Électrifier le passé
Yonatan Gat et les Eastern Medicine Singers opèrent un mélange de genres et de sons encore jamais entendus. Une improbable rencontre à voir au Taverne Tour.
Ceux qui suivent le parcours de Yonatan Gat sont familiers avec le travail particulier de ce guitariste éclectique. De ses années de bruit et de fureur au sein des déjantés Israéliens de Monotonix jusqu’à ses expérimentations en trio à géométrie variable depuis qu’il a quitté Tel-Aviv pour Brooklyn, Yonatan Gat est souvent là où on ne l’attend pas. C’est donc accompagné de son groupe et des Eastern Medicine Singers qu’il viendra au Taverne Tour, après avoir galvanisé le public au dernier FME.
Toujours ouvert à toutes les musiques autour de lui, Yonatan Gat a découvert les Eastern Medicine Singers un peu par hasard au festival SXSW d’Austin en 2017. «Je donnais un concert dans la rue avec mon trio lorsque je les ai aperçus qui jouaient pas très loin et je trouvais que le son de leur tambour était incroyable. Comme nous, ils ne jouent pas sur une scène, mais au milieu de la foule. Je suis allé à leur rencontre, on a bavardé et je leur ai demandé s’ils étaient intéressés à venir nous rejoindre en salle durant la soirée. Ils ont levé leurs têtes, m’ont dévisagé et m’ont dit «non». J’étais un peu déçu, mais je leur ai tout de même dit où et quand on jouait et qu’ils étaient les bienvenus si jamais ils changeaient d’avis. Donc on démarre notre concert et tout à coup je les vois débarquer. Ils ont écouté et au deuxième morceau les voilà qui traînent à l’intérieur leur énorme tambour. Ils s’installent et embarquent tranquillement. J’ai trouvé que la chimie opérait super bien. Il s’est passé quelque chose ce soir-là, quelque chose de magique, de très fort et tous l’ont ressenti», se souvient le polyvalent guitariste. «La deuxième fois que j’ai joué avec eux, j’avais organisé une sorte de jam collectif à New York avec des copains musiciens des Swans et d’autres groupes, et les EMS sont débarqués en bande au local avec leurs tambours, leurs femmes, leurs amis. En tout on était une vingtaine de musiciens: violon, guitare drone, basse, marimbas, tambours et davantage. Donc je me suis rendu ensuite dans leur coin dans le Rhode Island, dans un centre communautaire algonquin où ils se retrouvent tous et on a rejoué ensemble, discuté et concrétisé cette symbiose. Puisqu’ils jouaient à nouveau à SXSW en 2018, nous les avons accompagnés puis ils se sont joints à nous pour certains shows et festivals un peu partout dans le monde».
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Aux origines
Pour Yonatan Gat, la musique de pow-wow est l’une des sources du rock n’ roll. Il prend pour exemple Link Wray, mythique guitariste à l’origine du rock garage et du punk avec ses riffs sauvages et ses morceaux – majoritairement instrumentaux – maniaques. Il est cité comme influence majeure par des dizaines de groupes ou de musiciens célèbres. «Link Wray était Shawnee et c’est un des pionniers de la distorsion. Son morceau Rumble est à l’origine même du punk rock. La rythmique de cette chanson est basée sur un double beat, qui est en fait le rythme des Premières nations. Et nous reprenons d’ailleurs ce titre en concert avec les Eastern Medicine Singers. Certains disent que c’est le rythme de la terre; il y a quelque chose de vraiment puissant, et le son du gros tambour l’est aussi. Pour chaque concert en salle, je demande à ce que le technicien de son le fasse jouer le plus fort possible. C’est un rythme intense, répétitif et hypnotique qui te fait entrer en transe, tu le sens à travers ton corps, comme un gros beat techno. C’est ce que le rock n’ roll devrait être aussi, mais je pense qu’il l’est de moins en moins depuis quelques années. Donc cet amalgame entre eux et nous donne une sorte de rock n’ roll primitif mais interprété d’une nouvelle façon, tout en ayant ces racines autochtones. C’est une musique qui te transporte dans un monde de sons et d’images. C’est pour ça que cette collaboration entre les deux groupes est si enrichissante», se réjouit Yonatan Gat.
Intemporel
Les quatre Eastern Medicine Singers accompagnent le trio sur la route depuis quelques mois déjà et pour le principal intéressé, c’est une excellente façon de présenter son dernier album Universalists, paru en mai 2018. «On commence le concert en trio, puis ils se joignent à nous un peu plus tard. On débute le spectacle dans un coin de la salle et on le termine dans un autre. Les EMS sont comme une extension du groupe».
Outre le titre Medicine, collaboration entre le trio de Yonatan et les EMS qu’on retrouve sur l’ethno-expérimental Universalists, on peut entendre en concert quelques-unes des compositions des quatre Algonquins, dont l’âge varie entre la fin trentaine pour le plus jeune à autour de 80 ans pour le plus vieux. «On joue bien sûr de leur musique. Certains morceaux sont de leur crû, d’autres sont des pièces traditionnelles des Algonquins et d’autres peuplades. Certains morceaux sont plus connus, d’autres beaucoup moins. C’est assez varié musicalement», précise Yonatan Gat qui ne cache pas avoir l’intention d’enregistrer davantage avec les EMS. «On travaille sur des compositions ensemble, avec l’idée bien sûr d’enregistrer un album. Cette union entre les deux groupes est une puissante combinaison entre l’ancien et le nouveau, une sorte de machine à voyager dans le temps, du passé au présent, sans jamais vraiment savoir à quelle époque tu te trouves. Il y a beaucoup de musiques qui rejettent le passé pour créer quelque chose de nouveau, c’est ce que j’ai souvent fait, mais là on honore le passé en lui donnant une touche plus contemporaine. On électrifie le passé, on le rend plus rock, on met le volume à bloc en jouant dans des endroits où ces musiques ne sont presque jamais jouées».
En concert le 2 février à la Sala Rossa, dans le cadre de la Taverne Tour