Jain: L’été de ses onze ans
Jain remet le cap sur les Émirats arabes unis de sa préadolescence et joue la carte de l’exotisme sur cette deuxième offrande attendue de pied ferme.
Jain (née Jeanne Galice) n’a que faire des sauts en tandem, c’est en solo qu’elle déploie son parachute, s’élance sur ses pistes. Héritière de la French Touch, indiscutablement inspirée par le dernier Cassius, la beatmakeuse s’inscrit dans un courant dominé par les hommes et pave la voie pour celles qui suivront. Sa pop dépaysante a charmé Sony et le vidéoclip pour son hommage vitaminé à Miriam Makeba a résonné jusqu’aux Grammy Awards. La barre était haute, mais la Toulousaine s’y accroche sans trop de mal en esquissant même quelques petites pirouettes au passage. Le défi du second album, comme on dit. C’était bien réel dans son cas.
Souldier est un voyage, dix cartes postales acheminées des Caraïbes, mais surtout des Émirats arabes unis. Des sonorités arabisantes qui ne s’étaient pas fait entendre dans le vaste monde de la variété française depuis, peut-être, l’avènement d’Un, deux, trois Soleils à la fin des années 1990. Il était temps. “C’est une musique que j’ai pas du tout mise en avant dans le premier album et, en fait, j’ai vécu pendant trois ans à Dubaï et pendant un an à Abou Dabi. Là-bas, il y avait beaucoup de musique indienne, beaucoup de musique arabisante et je me suis aperçu qu’il n’y en avait pas tellement dans la musique actuelle. Du coup, j’avais envie de le remettre un peu de l’avant, mais à ma manière, quoi.” Un héritage culturel hors normes qui s’entend dès les premières notes d’Abu Dhabi avec ce violon luxuriant, ce “son du désert” qu’elle évoque moult fois dans le texte avec la pétulance de celles qui ne craignent pas le spectre de la réappropriation culturelle.
Les déracinements font partie de l’ADN de cette Française qui a vécu au Moyen-Orient de 9 à 12 ans puis sur le continent africain, toujours avec ses parents, pendant une partie de son adolescence. Forcément, sa musique allait porter l’étampe de son passeport. “Tous les styles se sont exportés. Que ce soit le blues qui vient d’Afrique et qui est allé aux États-Unis, la pop qui vient d’Angleterre et qui ensuite est allée aux États-Unis ou l’électro qui vient de Chicago et qui après est allé en France… La musique a toujours été une réappropriation culturelle. Sinon il n’y en aurait pas eu! C’est un peu faux de dire qu’on se réapproprie quelque chose parce que la musique s’est créée comme ça, dans les voyages. Je pense que ce qui serait une réappropriation culturelle serait vraiment de faire, je sais pas, que de la musique purement africaine, mais ce n’est pas ça que je fais. J’essaie de mélanger avec l’électro, la musique orientale. Puis, à partir du moment où ça fait partie de notre histoire, ce n’est pas de la réappropriation culturelle.”
Inspectrice gadget
Sur scène, Jain est seule au front. Elle s’accompagne de bandes qu’elle enregistre sous nos yeux, des segments qu’elle actionne tout en chantant, tissant une courtepointe aussi complexe qu’envoûtante. Des chœurs de clones, de la batterie, de la guitare… Des arrangements que la musicienne ponctue de pauses éducatives, des explications ludiques et interactives qu’elle ramène pour ce nouveau cycle. Un cours d’échantillonneur 101. “Les gens, déjà, parfois, pensent que ce n’est pas un instrument alors que ça en est un. Il y a des gens qui pensent que j’envoie juste un truc et que je le laisse défiler et que je pose juste ma voix par dessus… Mais c’est un vrai instrument! Il faut appuyer au bon moment pour les accords, il faut rien oublier parce que sinon ça sonne faux. On va dire que c’est un instrument du 21e siècle.”
Ragaillardie par un dispositif simplifié, un bracelet futuriste connecté au wifi, la musicienne ne se cache plus derrière sa table des machines. La danse est au coeur de ses spectacles. “Je peux contrôler à distance toutes mes boucles et, donc, les envoyer de n’importe où sur la scène. Je ne suis plus obligée d’être figée.” Un accessoire qui lui confère des airs d’Inspecteur Gadget, personnage homonyme de l’émission jeunesse dont elle reprend le générique d’ouverture sur la 5e plage de ce nouvel album. Du coup, Inspecta fait office de Madeleine de Proust pour tous ceux qui ont grandi avec Canal Famille. “C’est surtout que j’avais envie de faire une chanson hip-hop parce que j’en ai beaucoup écouté. Je me suis dit que ce serait bien de reprendre la culture hip-hop un peu à l’ancienne où on prend un sample de quelque chose qu’on connaît et qu’on détourne complètement pour faire une autre chanson. Tout est parti de là en fait. Cette envie de prendre quelque chose de fédérateur et de créer une autre chanson dans la chanson.”
“Tu veux être une star, mais tu ne supportes pas la lumière.”
Reconnue des deux côtés de la marre, passage à TLMEP oblige, la timide Jain en est à faire le deuil de son anonymat. Un paradoxe pour cette bête de scène qui éclabousse tout le monde de ses rythmes, qui se trémousse comme si sa vie n’allait pas connaître de lendemain. Un contraste, presque une double personnalité, qui lui inspire les paroles de Star – celles librement traduites en surtitre. “Je me moque de moi parce que c’est vrai que je suis quelqu’un de plutôt introverti. J’aime pas beaucoup passer à la télé, c’est pas trop mon truc, quoi. Mais en même temps, je veux être sur scène, toute seule devant des gens et faire écouter ma musique au plus grand nombre.”
Souldier
Disponible le 24 août (Columbia Records)
En spectacle:
Jeudi 25 octobre au Zénith de St-Eustache
Vendredi 26 octobre à l’Impérial Bell (Québec)
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