Dans La Presse de ce matin, Mario Roy parle de cette incroyable indifférence que l’on peut manifester devant un drame qui se déroule sous nos yeux et note que «cette pathologie s’enrichit aujourd’hui d’une variante: la Youtubisation de la tragédie. Celle-ci dénote, non pas la crainte d’intervenir dans un événement perturbant, non pas la simple indifférence au sort d’autrui, mais le désir de tirer quelque chose de ce malheur étalé devant soi.»
C’est ainsi que, semble-t-il, les premiers arrivés sur les lieux du terrible accident de la route de Hampstead (Ontario), lundi dernier (11 morts…) se seraient précipité sur leur téléphone portable pour … fixer des souvenirs de la tragédie.
Cela m’a rappelé un texte de Jacques Prévert (c’est mon écrivain préféré, au cas où vous ne le sauriez pas encore …) consacré à son ami, le grand photographe Robert Doisneau.
En voici un extrait:
Un jour, dans les petites montagnes des Alpes Maritimes, du côté d’Entrevaux je crois, Robert Doisneau « en reportage » accompagnait un berger, ses moutons et ses chiens, lorsqu’un camion éventra le troupeau et tua aussi les deux chiens.
– Tu as pris des photos ?
– Non, j’ai consolé le berger, répondit Doisneau.
Et c’était comme si la vie, en instantané, avait fait le portrait de Doisneau.
(Jacques Prévert, Transhumances)
Très beau parallèle!
Merci!
Un des poèmes de Prévert qui m’a toujours ravi, c’est le court poème intitulé MALGRÉ MOI…
*****«Embauché malgré moi dans l’usine à idées
j’ai refusé de pointer
Mobilisé de même dans l’armée des idées
j’ai déserté
Je n’ai jamais compris grand chose
Il n’y a jamais grand-chose
ni petite chose
Il y a autre chose
Autre chose
c’est ce que j’aime qui me plaît
et que je fais.»*****
Doisneau, Prévert et de nombreux autres n’ont jamais accepté de s’installer bêtement dans l’usine à idées ou dans l’armée des idées.
Mais nombreuses sont les personnes qui, dans notre univers basé sur la surveillance permanente, souffrent d’un «panurgisme» désolant et anti-civique.
La civilité fout le camp!
JSB
Il em plaît aussi, celui-là. Mais chez Prévert, c’est presque toujours le cas.
Montand récitait ce texte en spectacle, juste avant de chanter … je ne me souviens plus quelle chanson.
Il y a quelques années j’avais «commis» dans Cyberpresse le texte que voici qui, à mon humble avis, va dans le sens des propos de Mario Roy et de Normand Baillargeon:
Publié le 15 octobre 2010 à 13h24 | Mis à jour le 15 octobre 2010 à 13h24
*****«LA MORT EN DIRECT?
Jean-Serge Baribeau, Montréal
« ne méprise pas ceux qui regardent, vénèrent et dégustent les émissions de téléréalité. Certains d’entre eux, éventuellement, cherchent une certaine «réalité», une certaine «vérité», un certain portrait ou «autoportrait» et espèrent qu’ils vont finir par mieux se connaître eux-mêmes («connais-toi toi-même!») en voyant s’agiter, dans un cadre factice et artificiel, des êtres «réels» plutôt que des êtres de fiction.
Je me rappelle l’époque glorieuse où il était question du cinéma-vérité, du cinéma direct, du cinéma documentaire qui tentait de mieux saisir, en profondeur, certaines personnes, certains événements, certains contextes ou certaines situations. Quoi qu’on puisse en dire, il y a peu en commun entre «le cinéma-vérité-réalité» et ce genre télévisuel délétère et «voyeur» qu’on appelle la téléréalité.»*****
Récemment les «scoopistes sensationnalistes» de la télévision italienne (dans une chaîne appartenant à Berlusconi) ont annoncé le décès de Sarah Scazzi, jeune fille de 15 ans, morte après avoir été violée par son oncle. Le message funèbre s’adressait, en direct et sans gants blancs, à la mère, participante à une émission de téléréalité.
Dans certains pays, les émissions de téléréalité «flirtent» de plus en plus avec la mort. C’est là l’ultime étape qui ne peut que succéder à un ensemble d’étapes antérieures, de plus en plus basées, au fil du temps, sur l’ébaubissant, sur l’époustouflant, sur le palpitant, sur le «dégradant», sur le scabreux et sur le « scandaleux ».
Certaines personnes sont déjà décédées dans le cadre d’émissions de téléréalité. Quand verrons-nous le retour du «sacrifice humain» en direct, comme se le demande pertinemment le philosophe Michel Serres?»*****
Je dois dire que je me suis intéressé pendant plusieurs années au phénomène «décadent» de la téléréalité. J’ai, en bon masochiste, visionné et revisionné de nombreuses émissions, ce qui m’a permis de proposer de nombreux textes sur la question.
JSB
Excellent!