FIJM 2019 / ECM Records : Souligner l’excellence
Gary Burton, Chick Corea, Keith Jarrett, Pat Metheny, Steve Reich… Le catalogue d’Edition of Contemporary Music (mieux connu sous le nom d’ECM) est à faire pâlir d’envie. Pour souligner les 50 chandelles de cette étiquette iconique, le Festival international de jazz de Montréal présentera une série de concerts lui rendant hommage.
Alors qu’on donne souvent tout le crédit du façonnage d’un style musical à ses artistes les plus marquants, il existe derrière ceux-ci toute une structure qui occupe le rôle de véritable pilier de l’évolution musicale: les étiquettes. Du côté du jazz, si on peut rapidement penser à Prestige, Blue Note ou Verve, il est impossible de passer sous silence ECM, label légendaire fondé par Manfred Eicher à Munich en 1969. L’étiquette a vu passer certains des noms les plus prestigieux et révolutionnaires du jazz et de la musique contemporaine au cours des cinq dernières décennies. C’est que son président et fondateur a tout un flair pour le talent, en plus de savoir le faire briller sous son meilleur jour.
«Pour moi, Manfred Eicher est une des très grandes personnalités de l’industrie de la musique, explique André Ménard, cofondateur du FIJM. C’est quelqu’un de très singulier, qui a une ligne de pensée très claire qui favorise l’audace des musiciens avec qui il travaille.» Nul besoin de le souligner: Ménard est un fan fini d’ECM. Il se targue de posséder les 200 premiers albums parus sur l’étiquette. Citant du même souffle la constance dans la qualité et la beauté inhérente au catalogue de la maison, il nous indique que c’était pour lui tout naturel de donner une place importante au label en cette 50e année de son existence: «À travers les années, on a toujours voulu mettre en vedette des artistes d’ECM. J’essayais constamment de faire des petits détours pour en booker le plus possible. C’était ma coquetterie en programmation! Cette année, tout était aligné: les 40 ans du Festival de jazz, les 50 ans d’ECM, l’année de notre départ, à moi et Alain Simard… Il fallait absolument marquer le coup. On s’est fait plaisir en programmant cinq de leurs artistes. J’en aurais booké encore plus, mais bon, faut faire des choix!»
L’espace entre les sons
Mais qu’est-ce qui rend ECM si spécial, hormis son écurie impressionnante de pionniers musicaux? Selon Larry Grenadier, qui a lancé cette année un premier album de contrebasse en solo sur le label et qui fait partie de cette série hommage du Festival, c’est dans le son lui-même qu’on reconnaît le travail d’Eicher: «J’aurais de la difficulté à cerner précisément ce qu’est le véritable “son ECM” tant les artistes représentés sont variés dans leurs expressions musicales. Il y a toutefois quelque chose qui revient chaque fois que j’écoute un de ces albums. Ce n’est pas tant dans le timbre des instruments eux-mêmes, mais bien dans les silences entre les sons qu’on reconnaît la touche spéciale d’Eicher. Je sais que ça peut paraître un peu ésotérique comme réponse, mais pour moi, c’est cette espèce de flottement, cette pureté du silence qui laisse ensuite toute leur place aux sons qui me touche énormément dans les albums produits par Manfred.» Fait à noter, le mantra avoué d’ECM est «The most beautiful sound next to silence», tiré d’une critique du catalogue de l’étiquette parue dans le magazine de jazz torontois Coda au début des années 1970. On peut donc tout de suite voir à quoi Grenadier fait référence: sur un album d’ECM, l’espace, la pièce où on a enregistré, vient prendre une place tout aussi importante que chaque note jouée.
Ménard renchérit: «Le jazz est une musique qui a énormément influencé ce qui l’a suivi, mais qui a également su emprunter beaucoup. C’est un terrain de jeu extrêmement intéressant pour les artistes et ECM a été exemplaire de ce point de vue là. Ils ont su à travers les décennies ne pas cultiver qu’un seul son. C’est plutôt le soin apporté à la qualité sonore des enregistrements eux-mêmes qu’on pourrait dégager comme l’élément qui lie tout leur catalogue.»
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Alors que certaines mauvaises langues ont critiqué ECM en qualifiant ses sorties de «jazz de chambre» (terme péjoratif qualifiant un jazz un peu trop tranquille), c’est plutôt la grande sensibilité musicale d’Eicher qui s’exprime à travers son catalogue. «Travailler avec Manfred m’a permis d’explorer diverses formes de musique plus délicate, relate le mythique pianiste Chick Corea, collaborateur de longue date du label. Des trios, de la musique de chambre, des duos… c’était très encourageant pour moi d’être capable d’enregistrer cette musique plus sensible et de la rendre disponible à mon public. ECM est unique, dans le sens où tout son catalogue provient de la vision et du goût d’un seul homme. Estimons-nous très chanceux que cet homme ait un goût indéniable et une considération immense pour les artistes avec lesquels il travaille.»
C’est cette même considération qui pousse Eicher à non seulement travailler en studio avec ses ingénieurs pour capturer le son à son expression la plus pure, mais également à s’investir personnellement dans les étapes suivantes: du mastering à la première presse d’un vinyle «maître», il est présent dans toute la création d’un opus ECM. Corea poursuit: «Ma relation avec Manfred est celle d’un ami qui recherche exactement la même chose que moi. Un son de piano magnifique et un instant d’enregistrement parfait. Je ne l’ai jamais vu travailler avec d’autres artistes, mais personnellement, il m’a toujours simplement donné le champ libre pour m’exprimer au meilleur de mes capacités en studio. Il s’assure ensuite que le pressage et la manufacture finale de ces enregistrements seront réalisés aux plus hauts standards de qualité possible.»
À la fois iconique et pertinent
Riche en histoire et en bons coups, les cinq décennies d’ECM ont su marquer les mémoires musicales des férus de jazz et de musique contemporaine de tous les horizons. Mais si le chemin parcouru est maintenant dans la légende, l’étiquette poursuit son travail de pionnière et continue de cimenter sa place comme l’une des plus pertinentes de notre ère. «ECM, en général, et Manfred Eicher, en particulier, capturent d’une façon unique les instruments et les idées musicales des artistes, selon Larry Grenadier. Ils ne cherchent pas à manipuler les timbres, ils veulent faire ressortir les sons à leur plus pure expression. Je crois que ces caractéristiques sont tout aussi importantes aujourd’hui qu’en 1969. Le milieu du jazz a besoin d’une étiquette dont l’objectif premier est de faire vivre sa musique de la façon la plus organique possible.»
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André Ménard conclut: «Pour le chroniqueur de jazz qui veut tenter de tout mettre dans des petites cases précises, ça peut être compliqué de réellement qualifier ECM. Cette étiquette fournit une possibilité d’expression très raffinée et développée. Je suis tellement content que ça ait existé et que ça continue d’exister; c’est un catalogue qui a autant d’importance dans le patrimoine de la musique que certaines grandes œuvres classiques, et Manfred Eicher continue de produire 50 ou 60 disques par année. On n’a donc très heureusement pas fini d’en entendre parler et de chanter ses louanges!»
Les concerts suivants de la programmation du FIJM font partie de la série hommage aux 50 ans d’ECM :
Vijay Iyer & Craig Taborn, le 27 juin 18h au Gesù
Tord Gustavsen Trio, le 28 juin 18h au Gesù
Larry Grenadier, le 4 juillet 22h30 au Gesù
Bobo Stenson Solo, le 5 juillet 18h au Gesù
Nik Bärtsch’s Ronin, le 5 juillet 22h30 au Gesù
Chick Corea sera également de passage en trio avec Christian McBride et Brian Blade le 16 octobre prochain à la Maison symphonique.