Evelyne Brochu : Se donner le droit
Ça aurait pu être une idée lancée au détour d’un verre de rosé, un projet de l’ordre du fantasme qui ne se réaliserait jamais vraiment. Or, avec Objets perdus, Evelyne Brochu se commet et plonge vers l’inconnu. On la découvre sous des traits de chanteuse et, franchement, ce nouveau titre lui va comme un gant.
Evelyne Brochu est douce et posée, précisément à l’image de ce qu’elle laisse transparaître à l’écran lorsqu’elle ne prête pas sa tête et ne donne pas corps aux personnages qu’on lui offre de jouer. Calme, sereine, à mille lieues de sa Sarah dans Tom à la ferme de Xavier Dolan, elle est débarquée dans ce garage sablonneux du Mile Ex, lieu improbable auquel elle s’est acclimatée très vite, prenant bien soin de saluer tout le monde, vêtue d’une longue robe à pois couleur de rouille qui aurait fort bien pu faire l’affaire à l’occasion de cette séance photo. Dotée d’un sens du style indéniable, mais également d’une présence à la caméra qui aurait de quoi faire pâlir d’envie les recrues de Tyra Banks, l’actrice aux talents de vocaliste et à l’inclinaison de poète a aussi l’étoffe des plus authentiques mannequins. Y a-t-il seulement une discipline dans laquelle elle n’excelle pas?
Cette rentrée, pour elle, en sera toute une. À peine remise de l’ouragan La femme de mon frère, le film de Monia Chokri dans lequel elle campe le rôle-titre, voilà que l’artiste pluridisciplinaire s’apprête à lever le voile sur Objets perdus, un disque enregistré aux côtés de Félix Dyotte. Celui-là même qui, de temps en temps, jette ses mots à la gueule de Pierre Lapointe (son équipier pour Le désordre de ta chambre) en plus de nous avoir émus au sein de Chinatown et en son propre nom. Un allié de taille, il va sans dire, mais surtout une amitié qu’Evelyne cultive depuis la fin de la dizaine, du temps où elle était cette aspirante comédienne. Cette collaboration allait de soi, certes, mais elle lui fait, en outre, l’effet d’une madeleine de Proust. «J’ai l’impression qu’on a tous les âges en même temps. On a grandi côte à côte artistiquement. Ça devient comme un espèce de temps artistique où on a à la fois 19 et 36 ans. Comme on s’est construits ensemble, on a les mêmes référents, cette façon qu’on a de parler de cette âme partagée qu’on a, lui et moi. Je crois aussi qu’on est nostalgiques. Moi, je le suis terriblement. Des fois, je vis des affaires et je suis déjà nostalgique en pensant à quand ce sera fini, comme de la prénostalgie. […] C’est comme si on avait remonté le temps parce qu’on a sorti ensemble aussi, brièvement, quand j’étais au Conservatoire.»
Par-delà le Flashback adolescent, et on cite ici le titre de la piste 9, ce premier long-jeu s’inscrit comme un parfait imprévu, une surprise. Evelyne n’avait jamais, sur les bancs d’école et jusqu’à tout récemment, réellement entrevu la possibilité de faire paraître un disque. L’idée lui aurait même paru carrément farfelue, improbable. Ce n’était pas dans ses plans. «Félix, c’était le musicien et moi j’étudiais en arts dramatiques au cégep Saint-Laurent, c’était l’année de Magalie Lépine-Blondeau, d’Emmanuel Schwartz. À l’époque, c’est Félix qui m’invitait toujours à chanter avec lui. J’étais sa choriste. On faisait des shows dans les bars à L’Inspecteur Épingle et tout ça. C’était déjà commencé, mais à ce moment-là, j’avais l’impression que c’était seulement à son invitation que j’avais le droit de me permettre ce plaisir-là. Je pense, encore maintenant, que c’est ça qui a fait que j’ai eu le courage de dire oui. C’est parce qu’avec lui, je me sens plus libre artistiquement, même pour écrire. Il m’a beaucoup encouragée. Ce gars-là me donne comme une espèce de permission et, en plus, son talent me donne la capacité de me dire que ça va donner quelque chose de bon. […] Même si je suis plus à l’avant, c’est parce qu’il est là que je me sens protégée. C’est vraiment lié à lui, intrinsèque à cette histoire d’amitié là, cette connivence artistique.»
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Préalablement à l’enregistrement de cet album solo, l’auteure-interprète avait posé sa voix sur Je cours, un extrait de l’album Politesses, de Félix toujours, en plus de lui offrir ses mots, les vers qui allaient donner naissance à la chanson Les gens sont décevants. Cette fois, en vue du grand saut, Evelyne cosigne les textes de Sept jours exactement et Escale à Madrid. Sa plume ne repose jamais trop loin.
L’immanquable complexe
On pourrait réellement avoir du mal à le croire, à la voir ainsi poser avec autant d’aisance, à l’entendre entonner ces paroles d’une voix feutrée, habitée des thèmes, mais notre tête d’affiche de septembre admet, et sans fausse modestie, qu’elle se prend aussi à douter. Personne, pas même les plus solides, n’échappe au proverbial syndrome de l’imposteur. «L’important, c’est d’être transporté soi-même par les images pour être capable d’embarquer les autres. C’est ça, ma force à moi. Je suis pas quelqu’un qui chante depuis 10 ans, j’ai pas la prétention d’être une chanteuse de métier, mais j’ai un autre métier en arrière qui peut me permettre de dire ce que je suis en chansons, peut-être. […] L’important, c’est d’avoir de l’humilité et de se dire qu’il y a du monde qui a ten thousand hours, une sorte de professionnalisme qui rentre avec le temps. Moi, ça fait 10 ans que je suis actrice et je réalise tout le chemin parcouru. Peut-être qu’un jour, comme chanteuse, je me rendrai compte de la même chose? Pour l’instant, j’ai l’impression d’être à mes débuts, sauf que je suis très bien accompagnée et que j’ai beaucoup de plaisir. Ça m’aide à me sentir en confiance. J’ai le goût de le faire avec courage!»
Avec Objet perdus, Evelyne Brochu n’aborde pas ses lignes à la manière de répliques, d’un rôle de composition au théâtre ou au cinéma. Impudique et entière, elle lance ce bouquet de pistes comme d’autres retirent leurs masques. Et ce qu’il y a en dessous, justement, valait vraiment la peine d’être montré.
Objets perdus
(Grosse Boîte)
Sortie le 20 septembre
Evelyne Brochu sera du spectacle d’ouverture du FIL,
Nelly & Sylvia
Les 20 et 21 septembre
À la Cinquième salle de la Place des arts
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