Les Louanges : Lancer les dés
Musique

Les Louanges : Lancer les dés

Vincent Roberge donne dans le jazz à ascendance rap – ou serait-ce le contraire? –, tapisse ses compositions de guitares basses funk, de chant R&B. Une proposition extrêmement riche et impossible à étiqueter, possiblement le meilleur disque québécois de la rentrée.

Rendez-vous rue Masson, un grand bâtiment bleu et blanc, des entrepôts d’une redoutable discrétion. C’est là, entre des locaux d’ébénisterie et ceux de deux ou trois traiteurs, que celui qu’on appelle Les Louanges s’est affairé à enregistrer ses compositions. Un studio autour duquel gravite notamment Félix Petit (Oblique), coréalisateur de l’offrande et saxophoniste, de même qu’un certain Jérôme Beaulieu, un pianiste de renom, faut-il le préciser, poids lourd de la nouvelle scène jazz québécoise, qui s’est prêté à une improvisation pour les besoins de l’album. Un solo charcuté, passé au scalpel, qu’on entend dans le mix final de Tercel. «On l’a fait jammer sur la toune parce que je trouvais que mes accords étaient assez simples, parce que je voulais éviter que ça sonne trop pop. […] On lui a demandé de jouer comme s’il n’y avait pas de lendemain et on a coupé 90% de ce qu’il a fait pour garder juste des petits bouts. Moi, ça me permettait de fucker un peu l’harmonie, de donner un texte différent et même de partir d’un beat trap.»

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Tercel, c’est un hommage à Lévis, c’est le retour au bercail d’un Montréalais d’adoption qui ressasse ses souvenirs. Cette dernière L2 (on dit «une bus»!) qu’on manque à la nuit tombée, le chantier Davie, la poly. Des références truculentes que seuls les vrais Rive-Sudois captent, des lignes livrées dans un phrasé hip-hop sur des rythmes syncopés. «Je suis pas tout à fait un rappeur, pas encore du moins. […] Mais, t’sais, j’ai quand même été mis sur la playlist Rap québ de Spotify. À partir de cette toune-là, j’ai aussi reçu des messages de gars en France, des gros gars qui fument des backwoods avec des chicks dans leurs clips, et ils étaient comme: “On est très chauds, on fait une collab Canada-France!” Bon, après, c’était pas Booba. C’était des up-and-coming un peu comme moi, du même niveau un peu. Je me suis aussi fait envoyer full messages du genre: “Hé! c’est qui qui fait tes prods?” Mais… c’est comme moi un peu.»

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photo : Jean-François Sauvé

Malgré des études en guitare jazz, Vincent Roberge préconise, de son propre aveu, une démarche de producteur. «Pendant un an, j’ai arrêté de jouer de la guit. J’ai joué du clavier midi et de la basse, une vieille basse toute défaite.» La charpente de ses pièces est la plupart du temps construite devant l’ordi, en solitaire, et bonifiée d’instruments de synthèse et d’échantillonnages sonores comme les roues d’un skate qui foulent l’asphalte. Chaque morceau est l’objet de réécritures, de moult réarrangements, avant d’être scellé dans le marbre. «Je ne suis pas le gars avec la meilleure puissance technique, admettons, comme instrumentiste. Mais, composer de la musique, j’ai juste fait ça en sortant de l’école. J’ai travaillé sur mon goût, si je peux dire ça comme ça.»

Manger ses croûtes

Il y a ceux qui puisent à même leurs archives personnelles, qui rescapent les chansons de leurs 18 ans en vue de leur premier album, puis il y a les musiciens qui, comme Vincent, osent faire table rase. Depuis son passage à Granby et son EP étonnamment rock enregistré au Pantoum à Québec, il s’est offert un cours en littérature à l’université, le temps d’affûter sa plume.

La nuit est une panthère se pare de paroles autobiographiques écrites dans un franglais assumé, résolument naturel et en phase avec sa parlure de tous les jours. Tercel est un clin d’œil au hood alors que Wescott, par exemple, lève le voile sur son ancienne jobine alimentaire, sa clé à molette et ses bottes à cap d’acier. «Je travaillais en technique de scène, mais comme machiniste parce que j’ai pas de formation. J’ai joué aux FrancoFolies l’été passé et j’ai monté mon propre stage. »

Sur Romains, la douzième plage, l’auteur nous amène là où on l’attendait le moins, paraphrasant au passage ce cher Éric Duhaime. Une référence à son intervention radiophonique au lendemain des viols en série aux résidences de l’Université Laval.

Barre tes portes de char
Tu veux pas qu’on te vole
Baisse un peu ta robe
Tu veux pas qu’on te […]

Vincent Roberge aurait pu se contenter d’un album instrumental; sa voix, ses mots ne sont que la cerise sur son complexe sundae. Or, tant qu’à prendre parole, il a osé, au passage, dénoncer la culture du viol. La polarisation des débats, aussi, les coups de gueule qui pullulent sur les réseaux sociaux et la propagation des positions purulentes. Et si la musique, le temps d’un disque, pouvait mettre fin au vacarme?

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La nuit est une panthère
(Bonsound)
En vente le 21 septembre

Le 20 septembre au Ministère (Montréal)
Le 22 septembre au Maelstrøm (Québec)