En culture, la diversité est la grande absente de la relance
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En culture, la diversité est la grande absente de la relance 

Selon le directeur général de Diversité Artistique Montréal Jérôme Pruneau, il faut déconstruire et décoloniser la façon dont on aborde l’art pour réellement appuyer les artistes de la diversité. 

Ces derniers jours, on a vu le milieu culturel se mobiliser pour venir en appui au mouvement #Blacklivesmatter. Plusieurs artistes, étiquettes de disques, festivals, et autres, ont publié sur leurs réseaux sociaux des déclarations d’appui et de soutien aux communautés noires, et plus largement, aux minorités visibles. 

Afin d’approfondir la réflexion, VOIR s’est entretenu avec Jérôme Pruneau, le directeur général de Diversité Artistique Montréal (DAM). L’organisme a pour mandat d’accompagner les artistes immigrants et racisés à travers du mentorat et des formations pour les aider à intégrer le milieu artistique. En plus de cette mission, le DAM offre des formations aux organismes culturels, comme les diffuseurs, les producteurs et les compagnies de théâtre, pour les aider à être plus inclusifs. 

«En ce moment, je me bats parce que dans toutes les discussions de la reprise en culture, la diversité est nulle part», déplore M. Pruneau. 

VOIR: Comment être un allié aux minorités visibles en culture, surtout ces temps-ci? 

Jérôme Pruneau: La première chose, c’est d’être dans l’action. Elle peut être aussi petite que d’intervenir pour briser des systèmes d’oppression autour de soi. La deuxième, c’est de s’autoformer et de libérer les personnes racisées de cette charge de toujours devoir expliquer ce qu’est le racisme, de dire que ça existe, de devoir se battre. 

Je suis horrifié d’entendre notre premier ministre dire qu’il n’y a pas de racisme systémique au Québec. Si on ne reconnaît pas, on est dans le déni. Si on est dans le déni, on n’est pas dans l’action. Il faut reconnaître ces enjeux. Il faut les nommer, avec de vrais mots: pas de la discrimination systémique, c’est du racisme systémique. Ensuite, il faut s’engager. 

Les personnes racisées en parlent depuis des années, des décennies. On ne les écoute pas. 

Dans le milieu artistique plus précisément, que doit-on changer?

On considère l’excellence artistique en fonction de comment on apprend à faire de l’art ici, de ce que l’on considère être de l’art, et après on met tout le reste dans de grands sacs… On parle de «l’art africain», on ne sait pas vraiment ce que c’est… La musique du monde, même chose. On doit déconstruire nos façons de penser, nos critères d’excellence et nos façons d’attribuer des subventions. 

Dans l’investissement de 400 millions en culture annoncé lundi, il n’y a aucune enveloppe dédiée aux enjeux de la diversité. Les personnes qui avaient de la difficulté à avoir accès aux ressources, qui sont des personnes de la diversité, ne vont pas plus avoir accès à ces ressources-là. Sur l’enveloppe, il y a 5 ou 6 millions qui sont attribués à l’Union des artistes via le fonds d’urgence aux artistes. Qui va avoir accès à ça? On sait qu’il y a tout un tas d’artistes, pour toutes sortes de raisons, qui ont plus de mal à devenir membre de l’UDA que d’autres. Même chose pour l’ADISQ. On reproduit l’inégalité et la difficulté d’accès.  

J’avais fait l’exercice en 2015 de faire le constat de la diversité dans les arts et la culture au Québec. J’avais pris 17 organisations, dont le Quartier des spectacles et compagnie, et j’avais regardé la composition des conseils d’administration: c’est tout blanc! Alors qu’une personne sur trois à Montréal s’identifie comme une minorité visible. 

Aujourd’hui, une organisation culturelle montréalaise devrait avoir trois ou quatre personnes issues de la diversité dans son conseil d’administration de dix personnes.

Avez-vous remarqué que des profils subissent plus de discrimination que d’autres en culture?

Ce sont toujours les mêmes: les artistes qui ont des pratiques plus éloignées de celles qu’on considère comme l’excellence. On a toujours l’impression que la contemporanéité nous appartient, mais elle existe en Afrique, en Asie, partout! Simplement, on a l’impression que ce n’est pas de l’art ou de l’art contemporain quand ça sort des références eurocentrées et nord-américaines. On relègue ça à l’exotisme, au folklorisme, à l’amateurisme… 

Encore une fois, c’est de changer de prisme, et de se décentrer. C’est ce que le Conseil des arts du Canada a fait avec les Autochtones. On a dédié des fonds pour qu’ils s’auto-évaluent et s’auto-distribuent les bourses. Il faut penser à des initiatives de ce type-là pour les artistes de la diversité qui ne rentrent pas dans l’excellence dite d’aujourd’hui. Ou alors, il faut penser à toute la question d’excellence au regard des multitudes façons de faire. C’est ça la décolonisation. 

Quels sont les côtés cachés de la discrimination dans le monde de la culture? 

Le problème des syndicats, comme à l’AQTIS où on va travailler à l’ancienneté, donc nécessairement ceux qui ont du mal à rentrer vont accumuler les difficultés. Tous les systèmes où le choix est lié à l’individu et non pas à des comités représentatifs. 

Personnellement, et c’est l’anthropologue qui parle, l’analyse que je fais, c’est que le milieu des arts au Québec a participé énormément à la constitution d’un imaginaire de peuple québécois très nationaliste. Cette représentation du «nous», cet imaginaire collectif, n’a jamais évolué. Quand on parle de Québécois, les gens imaginent un blanc francophone, catholique avec accent. Ils font fi d’un Québécois sur huit. On n’a pas intégré dans la représentation des arts, le rapport à l’autre. Je le vois au niveau des acteurs qui n’ont pas l’accent québécois, c’est énormément compliqué de travailler. Toutes les personnes racisées nées ici souffrent énormément. 

À DAM, on ne les appelle plus «deuxième génération» d’ailleurs, parce que c’est encore de mettre une étiquette d’immigrant à des gens qui sont nés ici. Dans l’imaginaire, on développe l’idée que ces gens-là sont immigrants, alors que non, ce sont leurs parents qui ont immigré. Ils sont Québécois. Il faut transformer notre vocabulaire raciste, avec les expressions: Québécois de souche, pure laine, etc. Elles produisent un «eux» et un «nous» qui est très violent. C’est pour ça qu’on préfère dire les artistes «dits de la diversité». 

Avez-vous des exemples positifs?

Il faut transformer nos imaginaires et certains producteurs américains l’ont compris. Shonda Rhimes, par exemple. Sur Netflix, si vous regardez Sex Education ou Have I Never Have, ce sont des castings hyper diversifiés: il y a des personnages de couleur, des personnages de différentes orientations sexuelles, des personnages handicapés. C’est hyper représentatif! Et c’est ce que je dis aux producteurs ici: vous perdez de l’argent tous les jours parce que les gens vont consommer ailleurs parce qu’ils ne se voient pas! 

Justement, on aurait l’impression qu’avec des plateformes comme Netflix où on regarde des séries qui viennent d’ailleurs avec des acteurs inconnus et des castings diversifiés, que les producteurs oseraient plus. 

Absolument! Parce que c’est ça le cinéma. C’est la projection d’un «nous» dans lequel on vit des émotions. Et ce nous-là peut tout à fait être Noir, à partir du moment où les émotions qu’on nous fait vivre nous ressemblent. 

Je ne comprends pas encore qu’ici, on est dans des rôles clichés et qu’on n’arrive pas à se sortir de ça. J’ai entendu des scénaristes dire qu’ils ne connaissent pas les communautés et qu’ils ne vont pas écrire sur ce qu’ils ne connaissent pas. On ne dit pas ça, et déjà, si tu veux écrire sur les communautés, consulte les communautés! Si ce n’est pas le cas, écris juste une histoire où il y a plein de personnages. On s’en fout de leur origine.  

Est-ce que vous avez quand même de l’espoir par rapport au futur? 

J’avoue qu’en ce moment, avec la crise, pour la première fois, – et ça fait huit que je suis à la tête de DAM -, je suis un peu démoralisé. Avant la crise, on était très contents et très fiers des efforts qu’on avait faits parce que ça commençait à bouger. Et là, j’ai l’impression qu’avec les relances, on fait un bond de 15 ans en arrière.

Je vais vous donner le scénario pessimiste: s’il n’y a pas d’enveloppe dédiée aux artistes issus de la diversité, qui, comme on le sait, sont dans les plus grandes difficultés, ces gens-là vont faire quoi? On commence justement à les sonder. Ils vont quitter le métier parce qu’ils n’en peuvent plus. On revient 15-20 ans en arrière parce qu’on va blanchiser nos salles, nos scènes, qui étaient déjà bien blanches. On va perdre des gens, des talents racisés qu’on ne voyait déjà pas beaucoup et s’ils désertent le métier, on ne les verra plus. 

Juste ça, ça me déprime. Je ne vais pas lâcher, mais j’avoue que c’est parfois difficile.