Retour sur 20 ans de MUTEK avec son fondateur
Cette année, MUTEK célèbre 20 années d’audace et de défrichement. Retour sur les débuts d’un grand festival en compagnie de son père spirituel et fondateur, Alain Mongeau.
De ses modestes débuts en 1999, MUTEK n’a jamais dérogé à sa ligne directrice qui est de diffuser et de développer des formes émergentes de la création numérique sonore, musicale et visuelle. Avec ses ramifications internationales – on compte désormais six MUTEK à travers le monde (Barcelone, Mexico, Buenos Aires, Tokyo, Dubaï et San Francisco) – l’événement est, depuis longtemps, devenu un incontournable du circuit mondial des musiques électroniques et des arts numériques, faisant preuve d’une intégrité exemplaire qui se traduit par une indéfectible volonté de garder le même esprit qui animait l’équipe à ses débuts.
MUTEK, nom qui tire ses origines de «mutations électroniques» bien plus que de «musiques électroniques», est né du désir de son directeur et fondateur Alain Mongeau de donner à la musique électronique et aux arts visuels numériques ses lettres de noblesse. «Au départ, il y avait cette idée de contribuer au développement de cette nouvelle discipline artistique qu’est le numérique, et pour cela il fallait doter cette discipline d’un festival qui lui corresponde», résume Alain Mongeau. «Donc par rapport à la musique électronique, on voulait présenter autre chose que l’aspect festif généralement associé à cette musique. Un des premiers gestes qu’on a posés était de présenter des artistes en performance live et non pas simplement en DJ. Encore aujourd’hui, 97% des artistes qu’on programme présentent des spectacles live».
Premiers pas
À ses débuts en 1999, le festival était situé autour du défunt complexe ExCentris sur le boulevard St-Laurent. Durant cinq jours, dont une partie coïncidait avec la vente-trottoir sur la Main, MUTEK a accueilli près de 30 artistes, dont plus d’une quinzaine venus de l’étranger. «Il y avait un volet plus créatif à ExCentris, une scène extérieure gratuite devant le Laïka, qui venait d’ouvrir, et le volet Nocturne plus festif au Café Campus. Et c’est encore ça aujourd’hui, sauf que chaque volet est désormais plus développé et assumé et que nous avons investi d’autres lieux. Pour la première édition, nous avons fait environ 2000 entrées sur les cinq jours. L’année dernière, nous avons fait plus de 35 000 entrées, avec 167 artistes impliqués dans 120 performances», se souvient celui qui admet être tombé dans la musique électronique au début des années 1990. «J’ai suivi tout le mouvement rave underground de l’époque jusqu’à l’explosion de la scène à partir du moment où les francophones se sont mis de la partie, parce qu’aux débuts c’était plus l’affaire d’une petite clique d’anglophones initiés. J’ai fréquenté plusieurs événements à l’étranger, dont le Love Parade de Berlin en 1992 ou 1994, je sais plus trop. Mais c’est justement à Berlin, après avoir participé au festival Interference qui se déroulait en parallèle à la Love Parade, que l’idée de créer un festival comme MUTEK a pris forme. Ça se passait au Tresor et c’était la première fois que j’assistais à un festival de musique électronique où il y avait plein de live et un petit catalogue avec des infos sur les artistes et dans lequel on expliquait leur démarche. Ça, c’était vraiment nouveau comme concept».
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Si 20 ans ont passé depuis la première édition, Alain Mongeau n’a rien oublié de ce qui a conduit à la naissance de MUTEK, lui qui fut un témoin privilégié des premières heures de la techno montréalaise. «Les années 1990 ont été très inspirantes, il y avait cette sorte d’euphorie et même d’utopie de trouver de nouveaux espaces et de nouvelles façons de consommer de la culture. J’ai été très attiré par le côté créatif qui s’exprimait durant les premières années du mouvement rave. À la fin des années 1990, ce mouvement a été pas mal récupéré, avec des clubs after-hours établis, ce côté purement festif et commercial… Donc tout ce qui pour moi avait été une source d’inspiration, toute cette créativité que je voyais s’exprimer à travers les premières dix années de la culture électronique, je trouvais qu’on en perdait un peu le fil et, par rapport à Montréal, j’étais un peu frustré car tout ce qui demeurait plus artistique au sein de cette culture se déroulait ailleurs. Ce qu’il se passait en Europe était pas mal plus inspirant et j’en étais venu à me dire que soit je déménageais, soit je m’arrangeais pour que ça se passe ici et mettre Montréal sur la carte pour dialoguer avec ce qu’il y avait ailleurs. MUTEK est donc né avec l’idée de garder et de développer ce côté créatif qui m’inspirait à l’époque. On a donc fait venir les créateurs étrangers qui nous allumaient à Montréal afin qu’ils soient en contact avec les créateurs d’ici».
Moments marquants
Comme pour bien des festivals à travers le monde, il s’est passé des choses magiques à MUTEK. Pour Alain Mongeau, chaque édition est mémorable et unique, mais il y a tout de même certains moments qui l’ont marqué plus que d’autres. «Y’a quelque chose avec MUTEK qui fait que les gens sortent toujours de ce festival un peu grisés. Je ne sais pas combien de fois j’ai entendu des artistes dire que leur performance a MUTEK a été l’une des plus marquantes de leur carrière. Je pense que c’est parce qu’on a un souci du détail et du travail bien fait, et qu’on aime prendre des risques. On essaye de donner aux artistes la qualité maximale pour que leurs œuvres ressortent le mieux possible et on les invite à se dépasser. Je pense que MUTEK a été un tremplin pour plein d’artistes, mais il y a eu aussi des dérapages monumentaux au festival, y’a des artistes qui se sont plantés et qui ne s’en sont jamais vraiment remis», admet celui qui a d’abord fait ses dents au sein de l’ISEA et du Festival du Nouveau Cinéma. «Comme événement marquant, j’évoque souvent la performance de Narod Niki en 2003. C’était un projet de Ricardo Villalobos avec Zip (Dimbiman). L’idée était de connecter plusieurs ordinateurs d’artistes par le biais du logiciel Ableton Live. C’était une toute nouvelle fonction de ce logiciel. Le but était de faire une sorte de jam collectif d’une dizaine de personnes sur scène. En plus, Robert Henke, qui est le créateur de Ableton Live, jouait au festival cette année-là; il s’est offert de mixer tout le monde, de servir de chef d’orchestre en quelque sorte. Donc à MUTEK on s’est arrangé pour que cette idée de Ricardo et de Zip puisse devenir réalité et on a fait venir tous les participants qu’ils désiraient avoir avec eux (Richie Hawtin, Akufen, Dandy Jack, Luciano, Cabanne, Dan Bell). Essayer de reproduire ça aujourd’hui avec les mêmes artistes serait presque impossible vu le prix que certains demandent pour jouer, rigole Alain Mongeau. «C’est l’archétype des projets qu’on aime faire à MUTEK».
20 bougies
Si la plupart des festivals soulignent de façon grandiose leurs dates charnières, l’équipe de MUTEK a opté pour une offre diversifiée plutôt que de miser sur quelques gros noms vedettes. «Pour cette 20e année, on a voulu densifier le contenu. On a intégré le Forum IMG, qui est un événement plus professionnel avec des conférences et des ateliers. Normalement, on le présente en dehors du festival, mais cette année on l’a intégré à cette 20e édition. C’est carrément un deuxième événement, avec autant sinon plus de contenu, qui vient se greffer au festival! Il y a aussi un volet exposition beaucoup plus développé avec une douzaine d’installations, huit œuvres en réalité virtuelle, et le projet spécial ISM Hexadome au MAC, une installation monumentale avec six écrans et 54 speakers, pour laquelle dix œuvres immersives ont été crées», s’enthousiasme le fondateur du festival. «Niveau performance, on investit les studios des 7 Doigts de la main sur St-Laurent ainsi que l’Agora du Coeur des sciences, tout en demeurant bien présent dans le Quartier des spectacles. D’ailleurs, cette année, on présente un volet extérieur gratuit sur l’Esplanade de la Place des arts beaucoup plus étoffé que lors des précédentes éditions. Presque 25% de la programmation se retrouve sur la scène extérieure. C’est à mon avis la meilleure façon de découvrir MUTEK et c’est notre cadeau aux Montréalais. On est en plus quatre soirs à la Place des arts pour notre volet A/Vision et on présente en ouverture deux concerts en son immersif de Monolake dans la pyramide PY1. En terme de contenu, il y aura toutes sortes de clins d’oeil au passé de MUTEK, dont Akufen – le seul artiste de la première édition présent à cette 20e – qui fera une performance live qui sera plus ou moins commémorative des 20 ans de la sortie de son disque My Way; sans oublier le projet Circle of Life au MTelus, qui est un peu une réponse au projet Narod Niki, soit une sorte de collectif de performances improvisées qui s’échelonneront sur six heures et menées par Sebastian Mullaert (Minilogue).
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Retour vers le futur
Sourire en coin, Alain Mongeau espère ne plus être à la barre de MUTEK dans 20 ans, mais il demeure persuadé que le festival sera toujours là, s’il sait se renouveler. «Comme les créateurs vont toujours se renouveler, c’est à nous de suivre ces mutations, mais avec la mission qu’il s’est donnée, MUTEK demeurera aussi pertinent qu’il l’est dans 20 ans. On a contribué à ce que la musique électronique puisse obtenir une certaine respectabilité en montrant tout l’aspect créatif et sérieux derrière celle-ci, c’est là un de nos plus grands accomplissements. Le fait que le festival se retrouve dans six villes à l’étranger est aussi une autre forme de reconnaissance du travail qu’on fait. Désormais, un réseau international s’est mis en place, ce qui permet une circulation très intéressante pour plusieurs artistes», conclue Alain Mongeau. «Si, aujourd’hui, y’a des festivals à longueur d’année dans le même créneau, il n’y en a pas tant que ça qui font le même travail que nous. MUTEK continue à tirer son épingle du jeu; il demeure un événement fort respecté et unique en Amérique du Nord».