Ouri : Dompter ses peurs
Musique

Ouri : Dompter ses peurs

Elle parle d’une voix chaude et douce, en tout point semblable à celle qu’on entend sur ses nouvelles chansons. Éloquente et affable, Ourielle Auvé alias Ouri revient sur son parcours personnel et artistique hors norme à l’occasion de la sortie de son nouveau EP.

Tu es originaire de France et tu es venue t’installer à Montréal toute jeune, à la fin de l’adolescence. Qu’est-ce qui t’a poussé à partir, d’où te venait cette attirance pour le Québec?

J’ai pas fini mon baccalauréat français, je suis partie à la fin de la première et j’ai fait mon Cégep à Montréal, du coup, et l’université aussi.

En fait, je vivais à Paris et j’ai un grand frère qui a 11 ans de plus que moi et j’entendais tout le temps ses potes parler de Montréal, à quel point c’était cool et ouvert, que c’était possible d’y faire n’importe quoi musicalement. Je faisais des études scientifiques […], mais, franchement, j’avais trop envie de faire de la musique. En plus, j’étais venue à Montréal à l’âge de 12 ans et j’avais adoré le Québec, je ne voulais plus partir et tout. À 16 ans, ma mère m’a quand même poussée à partir, à faire des études à l’étranger. J’avais pensé à Londres ou à la Belgique, mais, en fait, j’avais envie de partir loin de ma famille. Comment dire? Tant qu’à quitter le noyau familial, j’allais le faire pour vrai, me lancer, aller dans un endroit qui me tentait vraiment, quoi.

Montréal, pour toi, c’était comme une genre de terre promise de la création?

Complètement. C’était surtout une intuition. Je n’écoutais pas nécessairement d’artistes d’ici depuis la France, à part peut-être Patrick Watson, mais encore là, je suis pas mal sûre de l’avoir découvert en arrivant à Montréal. Même si ça n’a aucun rapport avec la musique électronique, il avait des choses qui m’attiraient, mais surtout un besoin de liberté et le fait que Montréal est une ville ouverte d’esprit et moi j’en avais ras le bol en France. Je me sentais tout le temps comme cet espèce de mouton noir alors que, au final, tout le monde était un mouton noir. Ça marchait pas avec ma façon de percevoir la vie en général.

Paris, c’est quand un haut lieu de la scène électro. Toute la house filtrée: Daft Punk, de Crécy, Cassius, on pourrait en nommer longtemps. Est-ce que ces gars-là, parce que c’est pas mal tous des gars, on se le cachera pas, ont quand même laissé une empreinte sur toi? Peut-être pas dans ton son, mais dans ton envie de faire de la musique électronique…

Ah, mais oui! Complètement, sérieux, absolument. Franchement? Ouais. À fond. C’est marrant parce que lorsque je suis partie de Paris et que je suis arrivée ici, j’ai découvert plein de trucs de la scène plus underground parisienne. C’est bizarre, j’ai vraiment connu ce monde-là depuis l’étranger. C’est un peu triste. Faut dire que j’avais pas l’âge de sortir, quand je suis partie.

Dirais-tu qu’ici, on est un peu plus loose sur ces questions-là?

Vraiment. Je me souviens de mon premier Piknic électronique quand je suis arrivée ici, on pouvait y aller en tant que mineurs. C’est clair [que ç’a été un point marquant].

Ton parcours musical est très intéressant. Tout part du violoncelle qui est comme, je crois, ton instrument principal. Je pense que tu le trimballes encore beaucoup. Tu joues aussi de la harpe, du violon et même du piano. Comment es-tu passée de l’organique au synthétique, mais aussi à des instruments rythmiques, des percussions?

Même si j’étais dans la scène vraiment classique, je n’écoutais que de la musique électronique. C’était mon fantasme d’en faire. Quand je me suis lancée, je me suis juste acheté un synthétiseur et j’ai appris à jouer avec en téléchargeant des logiciels. Au début, je détestais les percussions, j’arrivais pas à différencier les sons, ça m’énervait tellement!
[…]
J’ai commencé à collaborer un peu avec VNCE et je le voyais sur son MPC et sur Ableton, je le voyais faire ses trucs. Ensuite, je suis allée étudier à l’Université de Montréal et là j’en ai appris beaucoup sur les sons, sur les programmes. Avec Christophe [Dubé alias CRi], évidemment, on a énormément travaillé ensemble, mais là je pense que ça touche à sa fin. J’ai beaucoup appris en regardant les autres faire et en ayant tellement envie de le faire moi-même, de faire juste mes propres idées, en fait. Je pense que c’est ça. C’est genre l’ego, j’imagine!

Est-ce que ça t’arrive encore de composer des séquences mélodiques avec ton violoncelle?

Ben, oui! En fait, j’essaie de le ramener dans ma pratique. Je sais pas si je ferai, un jour, un album électro avec du violoncelle, je ne pense pas que ça va arriver, en tout cas, pas tout de suite, mais j’ai quand même envie de le garder près de moi. C’est l’instrument qui me semble le plus naturel, ça fait partie de moi. Quand je ne vais pas bien, c’est bizarre, mais il faut que je joue du violoncelle. Sinon, je reste dans un état de tension infini.

Sur le nouveau EP, est-ce qu’il a des passages qui ont été composés au violoncelle?

Pas vraiment, non, mais j’écris des pièces en parallèle. Enfin, c’est sûr que je pratique tous les jours donc ça influence complètement ma vision de la mélodie.

Ouri (Crédit: Maiko Rodrig)
Ouri (Crédit: Maiko Rodrig)

Quand je ne vais pas bien, c’est bizarre, mais il faut que je joue du violoncelle. Sinon, je reste dans un état de tension infini.

Ouri

J’ai su, par le communiqué qui a été envoyé aux médias, que tu as fait cet album toute seule, de A à Z…

En fait, Al Carlson de Lazer Sound Creative m’a aidé dans le mix qui a fait le mastering dans toutes les chansons sauf le premier extrait que j’ai sorti. Ceci dit, pour l’écriture et tout ce qui est interprétation, j’ai tout fait seule parce que j’en avais vraiment besoin. J’étais à un moment dans ma vie où j’ai perdu confiance en des gens qui étaient très proches de moi, je me sentais un peu trahie. Il fallait que je chante, que je fasse tout, toute seule, parce que sinon je n’allais jamais le faire et je vivais dans la peur de m’assumer. […] Créer cet album aura été une expérience thérapeutique.

Est-ce que ça a été facile pour toi de trouver ta voix de chanteuse? Est-ce que c’est quelque chose qui est venu naturellement?

Oui, vraiment! Le truc, c’est que j’ai fait le Conservatoire entre 6 et 16 ans. Chaque année, on préparait des spectacles et il y avait toujours du chant choral. J’ai toujours chanté, mais c’est juste que je ne l’avais jamais fait seule. Je ne l’avais jamais assumé parce que je pensais qu’il fallait chanter comme une diva pour que ce soit intéressant.

C’est en suivant des cours de musique indienne que je me suis rendu compte que chaque chanteur avait sa propre tonalité, son propre timbre. Je sais que c’est pareil dans la culture occidentale, mais de le voir de l’extérieur, comme ça, dans une autre culture, ça m’a vraiment ouvert les yeux. Il fallait que je le fasse et je n’avais pas besoin d’imiter qui que ce soit, de me comparer aux autres.

Ta voix est empreinte de mystère et ton instrumentation, elle, est assez rough. Par moments, les tonalités et les plug-ins rappellent presque la techno. Est-ce que c’était important pour toi, justement, de créer un contraste?

Pour l’instant, oui. J’ai toujours envie d’explorer des contrastes. Si ce n’est pas dans la voix et l’instrumentation, ça va être dans d’autres éléments, soit dans les sonorités ou les thèmes par rapport à l’ambiance générale de la pièce. J’essaie quand même de toujours avoir une espèce de dualité, une complémentarité.

Ta musique est difficile à catégoriser. Escape me ramène un peu à la pop R&B d’une certaine époque, alors que d’autres gens pourraient parler de garage house. Est-ce que c’est une préoccupation pour toi de brouiller les pistes, de mélanger un paquet de trucs?

Je pense que, naturellement, oui. Déjà, j’adore écouter de la musique vraiment précise, genrée et moi, quand je fais de la musique, ça m’intéresse pas du tout de faire ça. Pour une raison qui m’échappe, c’est pas un défi qui m’intéresse. J’ai pas envie de faire un album de house, j’ai pas envie de faire un truc qui correspond à un genre que je maîtriserais parfaitement.

Identitairement, aussi, comme je suis métissée, on dirait que je ne sais jamais dans quelle catégorie me mettre. Alors, je me suis dit que je me mettrais dans toutes les catégories! J’essaie de faire ça dans toutes les sphères de ma vie.

Je crois que ta maman est originaire de la Guyane française. Est-ce que tu dirais que la musique de là-bas teinte un tout petit peu tes prods?

Complètement. Déjà, le fait d’être à moitié Guyanaise et de ne pas y être allée souvent, c’est comme si, en moi, j’avais une obsession infinie pour cette terre-là. J’essaie constamment de comprendre ces racines-là, j’écoute souvent de la musique brésilienne parce que c’est juste à côté et j’adore leurs percussions ultraviolentes.

En même temps, j’adore les enregistrements de la forêt amazonienne, ma mère avait acheté des CDs de ça quand j’étais petite. C’est des espèces de souvenirs de Guyane qui m’obsèdent. J’essaie de toujours garder en moi cette espèce de densité extrême, ces sons hyper aigus, hyper denses. J’aime vraiment ça. Ça me réconforte, pour une raison inconnue.

We Share Our Blood
(Make it Rain Records)
Disponible le 28 septembre

Le 13 octobre à la Société des arts technologiques (Montréal)

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