Vous me croirez si vous voulez, mais quelques heures après avoir terminé ma plus récente chronique, j’ai trouvé une déchiqueteuse en parfait état de marche, posée au pied d’un frêne de la Petite Italie.
Depuis, la déchiqueteuse constitue le principal sujet de conservation à la maison. Si vous saviez les belles choses que nous nous sussurons à l’oreille, ma sociologue et moi.
L’autre soir, par exemple, elle se demandait quel serait l’équivalent numérique d’une déchiqueteuse. En quoi consisterait, autrement dit, le cyberdéchiquetage d’un billet de blogue.
Neal Stephenson offre, dans Cryptonomicon, une solution rapide et efficace : localiser le document sur le disque dur (attention, il peut être éparpillé sur plusieurs secteurs), puis inscrire des chiffres aléatoires par-dessus, six ou sept fois de suite.
Plus radical encore que la coupe transversale.
Mais dans un réseau comme le Web, où circulation et duplication sont les deux facettes du même processus, le déchiquetage n'a guère de sens.
En effet, même si vous déchiquetiez la copie d’un billet sur le serveur http du Voir, on trouverait encore plusieurs copies dans diverses caches : celle des moteur de recherche, celle des navigateurs ayant récemment accédé au document, celle des routeurs internet – et sans oublier, bien sûr, les improbables (mais jamais impossibles) archives.
De quoi donner des maux de tête aux spécialistes du droit d’auteur et à tous ceux qui cherchent à (re)définir ce qu’est un texte au juste.
Enfin, pour l’instant ma sociologue préférée tente plutôt de s’habituer au grondement incessant de la déchiqueteuse.
Votre comparaison est imparfaite :
Vous oubliez de séparer document pulic (ou largement distribué) et document privé (donc, contrôlé). Même en version papier, vouloir faire disparaitre TOUTES les copies d’UN LIVRE, est une entreprise exténuante, harassante et quasi-impossible. Le numérique ne fait qu’accélérer et amplifier le mouvement.
Là où vous avez plus raison, c’est la facilité de copie du monde numérique et des problèmes de gestion de droits d’auteurs que cela peut poser.
Pour ce qui est de la déchiqueteuse, vous en parliez le 6 mai dans
« Mémoire, fiscalité et tamia rayé ». Votre esprit semble capable d’un bon focus et d’une efficace auto-suggestion. Le hasard n’existe pas!
Donc, la conclusion à tout ça est qu’elle ne serait pas encore née la déchiqueteuse de virtuel. De là à penser que le virtuel serait plus réel que le réel, il n’y a qu’un clic.
Écrire sur le net, ce serait pas si net que ça finalement.