Webster : Rap d’adulte
Une conversation conviviale et sans filtre avec Le vieux d’la montagne.
Il partage son sobriquet de MC avec un dictionnaire, il s’est fait connaître du grand public pour ses qualités d’historiens et comme porte-voix des afro-descendants québécois. Actif dans le rap jeu depuis les années 1990, au sein de Northern X puis de Limoilou Starz, Webster est de ceux qui ont pavé la voie pour les autres et fait résonner l’indicatif 418 par-delà La Cité. Cinq ans après la sortie de son dernier album, il en fait paraître un nouveau et aux-côtés de 5 For Trio. Il publiera aussi, ce mois-ci, un premier livre solo aux éditions Québec Amérique. On a rencontré Webster dans un café de la 3e Avenue (où d’autre?), flanqué du guitariste Mathieu Rancourt et du contrebassiste Sylvain “Bib” St-Onge. Trois amis animés d’une admiration mutuelle palpable.
Catherine: Musicalement, c’est jazz, c’est rock par moments, pas mal différent de tout ce à quoi tu nous as habitués. Comment s’est faite la création avec les gars de 5 For Trio? Est-ce que tes textes étaient déjà prêts? Ou est-ce que vous avez plus jammé ensemble, tous les quatre?
Webster: Moi j’avais un seul texte de fait, déjà. Dix plumes. Je l’ai écrit après une rupture. Je suis pas un rappeur très sentimental, mais c’est quelque chose qui était assez difficile à traverser et cette chanson-là m’a aidée, en fait. C’était un peu thérapeutique, si on peut dire, donc quand je suis arrivé dans ce projet-là, j’avais cette track-là d’écrite. Pour tout le reste, bon, on jammait ensemble. Eux, ils faisaient des beats et moi je rappais.
Catherine: Tu dis, “des beats”, mais c’est pas tellement des beats typiques…
Webster: Oui, c’est ça.
Sylvain: Moi, souvent, je partais chez nous avec mon logiciel et je travaillais comme un beatmaker, mais après ça, c’était destiné à être joué [par des instruments organiques]. Webster, lui, ça lui donnait la forme pour écrire. Le nombre de verses, notamment. Ça a quand même été un long processus parce que c’était comme en deux temps.
Catherine: Composais-tu les éléments mélodiques à l’ordi aussi?
Sylvain: Je faisais pas mal tout à mesure. Les mélodies et tout ça, je les enregistrais avec ma guitare. Je prenais des séquences de drums et, des fois, Mathieu enregistrait des lignes de basse sur des tounes. On a vraiment fait une pré-production.
Catherine: Est-ce que tu avais ton mot à dire sur les textes, les thèmes que Webster abordait?
Sylvain: En fait, c’est vraiment lui qui a le libre jeu sur ses paroles, c’est lui l’expert en la matière. Sauf que, souvent, après, quand j’écrivais une pièce, je mettais un titre, un mot que la pièce m’évoquait, au moment d’enregistrer. J’envoyais ça à Web et j’ai l’impression que, des fois, ça lui a donné un petit filon…Ghost, par exemple.
Webster: Il y a au moins trois chansons qui se sont construites comme ça. Complexe, Missile, Valse. On a gardé beaucoup de titres de travail, en fait. […] Je n’ai pas remis en doute leur approche, c’est des professionnels, ils savent ce qu’ils font. Je me suis adapté. J’ai construit mes textes autour des beats qu’ils m’ont amenés.
Catherine: Dirais-tu que l’instrumental a teinté ton interprétation?
Webster: Oui! Et en fait, ce projet-là, c’était une façon pour moi de me sortir de ma zone de confort habituelle. Ça impliquait de ne pas toujours être à l’aise. T’sais, y’a des beats que je recevais et j’étais comme “OK, ouin… Mais il faut y aller!” En bout de ligne, je les aime.
Ça a beaucoup changé ma perspective musicale. C’est fou parce que, avant de travailler avec 5 For Trio, je skippais les chansons avant que commencent les solos de guit. Ça me touchait pas, t’sais! […] Maintenant, je comprends plus les subtilités liées aux instruments. Ce projet m’a beaucoup ouvert à ce niveau.
Catherine: Qui est-ce qui a approché qui en premier?
Matthieu: Ça dépend. Pour ce projet-ci, c’est Web, c’est son idée, mais c’est nous qui l’avions approché pour l’autre album d’avant. Webster, c’est notre pendant hip hop. Il travaille le rap de la même façon qu’on travaille le jazz.
Sylvain: On l’avait inclus à Garder la tension, notre deuxième disque. C’était déjà de mise, dans le projet, d’intégrer des styles différents au jazz.
Webster: Les gars m’ont approché pour leur deuxième album, pour écrire dessus et ils m’ont envoyé un beat en trois temps! Moi, j’écris en quatre temps. En trois temps, c’est un peu cauchemardesque! Mais je tenais à le faire parce que ça me sortait d’une zone habituelle et je trouvais ça cool. Je me rappelle, j’ai écrit [As de trèfle] dans l’avion entre la Belgique et ici. J’étais sur mon retour, je regardais dehors et je voyais les glaciers de l’Islande.
Catherine: C’est beau la 3e avenue, mais des glaciers…
Webster: Non c’est ça, c’est autre chose! (Rires) En tout cas, c’est un projet que j’ai beaucoup aimé aussi. Moi, leurs deux albums, je les ai encore. Ils sont dans mon cell, ils sont chez nous. Je travaille, j’écoute ça. Ils le savent pas, mais je les écoute plus qu’ils pensent!
[…]
La parenthèse dans tout ça, c’est qu’après À l’ombre des feuilles, et ça j’en parle dans le livre, c’était fini le rap pour moi. J’étais comme ‘’Fuck tout ça, j’en ai plus rien à foutre!’’.
Catherine: T’étais vraiment tanné…
Webster: Ouais. T’sais, je veux dire, après toutes ces années, le rap ne peut plus sortir de moi, dans le sens qu’il est pris en moi. Puis, un moment donné, j’ai eu envie de faire un autre album.
Catherine: Ça a été quoi, le déclencheur?
Webster: Je pense que c’est venu à force de faire des feat à gauche et à droite. Je me suis dit que tant qu’à faire un autre album, je prendrais une approche différente. Pour, moi, me stimuler et essayer d’amener autre chose. J’avais le goût de faire un album jazz et je connaissais déjà les gars.
Donc voilà, on s’est donné rendez-vous chez Bib. Je sortais de la mosquée, c’était pendant le Ramadan, et mon père m’a débarqué devant chez lui. Je leur ai présenté l’idée que j’avais en tête. Je pense que c’était en août et dès septembre, on était déjà en train de travailler.
Mathieu: C’était en 2016. Ça a pris deux ans, pareil.
Sylvain: Ça a été beaucoup de recherche étant donné qu’il y a pas beaucoup de référence, pas dans ce style-là en tout cas. Moi, j’en ai pas trouvé.
Catherine: Même à l’échelle internationale, c’est vrai que ça s’est pas trop fait. Bon, après, y’a Kendrick qui a intégré des petits éléments de jazz…
Webster: Oui, Kendrick l’a fait, Robert Glasper aussi. Guru l’a fait dans le temps, dans le début des années 1990 avec Jazzmatazz… Mais leur approche du jazz est différente. On peut aussi saupoudrer du rock progressif dans tout ça.
Catherine: Ce qui est cool là-dedans, c’est que vos publics respectifs vont découvrir autre chose. C’est un crossover. En plus, ça fait écho à quelque chose que tu écris dans ton livre… Quand tu as sorti À l’ombre des feuilles, tu as réalisé que les 12-25 ans, que le public habituel du rap n’était plus touché par les sujets que tu choisissais d’aborder. Avec ce nouveau projet, avec cette facture musicale, visais-tu à aller chercher les gens de ton âge?
Webster: Les vieux, aie pas peur de le dire! (Rires) C’est ça l’approche. Avec ma copine, récemment, on rigolait, on a sorti un nouveau hashtag: #rapdadulte. Je fais du rap, c’est mon mode d’expression, mais je ne suis plus trop la scène hip hop, les actualités. Hier, j’ai fait le tour [des nouveautés] avec mon cousin et c’était les mêmes beats, les mêmes flows, les même clips, les mêmes tunes. Je comprends plus ces codes-là.
Catherine: En plus, maintenant, c’est l’âge d’or du mumble rap… On s’entend que t’es loin de ça!
Webster: Ben… je suis à l’antipode de ça! Pour ma génération, l’accent a toujours été mis sur le texte et maintenant, les gens marmonnent le texte parce que c’est plus important. Mets pas de texte tant qu’à ça, bro.
Catherine: J’ai une autre question par rapport à ce que tu as écrit dans le livre. Y’a un truc que j’ai trouvé hyper intéressant et que Jérémie McEwen évoque déjà dans la préface. Selon toi, “plus le rap devient populaire au Québec et plus il se javellise”. J’imagine que tu as dû y réfléchir longtemps avant d’écrire un statement comme celui-là. Sans vouloir faire de la sociologie à dix cennes, qu’est-ce que ça veut dire, ça, sur nous ou sur l’industrie?
Webster: Écoute, je pense que ça touche un peu au racisme systémique dans le sens que c’est comme si le rap était devenu plus acceptable maintenant et comparativement à avant.
Catherine: Genre, ça passe à la radio…
Webster: Exactement. Pourtant, ça fait longtemps que le rap existe au Québec. Moi, la question que je me pose c’est s’il y une corrélation entre sa plus grande acceptation médiatique et sa progressive javellisation. Ce qui est remis en question, c’est pas le fait que les Blancs rappent. Je veux dire, la moitié de Limoilou Starz le sont et ont a toujours eu un hip hop métissé. Ça n’a jamais été remis en question comme le fait que des Blancs peuvent jouer du jazz.
Tu prends des Alaclair, des Loud, des Koriass… Ce sont des collègues avec qui j’ai trimé depuis back then. C’est des gars qu’on connait, qui viennent du milieu hip hop. Comme on dit, ils ont payé leurs dues. Ils ont pas été parachutés là… et c’est des gars qui sont bons! C’est pas eux qui sont remis en question, c’est le système qui, encore une fois, se sent plus en confiance lorsque certains éléments sont extirpés. En tant que société, je crois qu’on doit vraiment se questionner sur notre identité. C’est des sujets qu’on a de la difficulté à aborder collectivement.
Catherine: Pourtant, toi, tu le fais. Honnêtement, je t’aurais jamais questionné là-dessus si tu n’en avais pas parlé dans ton livre. C’est un terrain où t’es game d’aller?
Webster: Oui. Personne veut le faire, mais il faut parler de ces choses-là.
À l’ombre des feuilles
(Québec Amérique)
En librairie le 6 février
Webster & 5 For Trio
(Coyote Records)
Disponible le 8 février
le 7 février au Maelstrom St-Roch
le 16 février au Quai des Brumes
le 28 février à la Maison de la littérature