À Dessine-moi un dimanche, animé par Franco Nuovo sur les ondes de Radio-Canada, Xavier Brouillette et moi allons, demain vers 9 heures:
parler d’épicurisme et de stoïcisme en relation avec Star Académie (Xavier);
discuter d’un ouvrage décapant portant sur la télévision et intitulé TV lobotomie, de Michel Desmurget;
et, comme toujours, nous allons offrir des cadeaux philosophiques à des personnes ou à des organismes et décerner La Poutine d’Or de la semaine, i.e. récompenser comme il se doit ce qu’on pourrait appeler le meilleur de pires sophismes.
Bon, ça se prépare tout ça et il faut que je retourne travailler!
Je n’ai pas lu le livre TV LOBOTOMIE mais je me méfie de toutes les personnes dont le seul et unique objectif est de diaboliser, globalement et sans nuances, le phénomène télévisuel, lequel a ses bassesses (considérables) et ses grandeurs (souvent appréciables).
JSB, sociologue des médias
Normand Baillargeon, les aléas de l’existence ont fait en sorte que je n’ai pas pu écouter l’émission animée par Nuovo (je dois dire que ce mec m’énerve de manière abyssale). J’ai été frustré parce que j’aurais aimé écouter ce qui se disait à propos de la télévision et sur d’autres sujets (ou verbes, ou compléments).
J’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur si je me permets de reproduire ce texte de Hugo Dumas, du journal «des marais»:
Hugo Dumas
La Presse (5 novembre 2009)
*****«Ça fait maintenant plusieurs années que je couvre la télévision, un domaine captivant qui, malheureusement, attire encore son lot de railleries et de commentaires snobs du genre: la télé rend stupide, elle nivelle par le bas, c’est un art mineur, insignifiant, abrutissant, bla, bla, bla.
Le philosophe et éthicien Daniel Weinstosk, de l’Université de Montréal, et son collègue le médecin Marc Zaffran ont donné une conférence hier intitulée « Les richesses cachées des séries télé ».
En entendant hier le philosophe et éthicien Daniel Weinstock, de l’Université de Montréal, comparer The Sopranos et The Wire à du Proust, du Dickens et même à L’Odyssée d’Homère, j’ai poussé un long soupir de soulagement. Enfin, quelqu’un (et un intellectuel respecté en plus) reconnaît à la télévision – la bonne télé, on s’entend – toutes les qualités qu’elle mérite. C’est génial. Et très juste, aussi.
« L’intégrale de The Sopranos ou The Wire en DVD, on peut regarder ces séries-là comme des oeuvres complètes, comme de grandes fresques sociales. C’est un peu l’équivalent de Proust ou de Dickens », dit le professeur Daniel Weinstock, grand consommateur de télévision américaine.
Réunis dans l’auditorium de la Grande Bibliothèque hier midi, Daniel Weinstock et son collègue le médecin Marc Zaffran, qui pond également des romans sous le pseudonyme de Martin Winckler, ont prononcé une conférence fascinante intitulée «Les richesses cachées des séries télé».
Selon Marc Zaffran, une série du réseau HBO comme Oz, qui catapulte le téléspectateur dans des prisons violentes, sales et corrompues, «a été conçue comme une tragédie grecque». Rien de moins.
Évidemment, dans les hautes sphères universitaires, «comme philosophe et amateur de télé, on se sent plutôt seul. La télé, c’est l’art mal aimé. Bon nombre de mes collègues méprisent la télévision», note Daniel Weinstock.
Reste que certaines grandes séries américaines, comme Law & Order, servent parfois d’instrument de pédagogie. Si, si, vous avez bien lu. Dans un court extrait de trois minutes de Law & Order que les deux profs ont projeté hier dans la grande salle, les personnages ont tâté des sujets touffus comme les lois constitutionnelles, la guerre contre le terrorisme et la torture, exposant ainsi le téléspectateur à des enjeux complexes et les confrontant à d’épineuses questions d’éthique. «L’avocat doit-il, par exemple, s’en tenir à la lettre au texte de la loi ou doit-il plutôt en saisir l’esprit général?» demande Weinstock, lui-même directeur du Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal (CREUM).
Daniel Weinstock poursuit: «Combien de choses se sont passées dans un épisode complet de Law & Order, combien de détours l’intrigue a-t-elle pris en 45 minutes? C’est un tour de force.»
Emballé, Marc Zaffran avance que « les scénaristes de la télé sont très conscients des problèmes sociaux. La télé a pris le relais de toute la critique sociale qui se faisait avant au cinéma ».
Autre sujet de discussion hyper intéressant: la morale dans les fictions. Prenons Breaking Bad, où un prof de chimie au secondaire, atteint d’un cancer incurable, se jette dans la production de crystal meth pour assurer un avenir confortable à sa famille. Voilà un personnage droit, très moral, qui emploie des moyens discutables moralement pour survivre, en quelque sorte. Même chose pour Weeds, où une mère de famille nouvellement veuve entraîne ses deux garçons dans le commerce de la marijuana. Autre personnage très droit qui assouplit son code moral pour s’en sortir. « Oui, la télé nous permet de réfléchir à des problèmes éthiques », observe Daniel Weinstock.
En tant que médecin, Marc Zaffran a bien sûr braqué sa loupe sur la série House. « House, c’est Sherlock Holmes. Il est aux antipodes de l’image du médecin. Il est parfaitement détestable et fait tout à l’envers de ce qu’on attend d’un médecin. »
MM. Zaffran et Weinstock se réjouissent de toute la latitude dont disposent les créateurs américains pour concocter des séries de qualité supérieure comme The Wire, The Shield, The Sopranos, Breaking Bad, Weeds ou The Practice. « La fiction à la télévision française est la plus inexistante qui existe. C’est à peu près l’équivalent de la peinture soviétique des années 30. En France, on ne peut pas prononcer le nom du président dans une émission de fiction », constate Marc Zaffran, qui a quitté la France pour s’installer au Québec en février dernier. Ma collègue Sonia Sarfati approfondira d’ailleurs le sujet de la politique dans les émissions de fiction dans un grand dossier que nous publierons dans nos pages samedi.»*****
Ultime commentaire de JSB:
Tout cela étant dit ou redit, je pense qu’il y a, à la télévision, très souvent, UN TROP-PLEIN DE VIDE, ce qui rend potentiellement la télévision abrutissante ou «lobotomisante».
Mais la télévision a historiquement joué un rôle d’éveil et d’ouverture sur le monde. Étant né en 1943, j’ai vu une télé, pour la première fois, en 1953. Tout le monde s’était cotisé pour acheter une télé (cela coûtait cher) et pour l’installer chez ma grand-mère «paternelle».
J’ai vu, tant du côté paternel que du côté maternel (personnes significativement moins instruites, presque sous-prolétariennes), une lente mais évidente ouverture sur le reste du Québec et sur le monde.
Je n’en dis pas plus parce que vous allez trouver que j’accapare et «occupe» votre blogue, lequel me fait souvent réfléchir de manière tonique.
JSB, sociologue des médias
Bonjour
Vous êtes bienvenu et vos commentaires sont très appréciés.
Le livre dont je parlais est intéressant mais il a, je pense, les défauts de ne pas considérer la grande variété de qualité des contenus et aussi de minorer le caractère ‘muticausal’ et complexe des variables considérées. Mais c’est une lecture tonique et que je recommande.
Je vais assurément me procurer ce livre. Je termine la lecture de LILIANE EST AU LYCÉE. Intéressante odyssée que celle de Liliane.
JSB
J’ai finalement écouté, sur le NET, le fragment de l’émission qui vous concerne, Normand Baillargeon et j’ai «commis» le court commentaire que voici, commentaire présenté dans le site officiel de l’émission:
***«Je note rapidement, comme ça, en passant, que «Star Académie», ce n’est pas, au sens strict, de la téléréalité. Cet aspect est secondaire par rapport aux concours du genre «Les jeunes talents Catelli». Aujourd’hui on pourrait parler des «mirobolants talents-Angélil-Snyder et autres comparses, pour jeunes adultes».
Quant au livre sur la télé lobotomisante ou trépanisante, cela me laisse un tantinet sceptique même si je pense qu’il y a beaucoup de vrai dans ce que prétend l’auteur.
Au plaisir!
Jean-Serge Baribeau, sociologue des médias»*****
En fait, je ne cherche absolument pas à louanger inconditionnellement la «maudite tivi» mais je cherche à adopter et à maintenir un regard serein face à la télé.
Je pense néanmoins que la SRC se dirige lentement mais sûrement vers une médiocrité désespérante, vers le rire «débiloïde» et vers tout ce qui est vide et superficiel. C’est un peu la même chose en ce qui concerne Télé-Québec, mais de manière moins marquée, moins affirmée. Je pense que Bazzo.TV est partie prenante de cette marche vers le moins et que cela est bien désespérant.
Je me dois de dire, toutefois, Normand Baillargeon, que vos commentaires, à la radio, étaient circonspects, nuancés et prudents.
ENCORE MOI,
JSB
Une suggestion un tantinet hors-sujet: proposer un débat sur la question consistant à savoir si toutes les cultures et civilisations se valent. Cela entraînerait nécessairement une discussion sur les grandeurs et les limites de la posture «relativiste».
JSB
On m’a parlé de ce bouquin que je n’ai pas lu mais j’ai trouvé unevidéo (assez marrante, j’ai pensé à Franck Lepage) où Desmurget présente son travail. So, for fun:
http://www.dailymotion.com/video/xpjec4_tv-lobotomie-la-verite-scientifique-sur-les-effets-de-la-television-conference-michel-desmurget-fsl5_news
Bon, c’est de la conférence gesticulée où l’argumentaire repose sur l’autorité et une solide volonté de propagande anti-télé.
La télé rend d’abord idiot – euh nuit au développement de certaines facultés cognitives ( attention, langage) et émotionnelles (sexualité, rapport à soi ou à l’autre), met à mal la cellule familiale dans sa faculté de transmettre l’intelligence. Elle rend (statistiquement avec surement p < 0.000000153 ) violent, obèse et fumeur par les mauvais exemples qu'elle donne sans dire en quoi ils sont mauvais et qui de toute façon échappent à la vigilance du néo-cortex. Regarder Dr House diminue l'espérance de vie de 22 minutes (autant fumer une clope), etc.
Autre truc amusant : d'une part la télé excite à l'agressivité (ok), au passage à l'acte (ok), puis elle angoisse (ok), d'où la montée du sentiment d'insécurité (ok).
Or, il illustre ce dernier point par l'explosion du sentiment d'insécurité en 1994 aux USA, liée selon lui à une série de faits divers rapportés à la télé suite à l'affaire O.J Simpson…
Mais les gens "avaient tort" d'être angoissés par la télé puisque … les statistiques de criminalité avaient baissé ! Cqfd
Ça aurait peut-être mérité un développement.
Reflexionons un peu.
La violence télévisuelle omniprésente incite au passage à l'acte, mais pourtant la criminalité baisse…
C'est sans doute que la police – ou une autre variable cachée – est encore plus efficace que la télé n'est nocive, bien qu'elle angoisse elle-aussi les gens parfois.
Ceci dit, c'est pas parce que sa conférence, c'est de la propagande que ce qu'il raconte est forcément inexact sur le fond ou l'ensemble. Je suis bien convaincu de l'utilité des stats, etc. Néanmoins, il discute peu dans sa conf – il pourrait au moins développer un exemple au lieu de faire le pitre – de la difficulté du passage de la corrélation à la causalité, surtout dans un domaine multifactoriel.
J'espère que le bouquin est nettement plus rigoureux, et qu'il y discute un peu son système de valeurs.
Ok la mère de famille a comme mission de transmettre 70% du langage au bambin, et donc (?) pour les 30% restant, c'est le père – un environnement humain quand même assez réduit.
Hélas tout le monde regarde la télé et on ne s’intéresse plus à l'enfant, lui-même distrait par les variation d'image et de son. Du coup, la transmission du langage se fait mal et les test à l'entrée de l'université le prouvent.
La cause, c'est la télé (les autres hypothèses ont échouées et on n'en saura pas plus.) !
A titre de rigolade, je me suis dit que déjà Flaubert avait eu l'intuition du danger que faisaient courir les nouveaux media. En l’occurrence les nouvelles formes du livre pas cher avaient rongé le QI émotionnel d'Emma Bovary – poussée au suicide – sous sa forme de roman, et ravagé les facultés cognitives de Bouvard et Pécuchet – qui allaient, empestant la campagne – suite à la vulgarisation par ces mêmes livres de la techno-science de l'époque.
Évidement, Flaubert ne savait pas – et n'avais pas besoin de – bricoler des matrices de covariance, toussa, pour étayer son truc.
On pourrait aussi se demander si l'introduction d'autres média ( cinéma, radio ) dans la première moitié du XXieme siècle en Europe n'auraient pas – comme le fait la télé actuellement – quelque peu augmenté la violence de ceux qui y avaient accès…
Mais d'une façon bien mieux structurée, plus uniforme en quelque sorte.
En élargissant un peu la notion de medium crétinisant les foules, on a le bel exemple de l'église catholique dans ses premier siècles – et une époque troublée – qui avait réussi à imposer son idéologie devant des spiritualités d'une autre facture intellectuelle (je pense par ex au neo-platonisme ) mais dotées d'écrans moins performants que l’Église avec ses églises et ses présentateurs.
En passant du coté catho, on trouve chez Cochin, la première étude – du moins je crois – passée presque inaperçue tentant l'analyse de comment un medium, à la fois par l'idéologie consciente que des gens veulent propager et par son idéologie "intrinsèque" (le machinisme lié à son implémentation) qui finit par supplanter (ou plutôt potentialiser pour Cochin ) la première et décerveler ses "spectateurs" devenus serviteurs de la machine.
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Moralité (pour une perspective politique):
En admettant que Desmurget ait raison sur l'ensemble, ce qui est tout à fait envisageable, on peut penser qu'il n'y a pas que du négatif à ce que ce soit à des gens certes violents, mais aussi abrutis, obèses et fumeurs que reviendra la gloire de supporter le monde de demain. Du moins tel qu'il se profile et pour lequel ils semblent assez bien conçus. Et c'est important d'être bien conçu et on espère en conséquence bien adapté dans certains régimes politiques.
Néanmoins, ils pourraient avoir des difficultés à se servir d'engins complexes pour traquer la déviance et ils vivront moins longtemps pour courir moins vite après ceux qu'ils rechercheront.
Charge à ces derniers de n'avoir pas regardé la télé avant 18 ans: tout le monde n'a pas un bel avenir derrière lui.
Quant aux premiers, une espérance de vie diminuée ne constituera pas un grand déficit adaptatif pour ceux qu'ils serviront.
En général, après avoir servi quand ils survivent au service (guerre juste, police politique, etc), ces gens-là ne sont souvent plus bon à rien et d'ailleurs, qu'ils soient du coté des vainqueurs ou de celui des vaincus, ils se font le plus souvent liquider.