10 ans du Festif! : Les meilleurs moments selon Clément Turgeon
Musique

10 ans du Festif! : Les meilleurs moments selon Clément Turgeon

Devenu un incontournable des festivals de musique au Québec, Le Festif! de Baie-Saint-Paul s’apprête à célébrer son 10e anniversaire du 18 au 21 juillet avec Les Trois Accords, Chromeo, Gogol Bordello, Les Vulgaires Machins et Marjo, entre autres. Afin de revivre les moments phares de l’histoire du festival et de dresser le bilan de ses années fastes, Voir s’est entretenu avec le fondateur et le directeur du Festif!, Clément Turgeon.

Le Festif! célèbre cette année son 10e anniversaire. Quel bilan dresses-tu de cette dernière décennie?

Je dirais qu’on est assez surpris de l’ampleur que ç’a pris. Quand j’ai parti ça à 21 ans, j’avais aucune expérience dans l’événementiel, j’avais pas d’argent et j’habitais dans le sous-sol de ma mère. Je partais de très loin. On a toujours voulu faire un gros événement, mais je pense pas qu’on s’attendait à ce qu’on ait cette ampleur-là à l’extérieur du Québec, qu’on ait ce respect des artistes envers l’événement. C’est un bilan super positif. On a vraiment appris. Un des secrets du Festif!, c’est qu’on avait aucune expérience, on apprenait sur le tas et on y allait avec le feeling. On est passé d’une scène à 25 scènes en vraiment peu de temps. Nos budgets d’exploitation ont vraiment augmenté. D’y aller avec notre instinct, ça nous a permis de nous développer comme ça.

La première édition du Festif! de Baie-Saint-Paul   (courtoisie : Clément Turgeon)

Le bassin de festivaliers, et surtout la popularité du Festif!, ne cesse d’augmenter année après année. En 2009, à la première édition, environ 1800 festivaliers étaient présents. Maintenant, vous en accueillez près de 40 000. Comment expliques-tu la réputation aussi solide du festival, alors que vous l’avez démarré dans le début de votre vingtaine et à partir d’à peu près rien?

Je dirais qu’on était à la bonne place au bon moment. On a rapidement compris que Baie-Saint-Paul était une destination qui était vraiment attirante pour les gens. On a beaucoup profité de notre positionnement géographique. On est près de Québec, de Montréal, du Saguenay… Tu mettrais le Festif! ailleurs et ça serait pas pareil. Je crois aussi qu’on a réussi à trouver un équilibre entre les artistes découvertes et les artistes grand public. Il y a beaucoup de festivals dans notre genre qui sont beaucoup plus dans l’émergence. On fait une grande place à l’émergence, aux découvertes internationales, à l’underground… En même temps, on est capables d’aller chercher des artistes plus grand public, sans se dénaturer pour autant. Cette année, on a Les Trois Accords comme on a Gogol Bordello. Cet équilibre nous permet d’avoir du monde. Mais je reviens sur le fait qu’être à Baie-Saint-Paul aide beaucoup. Les gens partent et ont déjà hâte de revenir. C’est devenu une destination qui va au-delà de la programmation.

 

Le Festif! a su se démarquer notamment par ses spectacles dans des lieux atypiques, voire complètement saugrenus. Plusieurs festivals reprennent aujourd’hui ce concept. Comment s’était développée l’idée à l’époque d’offrir ces performances – qui sortent du carcan habituel de la scène – au public?

On s’est fait beaucoup comparer au FME [Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue], qui avait ce concept-là avant nous et qui ont instigué les spectacles-surprises. Mais à la base, c’est parti d’une expérience de bénévolat dans une mini-ville de 800 habitants en Bretagne quand j’avais 18 ans – deux ans avant de partir le Festif!. J’étais bénévole dans un petit festival qui faisait des spectacles-surprises annoncés à la radio par des partenaires à des moments clés de la journée. C’est toujours resté dans ma tête.

Les premières années du Festif!, y en avait pas. C’est arrivé à la quatrième édition. On a fait Louis-Jean Cormier dans une formule feu de camp et, de fil en aiguille, on en a rajouté. […] Les moments forts du festival sont souvent les spectacles-surprises parce qu’ils ont été super bien réfléchis avec l’artiste. Que ce soit un album thématique ou un album bluegrass, on va essayer de s’adapter.

 

En même temps, ça doit commencer à être difficile de pousser ce concept quand vous avez fait tous les coins du village… 

Oui, c’est sûr! Cette année, on a notre scène flottante sur la rivière, alors ça nous permet d’avoir un nouveau concept. Il y a des lieux dont on a pas les autorisations nécessaires ou d’autres où les citoyens veulent juste pas. On se dit que s’ils déménagent un jour, ça va nous faire de nouveaux sites! Il y a plein d’autres sites qu’on veut faire, mais j’ai juste pas trouvé le bon fit entre l’artiste et l’endroit.

On essaie d’alterner, aussi. On a fait des spectacles dans la chapelle les autres années, mais cette année, on en fait pas. Peut-être que dans trois ans, on va ramener ce lieu-là. On veut alterner pour le public qui nous suit depuis, disons, la 9e édition et qui n’a jamais connu cette scène-là. Ce concept d’alternance va toujours nous permettre d’avoir du mouvement dans notre programmation.

 

De quels spectacles te parlent souvent les visiteurs comme ayant été des points marquants de l’histoire du festival?

C’est sûr que la première édition en 2010 avec Les Cowboys fringants, ç’a été super marquant. Quand on a été capables d’aller chercher le groupe australien Cat Empire pour la quatrième édition en 2013, ça nous a permis d’aller chercher du monde de Québec et de Montréal, alors que le festival était encore très local. Le spectacle de Fred Fortin en 2016 au bout du quai, on s’en fait beaucoup parler. Le spectacle-surprise de Patrick Watson et le spectacle au lever du soleil d’Avec pas d’casque l’an dernier… je dirais que ce sont tous des spectacles qui ont été marquants.

Patrick Watson au quai de Baie-Saint-Paul en 2018   (crédit : Caroline Perron)

Quels artistes ont été les plus difficiles à booker et que tu es vraiment content d’avoir réussi à attirer à Baie-Saint-Paul?

J’essayais d’avoir Gogol Bordello depuis des années et ça fonctionnait jamais. Ils jouent dans de gros festivals en Europe et aux États-Unis en juillet, et ça devait faire cinq-six ans que je voulais les avoir. C’est un groupe qui marche avec le vibe du Festif! alors on est très contents de les avoir cette année. Un que je n’ai toujours pas réussi à avoir, c’est Jean Leloup. On me le demande depuis le début. J’ai emménagé à Montréal à un moment donné et c’était mon voisin de bloc sur le Plateau. Je lui ai parlé, j’ai tout fait pour qu’il vienne et ç’a pas encore fonctionné. On le dit ouvertement qu’on veut le recevoir au Festif! Ça va peut-être arriver un jour.

 

Quand un festival grossit, ça devient facile d’approcher de plus gros noms. Est-ce que c’est dans les plans d’amener des artistes qui ont davantage de rayonnement international dans les prochaines années, tout en gardant le volet émergent?

J’étais dans ce dilemme-là cette année avec le 10e anniversaire. Je me suis posé la question: est-ce qu’on fait un plus gros show dans un champ? On est à la croisée des chemins. Les gens viennent beaucoup pour l’ambiance chaleureuse du Festif!. Si on grossit trop, on ne pourra plus faire de spectacles-surprises ni offrir de la bière locale et de la bouffe locale.

 

Quels ont été tes meilleurs moments au Festif!, tant comme directeur que comme amateur de musique?

Il y en a beaucoup. Le spectacle au lever du soleil d’Avec pas d’casque l’année dernière. Je doutais beaucoup si ça allait marcher, vu que le spectacle était à 4h30 du matin. De voir les festivaliers embarquer dans le concept, de les voir se promener dans le centre-ville à cette heure-là avec leurs oreillers et leurs sleeping bags… c’était un moment assez absurde. Pendant le reste de l’année, Baie-Saint-Paul c’est tranquille. La population est plus âgée et c’est beaucoup [axé autour] du commerce d’art figuratif. De voir des clashs comme ça, c’est toujours des beaux moments, parce que je me dis qu’on a réussi à faire sortir 1000 personnes dans la ville à 4h30 du matin.

 

Votre festival a toujours voulu créer un esprit de communauté, que ce soit en travaillant avec les entreprises locales ou en s’impliquant dans les écoles. Est-ce que c’était important de toi de ne pas juste être un festival pendant quatre jours, mais aussi de prendre part à la vie communautaire et d’avoir un volet développement social?

Je pense comme ça de plus en plus. Quand on fait de nouveaux projets, on essaie toujours de les faire en lien avec la communauté. Je pense que c’est important. On a la chance d’avoir une envergure et une grande crédibilité. Si on peut mettre ça à profit, c’est tant mieux. Avec Le Festif! à l’école, on voulait redonner à la communauté. On met aussi beaucoup de temps sur le Cabaret de la relève. Ce sont des spectacles dans une petite salle de 140 personnes, mais ça permet de développer notre public.

Le Festif! de Baie-Saint-Paul en 2013   (crédit : F. Gagnon)

Qu’est-ce qui t’anime intérieurement pour que tu t’investisses autant dans ce festival-là année après année?

Je suis un directeur avec un côté créatif. Ce qui m’anime, c’est de réinventer l’événement. Si je faisais un copier-coller de l’année précédente, probablement que je serais déjà plus là. Ce qui m’allume, ce sont les possibilités de repousser l’événement, de trouver de nouveaux concepts et de voir les gens vivre de nouvelles émotions. Cette liberté-là me drive beaucoup.

La reconnaissance du milieu qu’on a aussi. Je reste à Baie-Saint-Paul et je sors rarement. Les gens me demandent souvent combien de spectacles je vois par année et je leur réponds que j’en vois pas tant… je suis toujours ici ou presque! D’être dans la communauté et sentir l’appréciation des gens me motive beaucoup. Si on avait pas de feedback des festivaliers et des gens d’ici, ça serait difficile. Au final, on fait juste un festival, mais on a beaucoup de reconnaissance.