Benoit Paradis Trio : Jazz journalier
Depuis 2006, le Benoit Paradis Trio se taille une place assez unique dans l’horizon musical québécois. À mi-chemin entre jazz et chanson, entre poésie et punk, l’univers que tisse la formation montréalaise évite les conventions naturellement, sans artifice. À la veille du lancement de son quatrième opus, Quintessence du cool, entretien avec le principal intéressé, Benoit Paradis.
«Eh boy, y a ben trop de mots dans cette maudite toune-là!» En pleine répétition pour son concert de lancement le 2 novembre, le Benoit Paradis Trio s’évertue à se remettre dans les doigts les chansons de l’album précédent, T’as-tu toute?, dans un appartement du Plateau transformé en local de pratique improvisé. Les trois musiciens font vibrer l’immeuble avec les portes grandes ouvertes, ce qui donne à la scène une aura de quotidien typiquement montréalais, les accords de piano soutenus par les voitures klaxonnant et se dépassant sur une avenue achalandée. C’est dans ce lieu où traînent des vinyles épars que Benoit Paradis fait naître ses chansons excentriques aux thèmes ancrés dans le day-to-day, matériel source servant de fondation aux accents jazz que la pianiste Chantale Morin et le contrebassiste Benoit Coulombe apportent à son œuvre. «J’aime ça qu’on puisse percevoir le texte et bien le comprendre, c’était comme naturel pour moi d’aller vers un genre de trio jazz acoustique pour faire vivre mes chansons, explique Paradis. Le jazz, c’est une musique élégante qui peut servir drôlement un texte qui pourrait être plus simpliste, ou même un texte très sombre mais sur une musique vraiment douce. C’est un peu ça que faisaient les grands chanteurs de l’époque swing, des tounes qui parlaient de leur vie de tous les jours, avec peu de mots, mais poétiques et remplies d’émotions. C’est un peu ça que je voulais; aller chercher quelque chose entre Ella Fitzgerald pis Tom Waits.»
Sur ce nouvel album, la formation affine encore plus son esthétique unique, entre deux chaises. Alors que Paradis avait l’habitude de partir des textes pour aller vers la musique sur ses créations précédentes, cette fois-ci, c’est les notes qui sont venues s’installer en premier. «C’est moi qui fais les propositions de départ pis qui finis par retoucher aux affaires, mais les arrangements, on fait vraiment ça tous ensemble. Les grandes lignes sont là quand j’arrive devant Chantale et Benoit, mais l’évolution de la toune est pas juste entre mes mains. Ce coup-ci, je trouve la musique plus aboutie que sur nos albums précédents, probablement parce qu’on a commencé par ça et qu’on a eu beaucoup d’échanges là-dessus avant d’y mettre des mots.» Si la musique est plus mesurée qu’avant, sa relation avec les paroles demeure un processus un peu mystérieux, du propre aveu de Benoit Paradis. «Y a pas de recette, on y va vraiment au feeling je dirais. Y a une chanson où je voulais vraiment parler de quelqu’un dans la rue qui quête, je voulais pas que ça devienne dramatique, pis finalement, c’est devenu une toune très be-bop, ben ben swing. C’est un peu le hasard qui fait bien les choses. Si ça avait pas marché de même, on aurait essayé autre chose! C’est de l’essai-erreur, pis ça fait voir un peu l’absurdité qui se dégage de tout ça.»
Pour Paradis, l’inspiration naît littéralement de la vie courante. À travers ses rencontres, ses journées typiques, il écrit des tonnes de notes qui sont ensuite élaguées pour en extraire la substance et construire des textes auxquels on peut tous s’identifier. «Ça vient des interactions que j’ai avec le monde, de ce que j’apprends aux nouvelles à propos de la société, mais j’essaie de le traduire au quotidien pour pas que ce soit trop moralisateur ou facile, que ce soit un peu plus imagé. Autant des fois les textes sont retravaillés en malade, autant à d’autres moments ça sort vraiment tout seul, d’un jet, pis c’est bon de même faque j’y touche pus.» Préconisant l’efficacité plutôt que la prose étoffée, il écrit des textes relativement courts et simples, qui vont droit au but. Cela apporte un contraste presque punk entre le jazz léché et les paroles qui y sont superposées. «Au niveau de la musique, on essaie d’éviter les trucs trop classiques, on veut raffiner ça autant que possible. Mais d’un autre côté, pour les textes, je suis un peu anarchiste. Y a une volonté de pas trop pousser ça loin, de garder quelque chose de vraiment authentique et brut. Ça donne un mélange qui, je pense, est surprenant pis qui nous donne une identité qui est propre à nous. C’est ça qui est le plus important pour moi, je pense, qu’on soit aussi vrais que possible dans ce qu’on fait.»
Quintessence du cool est disponible partout où vous avez l’habitude de consommer votre musique.