Wayne Kramer MC50 : Un kick sur MC5
Il y aura bientôt 50 ans que paraissait Kick Out The Jams du groupe MC5. Wayne Kramer, le leader de la mythique formation, s’est entouré d’un solide groupe pour célébrer bruyamment cet album culte.
«And right now… right now… right now it’s time to… kick out the jams, motherfuckers!». C’est ainsi que démarre la pièce titre de l’album culte du Motor City Five, suivie d’un riff assassin asséné par les deux guitaristes de la formation, le regretté (ex-mari de Patti Smith) Fred «Sonic» Smith et l’increvable as de la six cordes Wayne Kramer. Le ton est donné. Ces quelques paroles incendiaires gueulées par le (lui aussi regretté) chanteur au célèbre afro Rob Tyner et cette attaque sonique sauvage livrée par la bande de petits teigneux de Détroit ont été une véritable gifle au visage des hippies tétanisés qui n’en finissaient plus de se lover dans leur moribond Summer of Love à la fin des années 1960.
Kick Out The Jams, enregistré en public au Grande Ballroom de Détroit lors du Devil’s Night et de l’Halloween 1968 et paru en février 1969, venait violemment clore cette fin de décennie hédoniste par un constat hard-rock/proto-punk brutal. L’Amérique s’enlisait dans la boue au Vietnam, Bobby Kennedy et Martin Luther King venaient de se faire assassiner, les tensions raciales étaient vives, le chômage rampant, et Charles Manson et ses disciples allaient sous peu faire les manchettes à l’encre rouge sang… Le rêve des sweet sixties fleuris s’était transformé en cauchemar et les États-Unis allaient bientôt entrer de plain-pied dans les grises seventies.
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Ce disque, aujourd’hui culte, symbolise en huit titres le bad trip américain et fut, bien entendu, totalement incompris à sa sortie. Ce gang de Détroit, ces cinq gamins paumés issus de la classe ouvrière et ne cachant pas leur parti pris pour les idéaux révolutionnaires de gauche, faisait peur. «À Détroit, on était en quelque sorte les enfants chéris et nos fans ont grandi avec nous», se souvient Wayne Kramer rejoint à la veille d’un concert à Boston. «Mais en dehors de notre région, particulièrement sur la côte Ouest, nous étions à l’opposé de ce que faisaient la grande majorité des groupes hippies et nous avons essuyé pas mal de réprobations de leur part». Censuré, descendu en flèche par la critique – notamment celle de Lester Bangs dans Rolling Stone -, Kick Out The Jams est désormais considéré comme un album aussi mythique qu’essentiel, un disque qui jeta les bases du punk-rock et métal à venir et influença un nombre incalculable de groupes, notamment un certain Iggy Pop et ses Stooges, un autre gang de Détroit qui lui aussi n’a pas tardé à passer à l’histoire.
Le bruit et la fureur
Formés en 1964 et ayant écumé toutes les salles de Détroit et du Michigan voulant bien les accueillir, les MC5 avaient une énorme expérience de la scène mais avaient passé très peu de temps en studio quand Elektra Records leur proposa d’enregistrer un premier album. «Y’a deux raisons pour lesquelles on a choisi de faire un album en concert comme premier disque. La première est que nous n’avions presque pas d’expérience en studio et nous avions peur que cela ne devienne une longue et coûteuse aventure. L’autre raison est que ce que nous faisions de mieux était de jouer live. Nous pensions que si nous arrivions à capter ce son et cette énergie sur disque, ce serait la meilleure façon de présenter le groupe au reste du monde», précise le guitariste qui au cours de sa carrière a aussi joué en compagnie de Johnny Thunders (Gang War), Tom Morello, Was (Not Was), Pere Ubu, GG Allin en plus de tous ceux qui l’ont rejoint sur scène lors d’une des nombreuses réincarnations du MC5.
Activisme supersonique
MC5 et son controversé manager de l’époque, l’activiste, poète et fondateur des White Panthers John Sinclair, ont longtemps été associés aux groupes extrémistes de gauche, notamment les Black Panthers, ce qui leur a valu beaucoup de démêlées avec la justice et causé pas mal d’ennuis. Après toutes ces années et malgré ses 70 ans, Wayne Kramer demeure toujours très impliqué socialement et politiquement, preuve qu’on n’abdique pas avec l’âge. À l’instar du MC5, pense-t-il que plus d’artistes ou groupes devraient se politiser, particulièrement en ce moment? «Une partie de moi se dit que tout le monde devrait s’impliquer davantage, prendre plus au sérieux leurs droits et responsabilités démocratiques, et pas seulement les musiciens. Aux États-Unis, nous sommes dans ce merdier parce que les gens n’ont pas voté! Et regarde où ça nous a mené, on est désormais pris avec un misérable escroc à la Maison-Blanche; un homme qui a un mépris absolu de l’État de droit. Et je dis ça en tant qu’individu qui a passé du temps en prison. Je crois en l’État de droit, mais clairement le directeur général des États-Unis estime que la loi n’est utile que si elle lui sert à augmenter ses profits. Donc oui, les artistes doivent se mobiliser, s’impliquer, mais c’est leur choix et s’ils ne préfèrent pas, je respecte ce choix».
Mauvais buzz
L’histoire du MC5 ne s’est pas écrite qu’à coups de riffs ravageurs et de textes cinglants, c’est aussi une histoire de désillusion, de querelles, d’amertume et d’excès de toutes sortes. Wayne Kramer le révèle d’ailleurs sans pudeur dans son autobiographie The Hard Stuff. Dope, crime, the MC5 and my life of impossibilities, parue récemment aux éditions Da Capo Press. «Quand le MC5 s’est séparé en décembre 1972, il n’y avait plus de futur pour le groupe original. Nous n’avions plus d’argent, plus de soutien, on s’était mis à dos pas mal tout le monde dans la business et, là je parle pour moi, mon alcoolisme et ma dépendance à l’héroïne étaient devenus bien trop dominants dans ma vie de tous les jours, tellement que c’était impossible de mener un groupe dans cet état», admet ce fan de jazz qui a initié le reste du MC5 à John Coltrane et Sun Ra et a même joué en compagnie de Red Rodney – le trompettiste de Charlie Parker – lors de son séjour en prison. The Hard Stuff détaille en 320 pages la vie d’un type qui a flirté maintes fois avec la mort, de sa jeunesse dans les quartiers prolétaires de Détroit jusqu’à sa rédemption, en passant par le MC5, le crime et la prison. «Toute autobiographie qui n’est pas douloureuse à un certain point n’est pas une bonne autobiographie», rigole l’ex écorché vif au bout du fil. «Je pense que c’était important de dire la vérité et de prendre mes responsabilités par rapport aux terribles choix que j’ai pu faire dans ma vie. J’ai tenté de réaliser qui je suis et comment je le suis devenu. Ce fut thérapeutique et éclairant. J’ai cherché à être le plus honnête possible afin que les gens puissent comprendre l’histoire du MC5, selon ma perspective».
Demi-siècle de confitures
Cinquante ans plus tard, il semblait plus qu’essentiel de célébrer le disque phare du MC5. Wayne Kramer, leader, guitariste soliste et seul survivant de la formation hormis le batteur Dennis «Machine Gun» Thompson, a donc réuni autour de lui une poignée de musiciens au pedigree rock exemplaire. Le guitariste Kim Thayil (Soundgarden), le batteur Brendan Canty (Fugazi), le bassiste Doug Pinnick (King’s X) et le chanteur Marcus Durant (Zen Guerilla) au physique rappelant celui de Rob Tyner, font revivre le napalm du MC5 soir après soir auprès du Brother Wayne. «Quand j’ai réalisé que le 50e anniversaire de Kick Out The Jams approchait, j’étais en pleine rédaction de mon autobiographie et je me suis dit que ce ne serait pas bête de lier tout ça ensemble et de faire une tournée. J’ai proposé plusieurs fois à Dennis de me rejoindre, mais il a décliné. Puis j’ai été chanceux de trouver des frères qui sont de bons musiciens et pouvaient monter ce projet, mais qui sont surtout de bonnes personnes. Ça, c’est très important», insiste Wayne Kramer. «À l’époque, on essayait de créer de la musique avec une certaine substance, qui ne se dégraderait pas avec le temps, et je dois admettre que les chansons de ce disque ont très bien vieilli. J’ai toujours le sentiment que notre musique est tout aussi contemporaine que n’importe quoi de similaire qui peut sortir aujourd’hui. Je ne dirais pas la même chose des groupes de hippies qui nous crachaient dessus à l’époque». Et que signifie Kick Out The Jams? Au fil du temps, les membres ont donné diverses interprétations. Non, ça ne signifie pas de sacrer les confitures dehors. À ce sujet, c’est Wayne Kramer qui aura le dernier mot: «L’interprétation que je préfère est que tu peux faire la différence, tu peux changer le monde, tu peux certainement changer ta vie et ta communauté mais tu dois le faire pleinement, avec une dévotion totale. Je pense que ça véhicule un message de possibilités illimitées, d’autodétermination, de défense de ses droits et intérêts».
Lors de son passage à Montréal et comme dans toutes les nombreuses autres villes que la formation a visitées au cours de cette tournée, MC5 va jouer Kick Out The Jams dans son intégralité. «Nous faisons tout l’album dans l’ordre, plus une demi-douzaine de morceaux de nos deux autres disques», détaille Wayne Kramer. «On aime inviter des artistes locaux à venir nous rejoindre sur scène pour un ou deux morceaux. Quel hard rockeur de Montréal connais-tu qui pourrait jouer avec nous?»
Qui? Mesdames ou messieurs, l’invitation est lancée.
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MC50 (premières parties de The Breastfeeders, The Sick Things), le mardi 18 septembre au Théâtre Corona