BloguesHors champ

Horriblement anachronique

J'avais écrit une chronique sur Haïti, où je devais me rendre aujourd'hui même afin de participer à un festival littéraire. Cette chronique ne sera pas publiée, elle paraîtrait horriblement anachronique.

C'est aussi bien, d'ailleurs. Elle ne me satisfaisait guère. J'y confiais l'anxiété que j'éprouvais à l'idée d'aller là-bas, sans en expliquer suffisamment les causes.

Je voulais dire combien les écrivains haïtiens me donnent des complexes. Chaque fois que j'ai ouvert un de leurs livres, récents ou anciens, j'ai été émerveillé par la maîtrise de la langue. Par la rigueur, la solidité. Par l'érudition à la fois sérieuse et ludique.

Une Haïti parfaitement opposée, en somme, à l'image que transmettent les bulletins de nouvelles.

Je voulais dire aussi combien formidables, humains, chaleureux et drôles sont les Haïtiens que j'ai la chance de côtoyer depuis une quinzaine d'années. Ces qualités sont si uniformément réparties entre eux que j'en suis venu à les considérer comme des traits fondamentaux du peuple haïtien.

Je voulais aussi rappeler que la communauté haïtienne du Québec compte quelque 130 000 citoyens – si bien que Montréal constitue, à bien des égards, un quartier de Port-au-Prince.

Je voulais dire, bref, qu'en allant en Haïti, je me voyais retourner aux racines de ce que nous sommes devenus, de ce que nous devenons, et que cette rencontre m'apparaissait aussi merveilleuse qu'exigeante.

Cette chronique est aux poubelles de la petite histoire – et il n'en reste que la sensation d'un rendez-vous raté: celui de pouvoir témoigner d'une autre Haïti que celle qui défraye trop souvent les manchettes, de pouvoir parler d'un peuple plutôt que des événements qui l'affligent.

Malheureusement, la réalité en a décidé autrement. Une fois de plus.

Ce qui vient de se passer là-bas me laisse sans voix. Le souffle coupé. Écœuré.

Je termine sur un appel tristement pragmatique, mais que l'on ne saurait trop réitérer: ces gens ont besoin de notre compassion, certes, mais surtout de moyens concrets.

Sortez votre carte de crédit, votre chéquier. Appelez la Croix-Rouge, Oxfam, Médecins Sans Frontières.

Pensez à vos voisins de Port-au-Prince.