Refused, le groupe hardcore toujours en colère
Musique

Refused, le groupe hardcore toujours en colère 

On a parlé d’économie, de Greta Thunberg, de la jeunesse connectée et un peu de musique avec Dennis Lyxzén, le chanteur du groupe suédois Refused, avant son spectacle au Théâtre Corona. 

Trente ans après ses débuts, le groupe hardcore suédois Refused, actuellement en tournée pour défendre l’album War Music, n’est pas près de baisser les poings dans sa croisade contre le capitalisme. 

Dennis Lyxzén nous accueille dans le salon à l’arrière de leur bus de tournée, propre et confortable. Il est toujours fascinant de constater le contraste entre l’homme calme, délicat et sympathique qui parle d’une voix posée, son tapis de yoga à portée de main, et la bête de scène qui va hurler toute sa rage et sauter partout dans quelques heures. Leur tournée vient de commencer et Dennis semble heureux d’être là. En plus, il y a un restaurant végétalien de l’autre bord de la rue, il n’aura pas à se déplacer très loin pour manger. 

On parle de musique engagée. Même après toutes ces années, il est loin d’être en manque d’inspiration. « Regarde le monde aujourd’hui. Tu n’as pas le choix d’être en colère. Si tu n’es pas fâché par ce que tu vois, c’est que tu dois être une personne avec bien des privilèges. » 

Activisme et médias sociaux

On entre dans le vif du sujet en parlant d’activisme, en référence à la chanson Blood Red et ses paroles sans ambiguïté : « let action speak, dreams are not gonna set us free ». On lui demande s’il a de l’espoir dans les nouvelles générations, interconnectées mais moins engagées dans un sens. Le nez perdu dans des téléphones, comme il le mentionne dans la chanson Economy of Death : « Lapdogs of tyrants collude to further their fucking greed, You sit at home refreshing the end of history feed »

« C’est cette idée bizarre de l’activisme avec des likes sur Instagram. C’est un peu problématique, mais je comprends aussi que c’est difficile de combattre le pouvoir. Je pense que beaucoup de gens se sentent impuissants et ont peur que leur voix ne soit pas entendue. Mais si tu travailles huit heures par jour et que tu as une assurance sociale, c’est que des gens se sont battus pour toi. » 

 Les médias sociaux sont un bon moyen de distraire les gens, de les faire se battre les uns contre les autres à propos de choses insignifiantes ou presque, et de détourner leur attention de ce qui se passe plus haut. 

La conversation dévie sur l’aspect superficiel du monde numérique, des gens plus occupés à écrire des commentaires qu’à faire réellement avancer les choses. « Les médias sociaux sont un bon moyen de distraire les gens, de les faire se battre les uns contre les autres à propos de choses insignifiantes ou presque, et de détourner leur attention de ce qui se passe plus haut. » 

Le musicien suédois souligne la beauté du combat de Greta Thunberg, la militante écologique qui suscite bien des débats, parfois plus sur elle que sur sa cause. « C’est une tactique de diversion courante. Quand quelqu’un est très en colère à propos d’une injustice et jette la pierre, les gens pensent tout de suite que cette personne est folle, au lieu de questionner la source de sa colère. C’est un peu ce qui se passe avec Greta. Ce sont les sujets dont elle parle qui doivent nous intéresser, pas la manière dont elle vit. »

Une distraction qui profite à certains, juge le chanteur. « J’ai de l’espoir, mais en même temps je sais que des gens à Dubaï sont en train de concevoir une super ville où les super riches pourront se réfugier quand le monde sera foutu. On peut se battre pour empêcher ça, sauver cette planète, ou bien dans 50 ans on sera dans Mad Max. »

Refused, le 24 février dernier au Théâtre Corona. Photo : Thomas Mazerolles

Le pouvoir de la musique, l’importance de faire réagir

 « Au final, on est un groupe de musique. Et dans un monde où la politique et l’économie sont des choses si abstraites, si tu peux aller dans un concert, regarder autour de toi et te dire que t’es pas seul, que tous ces gens qui t’entourent se sentent comme toi à propos du monde, c’est quelque chose de puissant », affirme le chanteur. Avec son groupe, il espère inspirer les gens à ouvrir un livre, former un groupe, créer quelque chose.

 Si tu as peur des critiques et des réactions virulentes, ne fais pas de musique engagée. Ça fait tellement longtemps qu’on fait ça, c’est l’inverse : si on sort quelque chose et que les gens ne réagissent pas, on se demande ce qui se passe! Pourquoi les gens ne sont pas en colère? 

Même Refused n’est pas à l’abri des critiques faciles. « ’’Vous vendez des t-shirts, vous êtes capitalistes!’’ [rires] Les propriétaires de la maison de disques, c’est eux les capitalistes. Nous au final on cherche juste à payer nos loyers et nos factures, comme des travailleurs. » Mais selon Dennis, ça fait partie du jeu quand tu es un groupe engagé. « Si tu as peur des critiques et réactions virulentes, ne fais pas de musique engagée. Ça fait tellement longtemps qu’on fait ça, c’est l’inverse : si on sort quelque chose et que les gens ne réagissent pas, on se demande ce qui se passe! Pourquoi les gens ne sont pas en colère? », s’exclame le chanteur en riant.

« Peu importe ce qu’on fait, ce qui compte c’est d’ouvrir une conversation, de confronter des idées. J’aimerais pouvoir vivre les choses que je chante, vivre dans un monde tel que je l’imagine, mais ce monde n’existe pas. Je dois vivre du mieux que je peux dans ce monde qui existe », conclut celui qui ira s’époumoner sur scène dans quelques heures. 

Photo : Thomas Mazerolles

Dennis nous confie qu’il espère bien continuer à écrire, à sortir des albums et à tourner avec Refused. Et lundi soir, le public montréalais a répondu présent. Une foule nombreuse et survoltée, un mosh-pit incessant, les poings dans les airs aux hymnes du groupe comme Rather Be Dead ou New Noise

Une solide prestation du groupe suédois et de leur chanteur, qui n’hésite pas à plonger dans la foule pour traverser la salle. Refused est toujours rassembleur et créateur d’une puissante énergie. La voix des 99% se fait entendre.