Philippe Gagné : Sous les nuages
Musique

Philippe Gagné : Sous les nuages

Une instrumentation world sans tomber dans le piège de l’exotisme, des trésors collectés en voyage qu’il incorpore à ses compositions inclassables, si personnelles. Avec son didgeridoo fabriqué à Limoilou et son handpan, Philippe Gagné rallie toutes les nationalités.

Il vit de macadam et d’eau fraîche, meuble la cité intra-muros de ses rythmes. Depuis six ans, l’homme-orchestre gagne sa vie au détour du Vieux-Québec sous le regard émerveillé des passants. Un souvenir dans un téléphone, une vidéo postée en ligne à l’intention des amis restés à la maison, une carte postale… Souvent, Philippe Gagné est le premier et seul contact que les visiteurs auront avec la scène musicale locale. Un public éphémère et généreux. «Une fois, il y a un couple qui m’a vu jouer dans le Petit Champlain. Ils étaient censés partir le soir même et, finalement, ils sont restés deux jours de plus. Ils m’ont écrit sur Instagram “Hé! Tu joues où aujourd’hui?” et ils sont venus voir tous mes spectacles. Ils étaient vraiment, vraiment fins. Des témoignages comme ça, j’en ai peut-être à tous les jours.»

Le hic, au moment d’écrire ces quelques lignes, c’est que le règlement municipal s’est resserré. Considérablement. De nouvelles mesures qui le privent d’une des scènes où il se produisait, celle au coin des rues Saint-Jean et Saint-Stanislas, trottoir prisé des touristes et des gens en vacances, surtout à l’heure du souper. «En plus d’avoir enlevé ce lieu-là, on a diminué de moitié les heures d’utilisation de l’autre sur la même artère. Ça nous oblige à aller à la pige, parce que ça marche comme ça, et à rentrer chez nous avec tout notre stock quand il n’y a plus de place.» Philippe, pragmatique, y voit un signe. «C’est la vie qui me dit d’élargir mes horizons, de ne pas mettre tous mes œufs dans le même panier.»

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photo Arnaud Vaillancourt

Hors du circuit traditionnel depuis une demi-douzaine d’étés, il s’apprête à suivre les pas de Jérôme 50, son grand ami et collègue, recrue récente de Dare to Care, en préparant un disque de chansons. Sa musique, habituellement confinée aux rencontres fortuites ou à ses concerts au Monastère des Augustines (en duo avec un joueur de bol tibétain), résonnera enfin au-delà des pavés et des temples – dans les festivals (on lui souhaite), les bars-spectacles et les bureaux d’une maison de disques qui, avec un peu de chance, désirera le signer. Il amorce un changement de cycle, une coupure avec ses deux autres offrandes discrètement téléversées sur Bandcamp: Somnium│Tempus│Insomnium (2016) et A Whale and a Church, sortie à l’hiver 2017. «Ça, c’était relax, dreamy comme on dit, sauf que là, j’essaie de sortir de ce créneau-là parce qu’à la base, moi, ce que j’aime, c’est chanter et faire de la musique reggae soul. On dirait que dans les dernières années, j’étais plus dans un mood de méditation.» Bien qu’introspectives et propices à la détente (Gagné est souvent engagé par des spas), ses pièces antérieures, même celles ponctuées de chants grégoriens, ne se conjuguent à aucun dogme. Il insiste. Une sorte d’aura holistique ou new age colle aux parois du handpan, coupelles d’acier assemblées l’une sur l’autre, invention encore toute jeune, hybride sonore entre cloche et harpe, mais le musicien s’en dissocie froidement, esquivant tout quiproquo. «Pour moi, c’est vraiment juste un instrument.»

À cheval entre électronique et organique, une formule qu’on lui pique, le soliste jongle avec le chant, la guitare électrique (malgré son atrophie musculaire à la main), le pedal board, l’harmonica, le didgeridoo, le handpan et l’échantillonneur qui lui confère ce don d’ubiquité, le pouvoir de se multiplier. À l’ombre des chemins qui ont également reçu un Hubert Lenoir d’entre The Seasons et la gloire, Philippe Gagné fignole son style en s’inspirant du vocaliste américain Bobby McFerrin et du glorieux Bob Marley. Un filon peu exploité dans la langue de Félix depuis la fin des années 1970. «Je trouve qu’il n’y a pas vraiment de bon reggae soul en français. Serge Gainsbourg et Claude Dubois sont pas mal les seuls à avoir fait quelque chose dans cette vibe-là et ça date. Je dis ça, j’ai fait de la recherche, mais peut-être pas au point de trouver les bands qui en font. Chose certaine, je compose en français ces temps-ci, en anglais encore un peu aussi, mais j’essaie de m’immiscer dans l’univers de la chanson francophone.»

Un album qui devrait voir le jour d’ici à la fin de 2018, une nouvelle saison dans sa carrière prête à fleurir au moyen de ses réserves de chlorophylle. C’est en automne que le soleil brillera enfin pour Philippe Gagné.