Suite à mon dernier billet, Serge André Guay me reproche de ne pas mettre les propos de Bobbie Jonhson en perspective par rapport à la situation du Québec.
À mon avis, le contexte québécois n’est pas tellement différent du marché anglophone. Il est plus petite, certes, mais je crois qu’il ne faut pas se cacher la tête dans le sable : ce qui se produit chez nos voisins risque de se produire ici, tôt ou tard.
Monsieur Guay demande « qu’est-ce qu’on pourrait pirater comme livre au Québec ? » Nous avons l'embarras du choix, il se publie des centaines de bouquins chaque année. La vraie question est plutôt comment pirater au Québec ? La réponse : de la même manière qu'ailleurs.
En effet, rien n’empêche personne de numériser n'importe quel bouquin, de le passer à l’OCR, puis de le diffuser sur Internet. Plein de gens le font déjà (légalement) pour le Projet Gutenberg, par exemple, et les derniers tomes de Harry Potter (pourtant des briques) ont circulé en P2P quelques heures après la sortie papier. Il n’y a rien de sorcier là-dedans.
Évidemment, numériser un livre à la mitaine est relativement fastidieux, d’où ma réflexion : le nombre de personnes disposées à faire cet effort est directement proportionnel au nombre d’appareils de lecture qui circulent. Personne n’aime travailler pour rien, pas même les pirates.
Monsieur Guay a raison, le Kindle n’est encore disponible qu’aux États-Unis, mais il s’agit d’une question de temps. Le Sony Reader, en revanche, peut être acheté en ligne au Canada, et c’est sans compter la popularité croissante du iPhone et de ses clones, dont l’écran permet aussi de lire des livres électroniques. C’est petit, mais ça suffit à certains lecteurs.
Quant à l’analogie avec l’industrie musicale, elle n’est pas parfaite mais elle tient plutôt bien la route. Monsieur Guay a raison, des milliers de livres sont disponibles gratuitement sur le Web depuis des années – mais c’était aussi le cas à l’époque de Napster : des centaines de petits groupes indépendants offraient leurs albums gratuitement, et les auditeurs curieux pouvaient faire de belles découvertes. Toute l'idée de la longue queue se trouve là.
Cela étant dit, il ne s’agit pas d’une simple question de volume. Les gens ne veulent pas seulement des plages ou des textes. Ils veulent certaines plages, certains textes. Voilà ce que le piratage est venu mettre en lumière dans l'industrie musicale.
Reste à espérer que l'industrie du livre trouvera sa voie avant que les pirates ne la lui indiquent.
Je ne suis pas certaine que l’on peut comparer aussi facilement la musique et le livre mais il y a certainement des rapprochements à faire surtout quand on parle de manuels de cours ou de livres savants. Dans mon cas, aux Presses de l’Université du Québec (soit dit en passant, nous avons plus de 700 livres en format numérique disponibles à la vente…), le piratage des livres est une question sérieuse mais aussi, d’une certaine façon, un mal nécessaire (le piratage est parfois le fait d’un prof qui croit agir en toute bonne foi 🙂 et qui dépose de large pan de nos livres sur la plateforme numérique de son cours) que j’arrive à considérer comme une forme de promotion.
Mais la question reste ouverte : l’oeuf ou la poule ? Le bidule de lecture performant ou l’offre de livres numériques ? et si c’était un tout autre produit …
J’opte pour la lecture sur Blackberry jusqu’ici et j’ai déjà dévoré trois livre du domaine public :
– The curious case of Benjamin Button ;
– Dicours aux enfers entre Machiavel et Montesquieu ;
– Poil de carrotte (2 r , 2 t ?).
Le tout en Wikisource, sur un Blackberry, en déplacement ou au lit (adieu les foutus problèmes de lecture avec une lampe de poche et un support papier trop lourd ! :-).
Le problème pour la suite des choses numériques, c’est l’accès aux nouveautés, le prix à débourser, la fiabilité de la compagnie ou de la maison d’édition qui va numériser le livre (chez ILV, les traductions sont parfois convenues, le travail de reproduction et de mise en page bancal et l’interface de lecture préhistorique, par exemple).
Bref, beaucoup de travail de ce côté-là… les libraires du monde entier peuvent encore dormir tranquilles quelques années…
Quelques témoignages intéressants suite à mon dernier billet , entre autre de Steve Boudrias qui affirme
Monsieur Dickner,
Vous écrivez : «ce qui se produit chez nos voisins risque de se produire ici, tôt ou tard» ? Comme c’est partie avec l’avenir du livre au Québec, ce sera plutôt «tard» que «tôt», voire beaucoup plus tard. En fait, nous sommes tellement en retard que le piratage des livres québécois risque de provenir d’ailleurs plutôt que de chez nous (ex.: Google Book Search).
Vous écrivez : «Le Sony Reader, en revanche, peut être acheté en ligne au Canada». Légalement, ce livre électronique n’est pas en vente au Québec parce que son interface n’est pas en français (adapté à nos lois linguistiques).
Vous écrivez : «Toute l’idée de la longue queue se trouve là». Le concept de la longue queue ne concerne pas le piratage. Il est plutôt question de la nouvelle répartition des revenus d’un marché donné dans le contexte d’Internet. Le marché traditionnel tire ses revenus des quelques gros vendeurs. Le marché lié à l’Internet tire ses revenus de plusieurs petits vendeurs. Ce graphique illustre fort bien le concept :
http://www.novelr.com/wp-content/uploads/2008/02/long_tail_graph.gif
J’explique le concept sur cette page de notre magazine en ligne à la suite du passage à Montréal de Chris Anderson, à l’origine du concept.
http://manuscritdepot.com/internet-litteraire/actualite.45.htm
La longue queue est le nouveau modèle d’affaire né avec l’Internet et ce modèle ne repose pas sur le piratage. Bref, votre comparaison entre de l’industrie du livre et l’industrie musicale ne tient pas la route, pas plus que la théorie avancée par Bobbie Johnson, blogueur techno au Guardian que vous rapportez en ces mots : «Et symétriquement, selon Johnson, c’est faute de piratage que le livre électronique n’aurait pas encore levé.»
Vous écrivez : «Évidemment, numériser un livre à la mitaine est relativement fastidieux, d’où ma réflexion : le nombre de personnes disposées à faire cet effort est directement proportionnel au nombre d’appareils de lecture qui circulent. Personne n’aime travailler pour rien, pas même les pirates». Un pirate intelligent s’intéresserait difficilement à des livres qui se vendent que quelques centaines d’exemplaires, comme c’est le cas au Québec. L’intérêt du pirate est de rendre gratuit un produit populaire et, à ce titre, il y a peu de livres québécois vraiment populaires et rentables sur une grande échelle pour un pirate.
Vous écrivez : «Cela étant dit, il ne s’agit pas d’une simple question de volume. Les gens ne veulent pas seulement des plages ou des textes. Ils veulent certaines plages, certains textes. Voilà ce que le piratage est venu mettre en lumière dans l’industrie musicale.» Il y a belle lurette que les gens sélectionnent certaines pièces musicales d’un disque, ce n’est donc pas le piratage de «personne à personne» sur Internet qui a mis ce choix en lumière. Qui fait tourner des albums complets à la radio ? La radio est basée sur la sélection. Et qu’avons-nous fait lorsque les appareils d’enregistrement à cassettes sont arrivés sur le marché? Nous nous sommes empressés de produire sur cassettes nos propres sélections de chansons et de musiques. Ce que le piratage de la musique sur Internet est venu mettre en lumière, c’est que l’industrie du disque ne peut plus ignorer les préférences d’achat des consommateurs.
Le livre n’est pas dans cette situation. Mises à part les pratiques scolaires, le lecteur ne veut pas un seul chapitre (une seule plage) mais tout le livre. Un seul chapitre d’un roman n’a pas vraiment d’intérêt, tant pour le pirate que le lecteur. Un livre, ce n’est pas un disque.
Quant aux pratiques scolaires, aux États-Unis, certaines maisons d’édition numérique se spécialisent dans la production de livres réunissant différentes parties de différents livres pour le milieu scolaire, en payant les droits. Au lieu de se braquer, l’industrie s’est adaptée. Il en va de même dans le milieu scolaire au Québec avec Copibec. Sauf qu’ici aucune maison d’édition électronique ne fait le travail à la place du professeur.
Il n’en demeure pas moins qu’un livre, c’est pas un disque et que toute comparaison est douteuse et boiteuse, surtout de la part d’un écrivain !