Safia Nolin : Les larmes sans gant
On la reconnaît à son prénom, rien que ça, on l’identifie immédiatement à l’assemblage de ces cinq lettres. Safia est de celles qui marquent et pavent la voie aux autres en transgressant les règles, de celles qu’on change en icônes.
La musique, pour Safia Nolin, cristallise des moments, des états d’âme. Souvent écrites d’un jet, ses chansons portent l’étampe des jours qui les ont vus naître. Chaque plage a tout d’une entrée datée dans son journal intime à la différence qu’elle le partage avec tout le monde. Avec le temps, par amour du chant, l’auteure-compositrice s’est désinhibée. Parler de ses plus profondes peines avec le public ou les journalistes, avec de purs inconnus bien souvent, fait partie intégrante de son quotidien. Drôle de métier, quand même. «Il y a un côté un peu weird, c’est vrai, mais je le réfléchis pas trop… C’est quand même le fun d’avoir une conversation, admet-elle, mi-crampée, mi-lasse, en évoquant ses entrevues avec la presse. J’essaie de voir ça de même parce que, sinon, c’est ben trop glauque!»
Sur scène, lovée dans son cocon avec son grand frère de coeur Joseph Marchand, la sirène vient à oublier les projecteurs qui réchauffent sa peau. Chaque concert revêt des airs de causerie intimiste. Elle ponctue ses tristes complaintes de blagues candides comme pour détendre l’atmosphère. C’est que Safia est de la même sève que Éric Lapointe, Boom Desjardins, Marie Carmen ou Julie Masse, ces chanteuses et chanteurs à fleur de peau auxquels elle rend hommage son EP Reprises Vol. 1. Une parenthèse entre son premier et second disque, une brèche dans le brouhaha. Comme eux, elle s’offre tout entière et fait l’étalage de ses émotions. «C’est toute des interprètes que je trouve cool et qui, selon moi, on réussit à s’approprier leurs chansons, à faire en sorte qu’elles leur ressemblent. Je me suis donné l’exercice de les réinterpréter pour mon fun personnel. Ça m’a appris qu’une chanson, une fois écrite, peut vraiment aller n’importe où selon la personnalité de celle ou celui qui l’interprète.»
Vient un temps où les mots n’appartiennent plus à leurs auteurs et ses compositions perso subissent le même sort. Il y a longtemps que ses admirateurs se sont approprié les paroles qu’elle entonne et endisque. C’est le genre de témoignages que Safia récolte de ville en ville. «C’est hot. C’est exactement l’affaire la plus nice dans le fait de faire de la musique, je pense. […] C’est personnellement ce que j’aime de la musique que j’écoute. C’est pour ça que j’aime pas trop sentir le purpose, genre, de la tune, où est-ce que ça s’en va, tout ça.»
En même temps, cette fois-ci, la parolière embrasse une prose plus directe, moins énigmatique. Sur Sans titre, les couplets et le refrain se suffisent à eux même, on devine qu’ils ont été écrits en pensant à son père. On lit aussi en elle sur Miroir parce qu’elle s’y livre sans l’ombre d’un détour, s’excusant de son corps et presque d’exister. Difficile de ne pas y voir un écho, une référence aux méchancetés dont elle fut la cible après la réception de son premier Félix. Et pourtant… «C’est une chanson que j’ai écrite avant. Je te jure. C’est bizarre, avoue. Après ça, je l’ai mis sur l’album et j’ai recommencé à la jouer. Pas qu’elle ait pris une autre signification après l’ADISQ, mais disons qu’elle a pris plus de place qu’avant parce que ça parle beaucoup du fait de ne pas plaire, de ne pas être dans les standards de beauté, de l’amitié et de l’amour non réciproque. C’est vraiment devenu un hymne à moi-même dans toute cette shit de standards de beauté pis toute.»
[Miroir], c’est vraiment devenu un hymne à moi-même dans toute cette shit de standards de beauté pis toute.
À l’instar de Limoilou, ce nouveau disque a essentiellement été enregistré sur bandes analogiques. Sa voix et les instruments ont été captés d’un même souffle, et à l’ancienne, dans la plus pure tradition folk. «J’ai jamais fait autrement, sauf pour Encore, qui est sur cet album-là, et le début de La neige. Presque tout l’album est tapé en live parce que, t’sais, je suis pas capable de travailler autrement.»
Malgré une amélioration notoire à la guitare, la voix étant et de loin son premier instrument, le jeu de de la musicienne est encore teinté par de légères imperfections. De petits bruits parasites qui s’invitent au détour des riffs, des craquements furtifs qu’elle assume sans rougir. C’est voulu. «C’est pas un album qui est esthétiquement léché, ni dans le son, ni dans l’écriture. […] Je ne comprends pas, entre autres, est enregistrée à deux guits et y’a du couinage de cordes qu’on aurait pu laver, mais moi je trouvais ça nice et tout le monde aussi. C’était un choix de laisser ça as raw as possible.» Une esthétique sonore en phase avec les textes, la personnalité attachante de cette fille qui reste la même devant et derrière les caméras. Safia, c’est une vraie.
Dans le noir (Bonsound)
Disponible le 5 octobre
Le 18 octobre au Théâtre Outremont
Le 20 octobre au Grand Théâtre de Québec
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Dans le noir aura, aussi, son pendant cinématographique. C’est Safia qui signe ce “film d’art” tourné à la bonne franquette et avec une caméra VHS comme celle que ses parents utilisaient, jadis. Elle y rassemble des fragments de vies, de vacances et de fêtes, des souvenirs précieux entrecoupés d’archives familiales impudiques. Le document vidéo est monté sur l’intégralité de son album et servira, plus tard, à mettre les morceaux en images sur Youtube. Une seule projection publique est prévue et elle aura lieu ce 3 octobre au Cinéma Beaubien. Rebecca Makonnen et Alexandre Courteau y animeront ensuite une causerie réunissant Safia, Joseph et le réalisateur Philippe Brault.
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