Anatole : La scène comme muse
Il est de retour. Alexandre Martel réendosse son habit squelettique, remet son rouge à lèvres et son fard blanc, fin prêt à redonner vie à Anatole pour Testament, un album-concept pensé, écrit et composé pour être joué sur scène, en rituel avec le public. Entrevue.
Si L.A/Tu es des nôtres prenait des détours de rock-progressif, Testament s’inscrit plutôt dans une pop-disco glamour, concise, et plus «droit au but» avec ses nappes de synthétiseurs rétro et ses refrains accrocheurs. «C’était le 5e album que j’écrivais [en comptant ses albums avec Mauves]. J’avais toujours écrit avec un support, que ce soit avec une guitare ou un piano. J’avais envie de brusquer les choses et ramener de l’excitation dans le processus. J’ai écrit toutes les chansons uniquement avec ma voix. J’avais rien, j’étais chez nous, je fumais un joint et je chantais toute la journée. Le lendemain, je réécoutais ce que j’avais enregistré et j’essayais de développer les idées intéressantes.»
Une approche dépouillée, qui se matérialise aujourd’hui en un opus de dix morceaux et dont le lancement officiel sera accompagné d’un court-métrage documentaire de Gabriel Lapointe sur les dessous occultes du nouveau spectacle.
En effet, après avoir fui la Nouvelle L.A, Anatole fait maintenant le deuil de cette époque qu’il laisse derrière lui et qu’il lui a apporté gloire et paillettes. Dorénavant, un nouveau testament, inspiré de l’expérience de la scène, verra le jour. «Dans ma tête, la scène c’est un autel sur lequel on est sacrifié pour que le soleil se lève le lendemain. Un vrai sacrifice. J’ai toujours l’impression que le public veut tuer ou manger l’artiste. »
Un constat cannibale et biblique, une réflexion sur notre conception du spectacle venant de celui qui a accumulé les tournées aux côtés de Gabrielle Shonk et d’Hubert Lenoir au cours de la dernière année.
Refuser le moule
D’ailleurs, Alexandre Martel n’a jamais caché son mécontentement avec la monotonie des spectacles au Québec où le public est entassé dans une boîte noire à écouter des musiciens en jeans pour s’oublier et fuir la routine pendant 1h30. C’est de cette «critique du modèle de chansonnier» qu’il est débarqué en 2015 avec une mise en scène audacieuse et grandiloquente, se promenant impunément au parterre en touchant et en susurrant des mots aux spectateurs ou en posant des gestes suggestifs. Une manière de provoquer, mais surtout de briser la frontière entre le public et l’artiste, au risque de rebuter les plus chastes. «Je trouve ça intéressant et plus sain de marquer le fait que c’est un spectacle et que tout ça est un artifice, qu’il y a une mécanique derrière. Les gens sont confrontés, sont obligés d’avoir un dialogue entre eux. C’est de cette manière qu’ils peuvent sortir de leur routine et de leur pensée préfabriquée : en étant confronté à eux-mêmes. C’est facile de voir qui est down ou pas après deux chansons.»
J’ai toujours l’impression que le public veut tuer ou manger l’artiste.
Toutefois, il avoue s’être senti pris dans son personnage de dandy exubérant à la liberté sans borne. «C’est comme si je devais toujours surenchérir, qu’il faut que ça devienne plus gros, plus élaboré. Je suis en train de réfléchir comment je peux me libérer à nouveau. […] J’ai créé des attentes et je sentais le besoin de les combler, mais je n’ai pas plus envie de les combler. J’ai encore envie de prendre le monde par surprise, donc on va trouver de nouvelles manières», dit-il.
Serait-ce la raison qu’il l’a poussé à quitter abruptement son spectacle au FME le mois dernier après seulement cinq chansons, sans que ses musiciens soient au courant? «On a joué beaucoup plus tard que prévu. C’est une question de set-up. Ça fonctionnait pas. Je veux pas blâmer le festival ou quiconque qui était impliqué. Les circonstances ont fait que c’était pas possible de faire le spectacle.»
Un faux scandale qui témoigne de l’imprévisibilité du personnage, toujours à la recherche de briser les archétypes de la performance. «Il n’y a rien de plus fort qu’un archétype dans la vie. Ce n’est pas pour rien : ce sont des traits fondamentaux de l’art humain. Il faut les voir et les reconnaître pour bien vivre. En regardant nos voisins parler de leur vie quotidienne, on oublie souvent qu’on est plus grand et qu’on est traversé par des pulsions et des désirs incompréhensibles. Il ne faut pas calmer ça. Il n’y a peut-être pas moyen de les maîtriser, mais il faut au moins les regarder en face.»
Testament
(Duprince)
Disponible le 28 septembre
Lancements :
26 septembre à 19h30 au Cinéma Cartier (Québec)
27 septembre à 19h30 au Turbo Haüs (Montréal)