On a souvent parlé de l’entrevue que Jack Kerouac avait accordé à Fernand Séguin en 1967, dans le cadre du Sel de la semaine — et, surtout, de la réaction du public en studio, qui semblait fréquemment se payer la gueule de l’écrivain.
Il me semble instructif de comparer cette entrevue avec une autre, donnée devant une audience américaine quelques mois plus tard.
Le public dans les studios de la SRC, probablement tous des pseudos intellos qui voteraient pour l’ADQ aujourd’hui, ont bien rit…
Des colonisés quoi! Dommage qu’ils aient fait autant d’enfant.
Un bon Jack ce Kerouac. Esti à l’écouter parler on ne croirait jamais qu’il est un auteur.
Encore un beau travail de débroussaillage culturel, de bon journaliste, monsieur Dickner!
Il faut aller voir ça, cette séquence télévisée est un bijou d’anthropologie .
Kérouac, bien sûr, grand prêtre de la Beat Generation, et grand écrivain tout court. Mais aussi William F Buckley, politicien, écrivain, journaliste et polémiste redouté, représentant iconoclaste de la droite religieuse. Et enfin, et non le moindre, Ed Sanders, poète, chanteur et activiste contre la guerre du Viet-Nam.
Trois têtes fortes, excentriques et absolument atypiques.
Sur le même plateau de télévision, Kérouac le marginal, Buckley le catholique qui allait entendre la messe en latin tous les dimanches et Sanders, co-fondateur du groupe rock « The Fugs » et d’une revue d’art : »Fuck you: a Magazine of the Arts »!!!!
Le sujet de l’entrevue: Les hippies et les beatniks peuvent-ils faire front commun.
Tout de suite, la réponse nous saute aux yeux: C’est non!!!
En fait, ce que l’on voit ici se manifester devant nos yeux, c’est l’incompréhension entre trois classes sociales, et trois générations d’Américains sur à peu près tout, et avec fond de guerre atroce.
Une division, un éclatement, un dispersement des forces vives à l’intérieur de la société américaine qui n’est peut-être pas étrangère à la défaite tragique des USA au Viet-Nam
Sanders, le snob qui joue les vulgaires, l’universitaire, en rupture avec son peuple, qui refuse la conscription, qui ira un jour avec son ami Abbie Hoffman faire son show et essayer d’exorciser le Pentagone!!!
Buckley, politicien de droite de grande culture, maniéré et caustique dans sa manière de parler, qui poussera l’audace jusqu’à se porter candidat à la présidence.
Et Kérouak, le proscrit, à cent milliards d’années lumière de nos basses préoccupations terrestres, l’auteur du « Clochard Céleste », chez qui la dérision est la politesse d’un désespoir encore plus douloureux à voir, lui que l’on transformera en écrivain québécois, ici, une abomination de plus à mettre au compte de nos nationaleux.
On peut faire des rapprochements avec ce qui se passe aujourd’hui, au Québec, où les classes sociales, en politique, en art et en économie, sont à couteaux tirés, tout cela à l’intérieur d’une société bloquée par l’inertie de ses élites, trop occupées qu’elles sont toutes à s’entredéchirer. Ou à s’autocongratuler, dans d’interminables programmes de radio et de galas télévisés.
On notera toutes fois le sens très aigu manifesté par les trois protagonistes de cette entrevue. Ici, le rire, les répliques sont caustiques, sans apprèts et coachings en tout genre. On sent bien que chacun joue sa peau, car la guerre, la mort est là,qui ricane derrière les caméras.
Le contraire d’aujourd’hui, à « Tout le Monde en Parle », où tout cela finit par une tape amicale dans le dos.
Cette entrevue historique fit une victime. Kérouak décéda quelques mois plus tard. On peut penser qu’il vint ainsi à la tv, en toute connaissance de cause, faire une dernière répétition de sa propre mort. Buckley est mort l’an dernier à 82 ans, d’une crise d’emphysème, alors qu’il était en train d’écrire un article pour une revue. Sanders est toujours vivant, il vit à Woodstock(!), et fait toujours de la musique.
Voilà bien la séquence logique des choses.L’écrivain qui doit mourir jeune pour pouvoir ainsi rescusciter plus vite dans son oeuvre. Le polémiste qui a épuisé tout son soufle à vouloir réconcilier en lui à la fois,tout le désespoir et l’espoir du monde. Et l’intello, un peu artiste, un peu clown, sauvé in extremis par la musique, et aussi par cette capacité folle à ne pas se prendre trop au sérieux.
Trois grands personnages, à mon avis. Et si j’avais à choisir, je prendrais Kérouac, le plus lucide, le plus pressé de s’en aller…
Séguin a fait de son mieux pour recevoir et interviewer Kerouac, mais il était à des années-lumière du Jack-home-made que l’on connaît. Séguin, ne l’oublions pas, est un pur produit du circuit universitaire, tandis que Kerouac a appris dans la rue, tout seul par lui-même. J’avais vu cette entrevue à l’ONF, il y a quelque temps déjà. Le même Séguin a aussi reçu Henry Miller dans la même série du Sel de la semaine. À voir.
Quant à Buckley, c’est encore pire: un pur produit des médias américains allergiques à toute poésie et à toute pensée le moindrement libre. On voit bien qu’il se fout du beat, qu’il semble percevoir – à juste titre – en rupture avec cette société de consommation en devenir. Kerouac a l’air formidablement ennuyé par le format de l’émission, surtout avec ce faux-cul. Je crois que Buckley a aussi passé à la moulinette de l’hypocrisie John Lennon lui-même, quand il a eu des démêlés avec la douane américaine.
À choisir entre les deux, je préfère encore Séguin, même si l’auditoire est remplie de colons qui s’ignorent. Ben oui, Jack avait un accent drôle!
Lâche pas, Nicolas, j’ai bien aimé Nicolski!