Quand la rareté fait grimper le prix d'obscurs vinyles québécois
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Quand la rareté fait grimper le prix d’obscurs vinyles québécois

Nombreux sont ceux qui ont entendu parler des opus cultes de Champignons, Les Lutins, Les Sinners et Les Misérables, mais quels sont les autres disques que les collectionneurs s’arrachent? 

Il en va de ces secrets que les passionnées gardent jalousement parce que l’économie du disque usagé, plus imprévisible encore que le marché de l’art, fluctue à une vitesse folle. Dans une industrie aussi petite que celle du Québec, et une enclave linguistique de surcroît, le monde des vinyles vintage a de quoi fasciner. 

J’ai commencé ma petite enquête sur la rue Saint-Jean à Québec, chez un disquaire qui a vu neiger, Sonny Maheux de la boutique qui porte son prénom. En affaires depuis 28 ans, il a connu l’ère pré-internet, celle d’avant Discogs, PopSike et les autres, ces outils permettant d’estimer le coût d’à peu près tous les disques qui existent dans le vaste monde en un seul clic. Habitué de vendre du neuf, parce qu’il a d’abord travaillé chez Archambault avant d’être à son compte, le commerçant a appris sur le tas. « Plume Latraverse a fait un album pour enfants en 1981 qui est seulement sorti en France. L’aventure de Wai Wai le castor canadien. Ça, tu vois, c’est très rare, très recherché. La première année, quelqu’un me l’a offert pour 10$. J’ai dit non et je l’ai tellement regretté!» Ce n’est que quelques mois plus tard qu’il prend la pleine mesure de la valeur de ce disque québécois sur le marché international – à partir de 475$ (cette semaine) sur Discogs.

Au début des années 1990, se souvient-il, du temps où on n’avait même pas de CD-ROM AOL pour se connecter en ligne, des touristes asiatiques traversaient déjà le Canada, de Vancouver à Québec, en arrêtant par Toronto et Montréal, en quête de perles rares. Ils étaient hyper bien informés. De son tiroir-caisse, Sonny sort un paquet de papiers de l’époque, dont les inscriptions ont été faites à la dactylo. Cette liste vaut de l’or. «Ça, c’était à une Japonaise qui venait toutes les années. […] C’est vraiment les raretés, les trucs québécois et canadiens. Il y a des albums psychédéliques introuvables. C’est toujours des disques à 300$, 500$ et plus. Encore aujourd’hui. Comme Ellison, comme The Haunted et particulièrement les 45 tours pochette.»

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      Rox Arcand, son homologue de la Basse-Ville, fait le même métier, depuis 2013. Musicienne à ses heures (au sein de feu Machinegun Suzie notamment) et co-propriétaire du Knock-Out sur la rue St-Joseph, elle estime que le marché de la revente peut être mal compris. «Souvent, les gens vont penser que les disques de Elvis valent très cher parce qu’il est connu. Mais ça n’a pas nécessairement rapport. Le prix d’un vinyle va grimper en fonction du nombre de copies qui ont été faites. Des disques de Elvis, il y en a tellement eu que ce n’est pas une denrée rare, à moins que tu aies le premier pressage de la première affaire qu’il a enregistré. Là on devient plus picky. C’est pour ça que le foutu de Boule de son vaut aussi cher!»

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      D’ailleurs… comment est-ce qu’un disque comme celui Boule de son, un projet de folk progressif pastoral des années 1970, puisse atteindre des prix aussi élevés et même si ce n’est pas, disons, le style musical le plus en vogue? J’ai posé la question à Christophe Charest-Latif, lui-même musicien au sein de Mort Rose, mais en ses qualités de disquaire Aux 33 tours, à Montréal. 

      À la lumière de ses explications, je réalise qu’il y a, par la force des choses, une genre de corrélation entre l’étrangeté d’une proposition artistique et sa rareté. Ce n’est pas une règle absolue, mais ça arrive assez régulièrement. «Les pressages privés, des trucs qui ne sont pas parus sous des compagnies de disques ou sur des genres de labels qui sont en fait des place holder, juste le temps de publier un ou deux disques, vont être très recherchés des collectionneurs centrés sur le marché local.»

      Sébastien Desrosiers, collectionneur depuis une vingtaine d’années et codirecteur de l’étiquette de réédition Trésor National raffole lui aussi de pressages privés, de ces disques souvent autoproduits pour une bouchée de pain. «Ce sont des histoires fantastiques, ce sont pas juste des ragots. C’est monsieur-madame-tout-le-monde qui met l’épaule à la roue et qui fait un album avec de la sueur et un peu de cash.»

       

      Où sont les femmes? 

      De tous les albums cités en exemple par ces quatre spécialistes (voir la liste ci-dessous), rares ou inexistants sont ceux qui sont le fruit de projets portés par des dames ou qui, en tout cas, placent des autrices-compositrices et / ou interprète à l’avant-plan.

      Macho, le monde des collectionneurs? « Souvent, ce qui va les interpeller, ce sont les disques qui vont avoir gagné un statut culte depuis très longtemps, quelques décennies, détaille Sébastien, non pas sans en soulever l’aspect sexiste de la chose. C’est souvent des albums un peu marginaux, des gars qui sont un petit peu plus extravertis. Dans les années 1960, c’était rare de voir des frontwomen dans le rock et particulièrement au Québec. Dans les années 1970, il y en a pas tant que ça non plus. Il y a toujours comme 9 gars pour 1 fille dans ce milieu-là.»


      À acheter sans hésiter si vous les voyez dans le bac à 1$ chez Renaissance 

       

      Dino Pacifici
      Become a Man (1979)
      Prix moyen sur Discogs: 363$

      «Je te jure. Si tu mets ça en une belle journée ensoleillée et n’importe qui va dire ‘’holy crap, c’est quoi ça? C’est ben bon!” C’est une autoproduction d’un producteur montréalais, il a fait peut-être cent exemplaires et c’est une vibe AOR, comme on appelle, Adult Oriented Recording. C’est de la musique adulte de la fin des années 1970 début 1980 et ça revient aujourd’hui, avec Les Louanges notamment. » – Sébastien Desrosiers

       

      IKO
      83’ (1982)
      Prix moyen sur Discogs:  97$ 

      «C’est un trio montréalais qui donne dans l’électro minimal synthwave. C’est peut-être pas le vinyle qui vaut le plus cher, mais c’est quand même quelque chose de rare. Souvent rareté et haut prix vont de pair, mais pas toujours.» – Rox Arcand 

       

      Angelillo et Hamel
      Complicité (1974)
      Prix moyen sur Discogs: 107$

      «Dans le jazz, tout ce qui concerne la scène montréalaise des années 50-60 est très recherché. Ça vaut de l’argent. Il y a même eu des Québécois de Québec. Angelillo et Hamel, par exemple. Hamel, c’était un dentiste de Québec.» – Sonny Maheux

       

      1001 Crémazie Est (1975)
      Prix moyen sur Discogs: 283$

      «Je n’ai jamais vu ce disque-là en vrai, personnellement, mais évidemment je le recherche pour ma collection personnelle. On peut considérer que c’est extrêmement rare. C’est un pressage privé, c’est comme la perle rare dans le style jazz fusion un peu funky au Québec. Pourquoi c’est aussi recherché à l’international, c’est qu’il y a un excellent break de batteries.» – Christophe Charest-Latife

       

      Jean-Marie Delavalle
      Une demi-heure (1973)
      Prix moyen sur Discogs: 238$

      «Ça, c’est un album qui existe à 100 exemplaires. […] Jean-Marie Delavalle, un artiste visuel minimaliste, avait sorti ça en lien avec une exposition de photos de ses promenades sur la Rive-Sud de Montréal. Le micro a été tapé comme on le voit sur la pochette. C’est juste le bruit un peu sourd de lui à vélo et les moments où il freine et change de vitesse. That’s it!» – Sébastien Desrosiers

       

      The Wipers
      Nome Noma (1980)
      Prix moyen sur Discogs: 200$

      «Patrick Bourgeois était dans un band punk avant Les B.B.. Il y a un gars de Québec, Martin Tremblay, sur Meanbean, qui a ressorti leur album en 7’’. L’original est extrêmement rare. La seule personne que je connais qui l’a dans sa collection, c’est Pascal Pilote de Total Crap.» – Rox Arcand 

       

      Roger Rodier
      Upon Velveatur
      Prix moyen sur Discogs: 261$

      «Il y a une grosse distinction dans le marché pour les disques québécois en français et ceux en anglais.  Je pense à un disque de folk d’un type qui s’appelle Roger Rodier… Lui, c’est sorti sur un major label, sur Columbia, mais malgré ça, comme le marché du rock québécois anglophone était tellement petit à cette époque-là, ça fait en sorte que très peu de copies qui ont été vendues.» – Christophe Charest-Lafite

       

      Michel Rivard 
      La vraie vie / Belle journée pour un suicide (1972)
      Prix moyen sur Discogs: inconnu (la fiche vient d’être créée par Sébastien)

      «Ce 45 tours-là a jamais été réédité ou inclus à n’importe quelle compilation de Beau Dommage pour la simple et bonne raison que c’est pas vraiment sorti dans le temps. Polydor, par contre, n’a jamais eu le temps de le distribuer dans les magasins donc ils ont envoyé quelques dizaines de copies dans des stations de radio et ça a été tout. » – Sébastien Desrosiers

       

      Plume et le Docteur Landry
      Triniterre (1971)
      Prix moyen sur Discogs: 93$

      «Je l’ai eu en boutique quelques fois. Si je publie une vidéo avec ce disque-là sur la page Facebook du Knock Out, c’est sûr que ça va faire le line-up pour l’avoir, pour mettre la main dessus. » – Rox Arcand

       

      Peter Tessier
      By Turning A Knob (1973)
      Prix moyen sur Discogs: 619$

      «C’était un producteur, un spécialiste en enregistrement et il a travaillé comme ingénieur de son sur beaucoup de disques de variétés québécois, des trucs qu’on connaît très bien. Je veux dire, il travaillait beaucoup dans l’ombre. Il a fait un seul album en son nom. […] Ça, c’est le genre de disque absolument introuvable que même les gros collectionneurs québécois n’ont pas nécessairement.» – Christophe Charest-Lafite

       

      Boule de son
      Just’en passant (1975)
      Prix moyen sur Discogs: 250$

      «C’est un groupe de folk pastoral de Montréal qui avait fait un album à leurs frais […] Ils pratiquaient dans une église donc je crois que c’est pour ça qu’on les associe surtout à la scène religieuse. C’est innocent, naïf et tout, mais les gens cherchent ça parce qu’il y a une ou deux tracks dessus qui est un peu plus progressive avec de la guitare et tout..» – Sébastien Desrosiers

       

      Les comtes Harbourg
      Jeune fille de couvent (1968)
      Prix moyen sur Discogs: 100$ 

      «Quand Serge Fiori est venu faire une séance d’autographes au 33 tours, il était comme estomaqué que quelqu’un ait ce 45 tours-là. Je pense que lui-même en n’a pas une copie. Pour lui, c’est comme un projet de Cégep. […], c’est un peu une joke, mais il était vraiment impressionné de voir ça. Il doit avoir moins d’une cinquantaine de copies répertoriées, je suis assuré.»  – Christophe Charest-Lafite

       

      Oliver Klaus 
      Homonyme (1970)
      Prix moyen sur Discogs: 256$ 

      «C’est un groupe de Waterloo, pas loin de Montréal. Il y avait quand pas mal de groupes rock là, je te dirais. Oliver Klaus a sorti ça, ils en ont fait peut-être quelques centaines d’exemplaires. Ils les vendaient uniquement à leurs shows. » – Sébastien Desrosiers

       

      Après-Ski (1971)
      Prix moyen sur Discogs: 135$

      « Sur Après-Ski, il y a une bonne chanson ou deux, mais sinon c’est un disque plutôt ordinaire. À part l’espèce de grosse toune funk sur le deuxième côté… Ce qui fait la rareté, c’est plutôt l’histoire autour.» – Christophe Charest-Lafite

       

      Agapè
      Le Troisième Seuil (1972)
      Prix moyen sur Discogs: 133$

      « Cet album-là, c’est comme l’apothéose de la messe à gogo! […] René Dupéré, l’un des membres du groupes, a été dans l’aventure du Cirque du Soleil pendant plusieurs années et il va faire la musique d’Alegria et plein d’affaires comme ça.» – Sébastien Desrosiers