autochtone