De l'autre côté de la rue, ce matin, quatre gaillards démontent un mur de brique.
Rien de plus agaçant, pour un écrivain, que de voir des gars de la construction démonter un mur de l'autre côté de la rue. Pas que ça vous perturbe l'air ambiant – on finit par se durcir la couenne, dans ce métier -, mais disons que ça vous réaligne le sens de la vie. Tandis que vous êtes assis à votre clavier à construire des trucs flous et intangibles, eux déplacent la matière, concassent du mortier, plient de l'acier à main nu en lâchant des sacres magnifiques.
Ce matin, je regardais par la fenêtre, en attendant l’inspiration. De l’autre côté de la rue, une fille attendait l’autobus en gonflant des ballons et en les tordant dans tous les sens pour les transformer en caniches.
Je ne savais pas trop quoi faire avec ça.
Bon succès dans tes nouvelles fonctions.
Lorsque le matin j’enfile mon jean, mes bottes de travail et que je me rends à mon travail; que j’enfourche ma tondeuse et que je me rue dans les parcs, effectivement, je trouve momentanément que ces gens étendus sur l’herbe perdent leur temps à fuir la réalité plutôt qu’à la vivre. Puis, les bleus de la page blanche me prennent. Je rêve. Et puisque je rêve, je suis.
Lorsque le soir, j’arrive chez moi fourbu, que je prends ma douche et que je me lave des insultes reçues au cours de la journée, (du chien sale au christ de paresseux qui s’engouffre dans la bonde encrassée) et que je m’installe à l’ordinateur afin de poursuivre l’écriture d’un prochain roman qui rejoindra les autres, bien reçu de la critique mais inconnu du public, je ne me demande pas si je suis inadapté.
L’écrivain vit une expérience de comédien avec chacun de ses personnages; il les découvre, il les vit. Des rumeurs disent que Henri Bosco fut surpris, un jour, assis sur son bureau en mimant un pagayeur. Cela en fait-il un inadapté ou un meilleur traducteur du monde?
Lorsque j’occupe ma fonction de col bleu, je ne harcèle pas mes collègues avec le fait que je sois écrivain. Ce n’est pas qu’ils ne comprendraient pas: plusieurs sont agronomes, un autre est un ancien chargé de cours de l’université tandis que Fred enseigne dans trois cégeps à temps partiel, il y a Alistair qui était journaliste en Haïti et qui a rêvé d’un succès littéraire lorsqu’il a publié un livre l’an passé, puis une comptable et j’en passe.
Paradoxalement, c’est moi qui terre ce fait. Être écrivain est porteur de honte non parce que cela fait d’un humain un inadapté social mais plutôt parce que socialement, cela ne rapporte économiquement pas ou peu (si l’on est récipiendaire d’un prix Anne-Hébert par exemple). C’est seulement cela. Ce n’est pas le travail que l’on fait mais le revenu qu’il rapporte qui impose sa valeur dans notre société.
Ma soeur m’a déjà dit avec justesse : « Un livre, c’est un ami. » J’ajouterai que ça informe, que ça divertit, que ça élève l’âme, que ça fait rigoler, que ça aide à surmonter des petits problèmes de tous les jours et que ça fait rêver. Ça peut même sauver du suicide. Personnellement, je veux publier et donner une partie de mes droits d’auteur à des causes humanitaires, comme plusieurs m’ont inspiré à le faire. Et je vais insister auprès des éditeurs pour que mes bouquins soient imprimés sur du papier recyclé. Chaque fois que je sauverai un arbre, j’en planterai un autre pour l’environnement. Alors, ce ne sont pas que des nuages, non ?