Un commentaire d'Alain Fortaich sur ma chronique « Wau en salopettes » :
Lors d'un épisode de la série Un gars une fille les scripteurs avaient eu le génie de nous présenter deux déménageurs; lorsqu'ils étaient en contact avec leurs clients, ils parlaient gras, ils parlaient cul mais dès qu'ils se retrouvaient seul, Kant affrontait Nietsche. Je parle de génie parce que cette double vie est la réalité de maintes personnes.
Ça me rappelle ce surveillant que je croisais, matin et soir, à l'entrée de l'ONG où je travaillais, à Lima. Pendant des mois, nos seuls dialogues furent :
– Bonjour, ça va?
– Oui, merci. Et vous?
– Bien, merci.
Un jour j'ai quitté mon ONG pour aller travailler ailleurs. Au bout d'un mois, je suis revenu dire bonjour à mes anciens collègues. C'est alors que le surveillant et moi avons eu cet édifiant dialogue :
– Où travaillez-vous, maintenant?
– À la CNR.
– Toujours sur les sites Web?
– Hé oui.
– Dites-moi, vous avez étudié en informatique?
– Oh non. J'ai étudié en littérature.
– Ah mais c'est très bien! Vous savez, je suis justement en train de lire Victor Hugo, en ce moment.
Bref.
Comme vous, j’ai lu le commentaire d’Alain Fortaich nous révélant qu’il était un col bleu, sous-entendu un être peu créatif. J’ai été intriguée, suffisamment intriguée pour cliquer sur son nom pour aller fouiller sa fiche. Je me suis alors souvenu l’avoir déjà fait, je lisais un de ses commentaires et je me suis passée la remarque : « Il écrit comme un écrivain ». Je me suis, cette journée-là, trouvé un brin brillante. Mais là n’est pas le propos, nous parlons de salopette, non ? En proie à un blanc d’imagination, je suis donc retournée à sa fiche et n’ai vu aucune trace de la dite fonction, je veux dire aucun indice dévoilant que le jour, l’homme vit en salopette. Une seule et unique occupation : écrivain. En lieu et place de la bouille, une devanture de La Rue Rose, un livre. Cela répond donc à cette question, complètement et entièrement : Pourquoi l’entourage est si enclin à nous étiqueter d’après notre fonction ? Parce nous sommes les premiers à se voir plus intéressants en écrivain qu’en Col bleu. Il serait présomptueux de demander aux autres de ne pas faire ce que nous faisons !
Le fait de ne pas afficher ma fonction de col bleu n’est pas un choix personnel mais plutôt celui des attachés de presse qui m’ont été affecté au cours des années. Ils voyaient d’un mauvais oeil l’association col bleu/écrivain; peut-on vendre des livres écrits par un col bleu? Peut-on promouvoir un livre qui atteint la scène, qui est mis en lecture par France Castel et lu par Sophie Faucher, Septimiu Sever, et certifier sa qualité littéraire lorsque c’est un col bleu qui l’a écrit? J’ai toujours mentionné ma fonction de col bleu et c’est la mauvaise presse associée à cette fonction que mes relationnistes ont souhaité taire: col bleu, c’est loin de faire vendeur: s’il dort sur la plume comme sur la job…
Oui, il m’est plus intéressant d’être écrivain que col bleu
parce qu’être col bleu, c’était pas mon rêve lorsque j’ai terminé ma maîtrise et c’est dévalorisant. Puis être col bleu en ces temps-ci (mais non lorsque c’est le verglas, alors vous êtes un héros)c’est dangereux: les automobilistes foncent sur vous parce que vous obstruez la voie publique, vous qualifient de chien sale. Cependant, être col bleu ça pourrait donner matière à l’écriture. De plus, comme je l’écris précédemment: j’occupe une fonction de col bleu, une fonction que j’accomplis avec exemplarité selon mes employeurs. On peut occuper la fonction de col bleu mais je ne crois pas que l’on puisse occuper la fonction d’écrivain: on l’est ou non comme on est artiste ou pas. Lorsque je lis Marcel Dubé qui écrit : « Il n’y a pas de différence entre un concierge et un écrivain. » il m’arrive d’avoir un peu d’espoir. Oui. C’est une question d’image mais que faire lorsque le tain du miroir est abîmé et qu’il réfléchit une image déformée de nous?