BloguesNormand Baillargeon

Vous reprendrez bien un peu de propagande?

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans les milieux concernés. Elle me paraît mériter d’être diffusée, même si plusieurs points restent à établir avec précision: c’est que cette affaire met en effet en lumière le travail de ces instruments propagandistes qui oeuvrent le plus souvent dans l’ombre et sans être trop  inquiétés.

Voici ce dont il retourne.

Le Heartland Institute, fondée en 1984 (presque trop beau pour être vrai!) est un important et bien doté think tank qui, aux États-Unis intervient massivement dans le débat public depuis de nombreuses années pour défendre des positions nettement marquées par le conservatisme économique et le conservatisme fiscal.

Or, des documents  viennent d’être « coulés » sur la Toile par un scientifique, Peter Gleick, qui les a peut-être obtenus de quelqu’un qui  travaillait chez Heartland: et ces documents mettent pas mal de monde dans l’embarras, à commencer par le think tank lui-même.

Heartland reconnaît l’authenticité de la plupart de ces documents, mais il avance, sans preuve pour le moment, que certains ont pu être retouchés; il refuse également d’en reconnaître au moins un en particulier; Gleick, de son côté, dit avoir fait des vérifications (en demandant anonymement au think tank certains documents qu’il a pu comparer avec ceux qu’il avait reçus) et que ces vérifications  lui donnent des raisons de croire que les documents sont tous (presque?, ce n’est pas clair) authentiques. Quoiqu’il en soit, du travail de vérification reste à faire sur tout cela.

Mais, dès à présent, certains faits connus et d’autres reconnus ou implicitement admis par le Heartland Institute sont aussi troublants que révélateurs et  mettent, comme je l’ai dit, pas mal de gens très mal à l’aise.

Ce que les documents nous font voir, pour commencer, c’est une véritable machine de guerre destinée à manipuler l’opinion publique ainsi que les intentions qui l’animent, ses stratégies, ses acteurs. Tout cela est tout à fait dans l’esprit des idées propagandistes ayant marqué le siècle dernier et marquant encore le nôtre, des idées et dont E. L. Bernays (1891-1995) a le premier formulé la théorie (son Propaganda se trouve ici en français; aveu sans intention d’auto-promotion, puisque c’est la seule version française de ce livre: j’en ai signé la préface).

Voilà donc  la première raison du malaise: que tout cela soit mis en pleine lumière.

Un deuxième motif de malaise, d’ailleurs avoué par Heartland, est que les documents nomment les généreux et qui restaient souvent anonymes donateurs qui financent son travail : et cette fois, en sus du think tank, ce sont donc ces donateurs qui sont dans l’embarras: Microsoft, des cigarettiers comme Reynolds, des compagnies pharmaceutiques comme Pfizer, des fabriquant de boissons alcoolisées, la Charles G. Koch Charitable Foundation, et j’en passe .

Un troisième motif de malaise est que, si on peut le dire ainsi, Heartland vient d’apprendre ce qu’est un boomerang. Lui qui criait au loup devant ce qu’il donnait comme un complot (celui des climatologues) reçoit en plein visage ses propres complots: efforts (par deux fois) pour créer de toutes pièces un prétendu climategate, notamment à partir de courriels tronqués; mise sur pieds d’un Nongovernmental International Panel on Climate Change; organisation de conférences réunissant des climato-sceptiques sans grande et en certains cas aucune crédibilité scientifique; lancement en grandes pompes de déclarations négationnistes de ces chercheurs; minoration ou présentation partiale de résultats de recherches scientifiques; et ainsi de suite.

On dira peut-être que bien des gens soupçonnaient tout cela et que, par exemple, Bernays  travaillant déjà pour les cigarettiers, cachant et minorant les faits démontrant que leur produit cause la mort (ceci est depuis longtemps bien documenté, mais vient de l’être une fois de plus, et superbement, dans un récent ouvrage), ses successeurs font de même et qu’il n’est pas étonnant d’apprendre que Heartland a pu travailler à contester la nocivité de la fumée secondaire. C’est exact.

Mais il est rare d’avoir, par de tels documents, confirmation de ces soupçons et surtout de lire, directement exposés, les intentions, les stratégies et les moyens mis de l’avant ou envisagés par de tels regroupements contemporains et dont les acteurs sont explicitement nommés.

Par ailleurs, on apprend au moins une chose nouvelle ici et qui est la volonté d’infiltrer le système d’éducation en développant un curriculum — K-12, c’est-à-dire de la maternelle à la 12ème année — par lequel on incitera les enseignants de science à présenter comme sujet à controverse la science des changements climatiques.

Le consultant retenu pour ce travail n’a aucune compétence dans le domaine — il a étudié en épistémologie — et sera payé $100 000 pour ce travail. Quand on sait quel  important travail propagandiste est fait aux États-Unis contre l’enseignement de la théorie de l’évolution, on doit s’inquiéter de voir une stratégie similaire viser la climatologie.

Seule bonne nouvelle:  le National Center for Science Education , qui fait un travail remarquable pour contrer les créationnistes et partisans du Dessein Intelligent, vient d’ajouter la question des changements climatiques à sa liste de sujets prioritaires.

Affaires à suivre …