Fjord : De retour à la surface
Il y a d’abord eu les singles enregistrés artisanalement qui ont trouvé le chemin inopiné de millions d’écoutes. Ensuite, Thomas Casault et Louis-Étienne Santais ont ausculté les nouvelles techniques d’enregistrement et émaillé leurs textures électroniques d’instruments organiques. Voici Shallow Waters.
Thomas (voix) et Louis-Étienne (synthés) ont mis plus de temps que prévu à pondre ce troisième projet, la suite attendue de Textures, paru en septembre 2016. Un retard de six mois sur l’échéancier fixé initialement, symptomatique d’une période «froide artistiquement» pour le duo de Québec. «On a quasiment eu un an de frustration, explique Thomas. Ça sortait pas. Tout ce qui sortait, c’était toujours les mêmes riffs avec les mêmes accords […]. Ç’a été vraiment fâchant. Tu as l’impression de perdre ton temps.» Un passage à vide aride, quoique obligé selon Louis-Étienne, qui leur a permis de parachever les six morceaux du EP. «On a découvert plein de méthodes d’enregistrement, de sampling. On a travaillé avec d’autres mondes, des musiciens de Québec. Ça nous a allumés sur plusieurs pistes. Ç’a été un processus fastidieux, car on a exploré. C’est pour ça que ça a pris autant de temps.»
Ç’a été un processus fastidieux, car on a exploré. C’est pour ça que ça a pris autant de temps.
Composé et écrit à Québec au nouveau studio Le Magnétophone d’Alex Ouzilleau, Shallow Waters a été finalisé à Londres sur une période éreintante de dix jours avec Tim Bran, réalisateur émérite reconnu pour son travail avec Paul McCartney, Bloc Party et London Grammar, entre autres. Une expérience enrichissante, un «eye-opening» pour les deux hommes sur leur façon de réfléchir la musique et d’appliquer les techniques d’enregistrement. «La communication a été excellente. S’il y avait quelque chose qui ne faisait pas notre affaire ou qu’on était en désaccord, c’était facile de l’exprimer. Tim était ouvert [aux propositions], en plus d’avoir dix solutions alternatives, raconte Thomas. Le workflow a été fantastique. Quand on n’était pas au studio, soit de 22h30 le soir à 9h le matin, il retravaillait les pièces. Je sais même pas quand il dormait!»
De nouveaux outils
Si Textures symbolisait leur découverte du monde électronique, Shallow Waters se présente à nos oreilles comme une œuvre plus aboutie et concentrée. L’essence des trames électro pop atmosphériques de son prédécesseur a été conservée, mais le duo a décidé d’élargir son éventail d’instruments, question d’avoir une nouvelle expérience de captation en studio. Guitare, piano, batterie, flûte, harpe (sur l’envoûtante If I Was to Call), section de cordes (le fruit d’une collaboration avec un quatuor de musiciennes de l’OSQ)… Les interprétations sensuelles et planantes du groupe prennent du galon. «Ç’a été un peu comme un retour aux sources pour nous comme lorsqu’on était kids et qu’on apprenait à jouer de la guitare, de la basse, du drum», remarque celui dont la voix haut perchée est d’ailleurs souvent trafiquée par vocodeur sur cette nouvelle offrande.
Une douceur robotique qui nous rappelle James Blake et le travail passé d’Imogen Heap, des Anglais qui ont popularisé cet effet visant à synthétiser la voix à partir de fréquences analogues. «On a découvert l’artiste australienne The Japanese House il y a un an. Elle écrit des textes et des mélodies super cool avec cette mécanique du vocodeur. […] Il y a ma voix organique et une autre en parallèle que Louis va jouer sur le piano. Il peut faire des harmonies qui ne sont pas nécessairement instinctives. Ça crée vraiment quelque chose de spécial.»
Ç’a été un peu comme un retour aux sources pour nous comme lorsqu’on était kids et qu’on apprenait à jouer de la guitare, de la basse, du drum…
Avec les tumultes amoureux en trame de fond lyrique, Thomas et Louis-Étienne ont coécrit les paroles en prônant l’approche de la simplicité et des courtes lignes évocatrices. Une forme d’exutoire d’émotions communes et partagées par les deux fidèles amis pendant quelques années. «Le EP parle principalement d’une personne, relate Thomas. C’est un chapitre de ma vie qui s’est fermé et qui a duré longtemps. C’est intéressant pour nous parce que Shallow Waters est un roman qui a tout le temps les mêmes personnages.»
Après avoir généré 15 millions d’écoutes sur Spotify et établi des partenariats en synchronisation un peu partout à travers le globe, les gars de Fjord sont pleinement conscients de l’effet de levier que peuvent produire de telles statistiques. Or, Thomas et Louis-Étienne ne sont pas prêts à aliéner leur intégrité artistique pour autant. L’année dernière, le groupe a refusé d’afficher sa collaboration avec le DJ canadien Felix Cartal sur le morceau Get What You Give pour ne pas être associé à cet «univers plus tropical» de l’EDM. Une façon en quelque sorte de ne pas tomber dans les pièges de la commercialisation et des refrains trop faciles. «Il y a des gens qui veulent absolument produire un hit ou qui ont des attentes économiques et commerciales par rapport à l’album sur lequel ils travaillent. Pour nous, ça n’a vraiment pas été le cas. On est juste des musiciens qui trippent à faire [de la musique] de manière authentique. On écrit et produit de la musique qu’on aime, sans avoir d’attentes.»
Shallow Waters
(Indépendant)
Sortie le 25 janvier
11 janvier à l’Anti (Québec)
26 janvier au Ministère (Montréal)