On spécule beaucoup, depuis quelques jours, sur les fameux
inédits que J. D. Salinger aurait conservé dans son coffre-fort.
On en parle comme on parlerait d’une richesse
objective : des lingots d’or. Comme si la valeur des livres était
intemporelle, incorruptible et inatteignable.
La plupart des romans publiés en 1975 ont perdu aujourd’hui
leur pertinence. Quelques titres la conservent, mais ce sont des cas
exceptionnels. Des classiques. (Et encore existe-t-il tout un paquet de
classiques sans pertinence.)
Un auteur – même extraordinaire – ne peut guère produire
plus de deux ou trois classiques dans sa vie. Combien de livres de Mark Twain
pouvez-vous nommer ? Il en a pourtant publié plusieurs dizaines. La
plupart ont aujourd’hui perdu leur pertinence.
On s’excite donc sur tous ces livres que Salinger aurait écrit, et qu’éventuellement on publiera. Le problème est cependant le
suivant : un roman écrit par Salinger en 1975 sera-t-il encore pertinent
en 2011?
La littérature se crée par le dialogue. Dialogue entre les
oeuvres et les lecteurs, dialogue entre les œuvres et une époque, dialogue
entre les œuvres elles-mêmes. Il s’agit d’une conversation.
Salinger
s’est tenu en marge de la discussion pendant un demi siècle. Ses inédits
arriveront-ils en retard ?
Vous revenez souvent sur le sujet du « retard » d’un écrivain, d’ailleurs votre propos sur les auteurs d’anticipation était à ce point biaisé que j’ai préféré oublier le papier… mais vous faites fausse route. Un écrivain peut très bien dialoguer avec le passé, prenez Annabel Lyon, votre consœur chez Alto, qui le fait admirablement bien. Votre vision de la « mode », du contemporain, révèle une vision à très courte portée, qui vous appartient peut-être, mais qui ne témoigne pas du tout de la réalité de la littérature. Mon fils adolescent, qui est loin d’être « largué », est présentement fasciné par Boris Vian et Artaud. Ce n’est pas le dialogue d’un auteur avec son époque qui compte, c’est son talent, son originalité, sa manière d’ouvrir l’œil. Votre « discussion », plus personne ne peut la suivre. Les interlocuteurs sont beaucoup trop nombreux, les sujets également innombrables. Peut-être faites-vous référence à une autre discussion, beaucoup plus superficielle, celle des médias, où l’on accorde une valeur arbitraire à quelques têtes d’affiche choisies selon l’humeur du jour…
Dickner parle d’actualité médiatique, en effet. Fernando Pessoa, dont l’oeuvre fut ignorée du grand public de son vivant, Boris Vian qui sous ce nom, ne vendait que 200 de ses livres de son vivant etc