1) Récemment, le ministère français de l’Education nationale a fait valoir un projet de réforme de l’évaluation des enseignants qui s’inscrit dans une politique plus globale de « modernisation » du système scolaire français. Or, cette « modernisation » s’appuie en France sur les principes « gestionnaires » et « managériaux » du « New Public Management », avec le triptyque : décentralisation des responsabilités, gestion des ressources humaines et le contrôle de la qualité et de l’efficacité par l’évaluation. ⇒Pouvez-vous nous en dire plus sur ce courant anglo-saxon du « New Public management » appliqué à l’éducation ? Y a-t-il une philosophie derrière ce type de politique publique ?
Le « New Public Management » est apparu dès le début de l’ère Thatcher/Reagan et il est un élément non négligeable de l’arsenal constitué contre ce que, dans son rapport de 1975, la Commission Trilatérale appelait pudiquement, pour aussitôt le déplorer, le «surcroît de démocratie» affectant les pays industrialisés, ceci en raison des (trop) nombreux participants (cet euphémisme désigne l’immense majorité de la population) et de leurs aspirations .
On a ainsi assisté dans de nombreux pays (États-Unis. Canada, Australie, Grande-Bretagne, par exemple) à l’importation de modèles et de concepts de gestion du secteur privé pour la gestion du secteur public avec le dessein de restructurer ce dernier en un «quasi-marché». Derrière la prétendue neutralité des techniques, des objectifs et des processus managériaux — comme la reddition de compte, l’usage optimal des ressources, l’évaluation des acteurs — les changements induits ou visés sont tout à fait considérables. Je pense qu’il est utile et éclairant d’en distinguer deux aspects.
Sur le plan économique, pour commencer, ils débouchent sur une pernicieuse forme de financement public de profits privés, notamment par le financement public d’une offre de service de plus en plus proposée et gérée par des firmes auxquelles ces services sont sous-contractés. Des idées comme celle de bons d’éducation, d’écoles à charte, de sous-traitance de services, d’imputabilité, d’évaluation des enseignants et de salaire modulé selon les résultats des élèves en sont des exemples. Au Québec, cela a pris récemment la forme de ce qu’on appelle des PPP, ou Partenariats Public-Privé.
Mais il y a plus, cette fois sur le plan politique et idéologique. Le service public était en effet une cible très consciemment visée par le néo-libéralisme naissant, et ce pour des raisons dont il n’était pas fait mystère : il est en effet un des lieux où peut encore exister une démocratie délibérative substantielle et où les gens sont capables de penser et d’agir selon des idéaux citoyens et collectifs et qui favorisent une participation du public qui va au-delà de cet ethos de la protection des libertés négatives des acteurs individuels que le néo-libéralisme nous propose comme seul horizon éthique et politique. Cette attaque contre ce que j’appellerais cette fois l’ethos du service public est à mon avis au cœur du « New Public Management » et en constitue la dimension philosophique et politique dominante.
Transposée sur le terrain de l’éducation, cette philosophie implique que le système scolaire doive se penser et se gérer sur le modèle de l’entreprise privée, mais aussi et surtout que l’éducation doit désormais se concevoir comme visant l’adaptation fonctionnelle des individus aux exigences de l’économie, toujours saisies en extériorité et données comme décisives et indiscutables.
Les transformations de l’idée même d’éducation encore communément admise qu’impliquent de telles visées sont cependant si radicales qu’elles ont suscité d’assez vives résistances.
2) Ce nouveau modèle « managérial » de l’école est souvent présenté par ses défenseurs comme relevant du « bon sens » et d’un certain « réalisme ». Finalement, ses fondements théoriques ne seraient-ils pas à chercher du côté de la philosophie « pragmatique » ?
L’appel au bon sens et au réalisme est une stratégie rhétorique courante des idéologues. Dans le cas de l’éducation, quand on examine de plus près les résultats obtenus, il est typique de constater que les promesses faites en leur nom n’ont pas été tenus : les coûts ne diminuent pas, la qualité des services n’augmente pas (quand elle ne décroit pas), tandis que le nombre de gestionnaires augmente et que l’on assiste à un transfert vers le privé du financement public.
Je ne voudrais cependant pas nommer «pragmatiques» les fondements théoriques de cette approche. D’abord parce qu’ils s’inscrivent parfaitement dans ce que, faute de mieux, il est convenu d’appeler le néo-libéralisme ; ensuite, parce qu’en philosophie de l’éducation, le pragmatisme désigne déjà une orientation majeure, celle de John Dewey, laquelle déploie notamment un efficace appareil théorique permettant de faire une solide critique de ce néo-libéralisme appliqué à l’éducation.
3) Dans l’optique du New Public Management, l’école (comme tout service public) doit s’inscrire dans une logique de rentabilité, d’efficacité du système et d’adaptabilité aux exigences de l’économie. Quelles conséquences pour la conception de l’éducation et la transmission du savoir ?
Je suggère qu’on pourra commodément distinguer, parmi ces conséquences, celles qui concernent le contenu de ce qui est transmis, celles qui concernent les moyens de cette transmission et finalement celles qui concernent ses fins. Sur tous ces plans, d’importantes et révélatrices tensions apparaissent entre ce qui est promu par l’optique du New Public Management et une vision que j’appellerai simplement ici plus traditionnelle de l’éducation.
Sur le plan des contenus, la principale tension qu’on découvre tient à ce que l’éducation est classiquement entendue comme par l’appropriation de diverses formes de savoir ayant été historiquement développées et qui sont adoptées parce qu’elles sont intrinsèquement valables plutôt qu’extrinsèquement opportunes — que ce soit sur le plan social, politique ou, justement, économique, comme le prône en définitive le New Public Management. Les profondes transformations des curricula qui peuvent s’ensuivre sont dramatiques, depuis l’école jusqu’à l’université.
Sur le plan des moyens de cette transmission, on assiste, selon moi, à une étrange, inattendue et sur bien des plans funeste alliance entre certains thèmes chers à un certain progressisme pédagogique et ce que promeut le néo-libéralisme. C’est ainsi que des approches dites par projet ou que des théories dites constructivistes renvoyant le sujet à lui-même et à sa propre activité dans l’élaboration et la validation de son savoir, très proche de cet ethos néo-libéral dont je parlais plus haut, ont pu trouver un nouveau souffle à l’école, au détriment de méthodes et d’approches plus traditionnelles, et notamment d’instruction directe et systématique, centrées sur l’enseignant et qui ont fait leurs preuves.
Sur le plan des finalités, le développement de la pensée rationnelle et la constitution de l’autonomie, qui sont au coeur d’une vison plus traditionnelle de l’éducation entrent ouvertement en conflit avec la saisie en extériorité et jamais critiquée des exigences de l’économie qui donne pour horizon à l’éducation l’employabilité, la professionnalisation ou la qualification. La notion de compétence et son corollaire, l’approche par compétences, issus du monde des affaires et de l’industrie, liés à une vision instrumentaliste de l’éducation et promue par les États au sein d’institutions comme l’OCDE, sont sans doute les deux vecteurs principaux de l’assignation de ces nouvelles finalités à l’éducation et en nourrissent la vision «économicocentriste». La critique faite de ces notions par Nico Hirtt me semble remarquable de pertinence et de justesse et je me permets d’y renvoyer. Il montre notamment comment elle s’inscrivent dans le contexte d’une économie néolibérale mondialisée et d’un marché du travail caractérisé par une grande instabilité et par une forte dualisation — cette économie réclamant à la fois des personnes ayant de fortes qualifications et des travailleurs aux compétences minimales pouvant accomplir des tâches simples et répétitives.
L’exemple de l’université est ici éclairant des dangers qui nous guettent. À mesure qu’elle renonce à son statut d’institution pour se penser comme une organisation, de vastes pans de la vie académique sont fortement menacés dans leur existence même dès lors qu’on ne les considère plus qu’à l’aulne de la rentabilité ou de la préparation à l’emploi : c’est ce qui motive le récent cri d’alarme lancé par Martha Nussbaum à propos des humanités. La recherche universitaire est elle aussi très profondément transformée dès lors que ses objets sont définis par les besoins des acteurs économiques, que cette recherche est commandée et en partie financée par eux, qui exigent alors le secret sur ses résultats et réclament de se les approprier exclusivement.
4) L’approche de l’éducation qui est celle du ministre français actuel de l’Education nationale insiste sur la nécessité d’un lien étroit entre l’école et le monde économique. Elle consacre une vision « utilitaire » de l’éducation… Est-ce nouveau ? En un sens, l’enseignement des sophistes reposait déjà sur les mêmes principes…
Ce n’est pas un hasard si la philosophie de l’éducation au sens que ce terme a mutatis mutandis globalement conservé par la suite, commence avec Platon, et donc avec une rupture avec la sophistique qui était (entre autres) un modèle éducationnel. Il s’agissait notamment pour Platon de rétablir les idées de vérité et de vertu contre le relativisme épistémologique et éthique des sophistes afin de penser l’éducation non comme le succès dans l’adaptation aux contingences de l’ici et du maintenant, mais comme arrachement, par l’accès au savoir, à l’ignorance, aux conventions, à l’opinion.
De ce point de vue on peut, me semble-t-il, penser l’histoire de l’éducation comme celle d’un conflit pérenne entre deux principes : celui, interne, de la vie de l’esprit qui est le principe fondateur de l’éducation, et celui, externe, de diverses exigences de « rentabilité», d’utilité de toutes sortes formulées ici et là, et de l’éventuelle résolution de ce conflit, de cette tension, sous la forme de constants réajustements.
L’inquiétude que plusieurs, dont moi, ressentent aujourd’hui, tient à la facilité avec laquelle les normes et modes de fonctionnement qu’on cherche à lui imposer de l’extérieur pénètrent, parce qu’on y consent, dans les institutions d’éducation et sont adoptées par certains de leurs acteurs.
5) En matière d’éducation, il y a eu l’idéal élitiste de la paideia, qui envisageait l’école comme un lieu extrêmement détaché des considérations matérielles et concrètes. Puis, au Moyen-Âge, un modèle d’éducation plus « humaniste », au sens où les Universités cherchaient à former des gens qui agiront dans le monde. Et aujourd’hui, qu’est-ce qui est en train d’advenir ?
⇒ Après l’Eglise et l’Etat, serait-ce au tour de l’entreprise de nous fournir un modèle éducatif ?
De facto, du moins à en prendre la mesure selon l’impact qu’elle a eu sur les politiques publiques en éducation, sur le financement des institutions et plus généralement sur la manière de concevoir l’éducation, l’université, la recherche et l’enseignement, il n’y a guère de doute que la théorie du capital humain, née au sein de l’École de Chicago, est la théorie qui aura été la plus influente en éducation au cours des dernières décennies. En ce sens, oui, on assiste au déploiement d’un nouveau paradigme qui prend l’entreprise et l’économie comme modèles et comme idéaux normatifs.
6) Dans la culture républicaine française, l’école ne se soumet pas aux impératifs du présent : elle est hors du temps. On y lit Hugo ou Zola, parce que l’école, c’est le dépaysement, la bulle qui doit rester préservée des contraintes économiques. Après tout, le mot vient de skholè, qui désigne la temporalité propre des activités faisant, aux yeux des Grecs anciens, la valeur de l’existence humaine, par opposition aux occupations serviles qui sont la marque d’une soumission aux besoins de la vie animale. Pour autant, les demandes de qualifications des gens ne sont-elles pas légitimes dans le monde dans lequel nous vivons ? Il semble en effet difficile aujourd’hui de soutenir sérieusement que l’école doit être hors du siècle, retranchée dans une forteresse coupée de la société ?
Je pense que personne ne soutient sérieusement que l’école doive être retranchée dans une forteresse coupée de la société. Ce qui est cependant soutenu, et avec raison, c’est que les normes de l’école sont distinctes et en certains cas au moins, en tension, parfois vive, avec celles de la société qui l’abrite. Le maintien de cette tension est salutaire tant pour l’éducation que pour la société.
Les demandes de qualification sont certes légitimes : mais elles sauraient à elles seules piloter l’éducation, à moins de transformer ce concept en celui de qualification professionnelle. Les immenses dangers qui guettent ici sont notamment d’une part le renoncement à donner une éducation digne de ce nom à tous en excluant ceux et celles qui, dans leur cursus scolaire, sont très rapidement envoyés sur les voies d’une professionnalisation minimale et qui sera toujours à mettre à jour ; d’autre part, la minoration ou pire l’exclusion de ce qui fait qu’une formation professionnelle de haut niveau, universitaire par exemple, s’accompagne d’une véritable éducation et ne prend tout son sens que par elle.
En somme, penser l’éducation et la formation en termes d’une logique marchande de réponse par contenu instrumental à une demande circonstancielle est sur bien des plans, qu’il convient d’examiner attentivement et au cas par cas, potentiellement en profonde tension avec leur conception sur le modèle d’une logique citoyenne de l’offre d’un contenu à valeur intrinsèque.
7) Sans céder à l’idéalisme naïf ni non plus renoncer à toute exigence sous prétexte de réalisme, quelle doit être la mission de l’école au XXIe siècle ? Entre la skholè et l’entreprise, comment l’école doit-elle s’insérer dans la société contemporaine pour devenir, ou redevenir, un lieu d’émancipation par le savoir tourné vers l’action ?
Ce sont des questions difficiles et les diverses réponses qu’on leur apporte, y compris les miennes, ne me satisfont pas entièrement. Il se peut que ce soit parce que les problèmes posés sont aporétiques dans les termes et dans les conditions où ils sont posés.
Dans une société qui serait relativement saine, l’éducation devrait assurer l’autonomie de la personne en lui permettant de faire un tour d’horizon le plus large possible des formes de savoir et de l’expérience accumulées par l’humanité, dans tous les cas en ce qu’elles ont de meilleur. Elle devrait aussi préparer à prendre part activement, lucidement et sur une base égalitaire à la vie politique et économique de cette société.
Dans des sociétés comme les nôtres, c’est-à-dire profondément inégalitaires et constituées d’institutions qui, bien souvent, incarnent des valeurs et sanctionnent positivement des comportements qui vont littéralement à l’encontre de ce que serait une éducation dans une société saine, nous devons, je pense, nous efforcer d’incarner au mieux les idéaux que j’ai rappelés, même si bien des obstacles redoutables se dressent contre eux.
C’est ainsi que contre cet idéal d’un large tour d’horizon des savoirs et de l’expérience humaine se dresse l’obstacle de l’instrumentalisation des savoirs, tout particulièrement au profit d’intérêts économiques, ainsi que diverses tendances endoctrinaires ; que contre l’idéal d’une réelle participation sociale et politique se dressent des pratiques pédagogiques qui engendrent des spectateurs ou des personnes qui ignorent ou méconnaissent la nature réelle des institutions au sein desquelles elles vivent ; encore ainsi que contre l’idéal d’égalité se dressent de formidables inégalités économiques qui placent certains enfants dans des circonstances qui pèsent très lourd sur leurs parcours scolaires et sur leurs vies, au point d’en faire presque un destin ; c’est enfin ainsi que contre la participation lucide et volontaire à la vie économique se dressent l’esclavage salarial et la condamnation à œuvrer comme simple exécutant au sein de ces tyrannies privées que sont typiquement les entreprises.
Maintenir vivant, au sein de notre monde et dans toutes les composantes que j’en donnais plus haut, cet idéal d’une éducation émancipatrice n’est pas une mince tâche : mais elle est primordiale. Elle exige d’abord de ne pas tomber dans le cynisme ou le désespoir. Mais elle exige plus encore. En effet, en ce moment historique où la culture et le savoir sont, et parfois avec raison, tenus en haute suspicion, elle nous demande d’avoir la sagesse de distinguer ce qui, ayant valeur émancipatrice, mérite d’être transmis à tous les enfants, avant de prendre les moyens les plus appropriés pour ce faire.
Pour y parvenir, il est primordial d’avoir une idée claire et juste de ce qu’on cherche à accomplir et pourquoi. Il est aussi indispensable de mieux prendre en considération les résultats des recherches crédibles sur l’apprentissage et des sciences cognitives, qui ont montré la plus grande efficacité, en particulier pour les enfants à risque, en difficulté ou provenant de milieux défavorisés, de méthodes centrées sur l’enseignant, fondées sur la transmission systématique et procédant du simple au complexe : ce faisant, ces recherches pointent dans des directions qui sont en bien des cas à l’opposé de celles qu’une bonne volonté pédagogique prône en confondant progressisme pédagogique et progressisme politique.
8- Face à l’inflation des discours sur la crise actuelle du domaine de l’éducation, la réflexion philosophique a-t-elle un rôle à jouer ?
La philosophie de l’éducation est, hélas, généralement considérée comme un genre mineur dans le monde francophone. Pour ma part, d’accord en cela avec Dewey, je la tiens comme la philosophie parvenue «à sa phase la plus générale» et je tiens l’éducation pour le domaine par excellence où se mesurent et s’apprécient la pertinence, la signification et la portée de nos concepts, distinctions et théories.
Mon orientation est celle de la philosophie dite analytique de l’éducation, initiée dans les années 60 du siècle dernier, notamment par R. S. Peters, qui est décédé en décembre 2011, et P. Hirst. Cette importante et riche école philosophique demeure inconnue dans le monde francophone et je tiens à dire qu’ il me semble être grandement temps que ses travaux majeurs soient traduits en langue française.
Le rôle de la philosophie de l’éducation ainsi conçue en est d’abord un de clarification conceptuelle : le philosophe aspire à dresser la cartographie logique des concepts mis en oeuvre en éducation, comme celui d’éducation, bien entendu (un concept distinct de ceux de qualification, de moralisation, de socialisation, notamment), mais aussi ceux d’endoctrinement, de curriculum, de croissance, de compréhension, d’enseignement, d’intérêt, de savoir et plusieurs autres.
La philosophie de l‘éducation a aussi une vocation de synthèse à portée normative : elle ambitionne en effet de montrer comment tiennent ou non ensemble avec cohérence et avec les pratiques qu’elles inspirent, les positions adoptées sur le plan théorique quant aux fins, aux moyens et aux conditions de l’éducation. Ce n’est pas là une mince tâche dans un domaine où s’entremêlent, au point parfois de se confondre, tant de faits, dont bon nombre sont contestés, de valeurs et d’aspirations souvent divergentes.
Un des mérites de ces travaux est de forcer à aller au-delà des slogans qui sont omniprésents en éducation et à acquérir une idée claire et dont les présuppositions conceptuelles et normatives ont été lucidement adoptées, de ce que signifie éduquer et de ce qu’on est en droit d’espérer de cette pratique.
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Ces critiques m’ont amené à me remémorer certaines des meilleures pages du Rapport Parent, dans lesquelles l’étudiant y était vu à part égale comme – futur travailleur; – futur citoyen; – personne en développement. Il me semble que lorsque l’État choisit de privilégier le futur travailleur, elle le fait au détriment du citoyen et de la personne. Je m’inquiète des conséquences possibles si on choisit un modèle d’école qui pousse cette vision à sa limite.
Martin,
Intéressant. Ne fais pas de recherche pour cela, mais si tu as ce passage en version électronique, je serais intéressé à le lire (et éventuellement citer)
De mémoire, c’est dans le tome (2?) ou il est question des futurs Collèges d’Enseignement Général et Professionnel.
Moi aussi, j’ai une bonne souvenance du Rapport Parent, lequel disait, à mon humble avis, ce que dit Martin Godon. J’ai, au fil des déménagements, perdu mes exemplaires de ce fameux Rapport. Je fais donc appel à ma mémoire.
Toutefois, comme je l’ai déjà dit, j’ai, en 1963-1964, suivi les cours de Guy Rocher. Il était l’un des commissaires du Rapport Parent et il ne souhaitait sûrement pas que l’étudiant soit considéré d’abord et avant tout comme un futur travailleur. Il voulait aussi former des citoyens «libres» et renseignés, ce qui n’excluait pas la formation de très bons travailleurs, pas trop soumis et pas trop inféodés aux exigences de certains patrons abusifs.
Comme je l’ai déjà écrit (encore une fois, il va falloir que je me calme) l’antique cours classique voulait former des êtres humains «complets» et «multiformes». Il y avait, dans ce système, des lacunes sérieuses mais il y avait aussi une formation éminemment valable.
Le Rapport voulait conserver le «meilleur» du vieux système tout en mettant de côté les aspects les plus révoltants, les plus dogmatiques et les moins adaptés à une société de modernité.
Hélas les patrons les plus minables et certaines forces sociales régressives ont gagné, ce qui m’attriste profondément.
JSB
JSB
Intéressant que vous citiez Rocher. Un intellectuel remarquable et un homme pour lequel j’ai une grande admiration.
Il ya deux ans notre petite revue de gauche farouchement indépendante, à Bâbord, a organisé, seule et sans aide ni subvention, un colloque sur la laïcité On l’a invité et il est venu, très généreusement. Grand monsieur, vraiment.
Guy Rocher fait partie des quatre ou cinq enseignants qui ont laissé en moi une profonde et indélébile empreinte intellectuelle. Il y a aussi le regretté Marcel Rioux.
JSB
« Après l’Eglise et l’Etat, serait-ce au tour de l’entreprise de nous fournir un modèle éducatif ? »
J’adore!
Et si je peux me fier à l’expérience que j’ai acquise en centre d’appels, au service à la clientèle, ainsi que dans le domaine des sondages, le type d’éducation qui sera prôné par l’entrepreneurship triomphant risque de nous faire éteindre Les Lumières, une à une, jusqu’à ne plus VOIR vraiment ou ressentir en chacun de nous ces quelques traces qui s’efface, véhiculées par ces Humanités qui, jadis, essayaient de nous distinguer des bêtes, mais qui, aujourd’hui, arrive de moins en moins à nous distinguer des robots ou des machines avec et pour lesquelles nous travaillons…
Mais, j’imagine que ça va dans la foulée du scientisme qui veut qu’on « n’arrête pas le progrès », on arrête seulement les manifestants qui remettent en question l’hyper-exploitation du vivant sous toutes ses formes.
Autrement dit, une certaine logique économique poursuit son déploiement et élargi sa toile car si on peut offrir, par exemple, au téléphone le qualificatif « intelligent », pourquoi ne pourrait-on pas aussi commencé à parler d’individus ou de consommateurs programmables?
Bref, fabrication du consentement et programme politique iraient ainsi de pair, main dans la main (invisible), pour nous donner, au bout de cette « évolution », au bout de cette transhumance, ce que nous « souhaitons » tous individuellement ou inconsciemment (à défaut d’être à nouveau capable de rêver en commun ou délibérément): A brave new world under an Iron Heel.
Enfin, c’est un peu pessimiste et tracer au charbon comme vision de notre avenir mais disons que ce dessin vaut bien d’autres desseins imaginés et suggérés jusqu’à présent dans le domaine des lendemains qui chantent chez les bâtards de Voltaire.
Le volume 1 du rapport Parent se trouve ici:
http://classiques.uqac.ca/contemporains/quebec_commission_parent/rapport_parent_1/RP_1.html
Enjoy!
Volume 2: http://classiques.uqac.ca/contemporains/quebec_commission_parent/rapport_parent_2/RP_2.html
Enfin, tout ça pour dire qu’il y a cinq tomes en tout, disponibles sous forme électronique de trois manières: http://classiques.uqac.ca/contemporains/quebec_commission_parent/commission_parent.html
Merci, Steve Boudrias, de nous avoir ainsi indiqué où trouver le fameux RAPPORT PARENT.
JSB
» C’est ainsi que des approches dites par projet ou que des théories dites constructivistes renvoyant le sujet à lui-même et à sa propre activité dans l’élaboration et la validation de son savoir, très proche de cet ethos néo-libéral dont je parlais plus haut, ont pu trouver un nouveau souffle àl’école, au détriment de méthodes et d’approches plus traditionnelles, et notamment d’instruction directe et systématique, centrées sur l’enseignant et qui ont fait leurs preuves. »
Je suis en dessacord avec cela. Il y a aussi des gens qui pensent que dans une certaine mesure les méthodes qui ont fait leur preuve ne fonctionne pas bien quand on regarde plus profondement et a long terme.
(1) Il y a probablement des gens eduqué sur un tel blogue … personne n’a lu un article ou discuté avec un collegue d’un résultat et ne l’avoir pleinement compris qu’en faisant soi meme les calculs ou la démonstration et les liens ici et la par soi meme …
Je pense que des gens ont une vision naive de ce que signifie apprendre et comprendre. C’est sur qu’on peut faire une conférence ou un cours et a la fin se frotter la bedaine en se disant … qu’on a ete éloquent … drole par moment … intéressant … qu’on a répondu a toutes les question sans trop de mal et ultimement dire mission accompli … mais qu’est-ce que les gens ont retenus … c’est tout de meme une question importante. L’etudiant il en retient quoi du cours 3 semaines apres, un mois, un an … 40 ans …
On peut pas donner des milliers de cours a des centaines de milliers d’etudiants et ne pas se soucier de la maniere dont on le fait et de l’impact a long terme … mais ca serait absurde et reduire tout cela a du néo libéralisme c’est disons rapide …
(2) La preuve que cela fonctionne les approches traditionnelles elle est ou ?
Bien des gens ont recu des cours classiques, des cours de ceci ou de cela (du latin tient) mais il en reste quoi 30 ou 40 ans plus tard …
A part des j’ai pas vu ca dans mon temps…
j’ai pas vu ceci dans mon temps …
Il y avait pas cela dans mon temps ( alors que c’etait dans le cursus m.chose …) ..
ah vous savez avec les reformes ( ben non madame chose des mathematiques il y en avait vous avez juste oublie) …
Et puis des parents meme scolarisé qui ont de la difficulte a s’adapter a 2-3 mots de vocabulaires nouveaux et qui semble-t-il ont perdu toute capacité de faire des problemes de 5 années …
Et puis a chaque fois qu’on evoque un questionnaire d’histoire qu’on passer a des adultes on a des j’ai pas vu tel personnage, je savais pas ceci … ( ben oui vous avez vu tout cela … vous l’avez juste oublie)
Les resultats sur le long terme me semble pas tres bon … et je trouve etonnant que des gens interesse a l’education fnot comme si cela n’existait pas …
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Je met au defi les internautes (on evoquait il y a quelques temps la vulgarisation sur ce blogue …)
Allez a votre librairie la plus proche et prenez un livre de vulgarisation scientifique … par exemple de Brian Greene ( exemple de meme pas d’interet dans l’achat de ces livres) de vulgaritation de plusieurs centaines de pages… un univers elegant disons … lisez le …
Tentez de formuler de maniere coherente ce que vous avez lu 1 mois plus tard et avec le plus de details … et c’est pas evident que ca va depasser ce qui est ecrit sur la pochette ou les titres de chapitres …
Je peux bien vous inonder de fait ici et la … d’affirmation sur ceci ou cela … mais dans le fond peut etre qu’on apprend pas comme ca …
On peut aussi se dire que la methode traditionnelle fonctionne pas si pire et que dans le fond meme s’ils retiennent que de maniere superficielle sur le long terme c’est pas grave … et se satisfaire de cela …
En fait, je pense que le combat pour un «meilleur» système scolaire et que le désir ferme d’éviter le «constructivisme» dévastateur et délétère, c’est une lutte dont le but est d’empêcher que l’école devienne semblable à celle dont parle ici le grand Réjean Ducharme:
*****«C’est dangereux, quelqu’un qui n’a rien appris à l’école, quelqu’un qui n’a pas appris tout ce qu’un homme doit avoir appris pour être facilement maniable.»*****
L’école a parfois (souvent même) été cela. La crainte de moult personnes qui se sentent concernées par le système scolaire, c’est qu’on soit actuellement en train de «réformer» l’école pour la rendre conforme à ce dont parle Ducharme, avec son humour décapant et corrosif.
Quant à lui, Alexandre Minkowski a été encore plus «baveux». Parlant de l’école il a écrit:
*****«Une remarquable machine à fabriquer des crétins.»*****
Quant à moi je pense, sociologiquement et anthropologiquement, que dans toute société il doit y avoir toute une panoplie de mécanismes de transmission. PAS DE SOCIÉTÉ SANS TRANSMISSION PAR DES ENSEIGNANTS, PAR LES PARENTS ET PAR LES PLUS AVANCÉS EN ÂGE. Et cela est vrai même dans une société encerclée par les ordinateurs et par une foultitude de gadgets électroniques.
Encore une fois je dis que si ma santé le permet, je vais parler plus longuement de LA TRANSMISSION.
JSB, sociologue, «petit vieux» en déclin et citoyen souvent insoumis et désobéissant
J’aimerais ajouter que dans une large mesure, qui n’est pas une mesure totale, je crois aussi à l’autodictatisme. Lorsque des cours universitaires ne me convenaient pas, j’ai souvent décidé d’apprendre par moi-même quand la matière du cours m’allumait et m’intéressait.
JSB
Un texte français publié par LE FRONT DE GAUCHE:
*****«Alors que les personnels de l’Éducation sont appelés à une journée de grève contre « la saignée sans précédent », le candidat du Front de gauche à la présidentielle a estimé, lors de la présentation de ses voeux, hier soir, au monde éducatif, que la droite faisait peser une « grande menace » sur l’école en l’organisant « comme un marché »».*****
JSB
Vivement l’effort et la rigueur!
Le renouveau pédagogique, qui semble miser sur le plaisir d’apprendre autant que sur la peur noire de l’échec ne m’aurait pas été profitable, moi qui n’ai qu’un Cégep pas tout à fait complété. Autodidacte dont la seule arme est vraiment de savoir lire et chercher dans un dictionnaire, donc d’être rigoureux et bosseur, je suis heureux de pouvoir lire votre billet M. Baillargeon, lequel pourrait quand même passer pour hermétique devant qui n’est habitué qu’à l’apprentissage par le projet, voire le plaisir.
Un autodidacte en construction
« En fait, je pense que le combat pour un «meilleur» système scolaire et que le désir ferme d’éviter le «constructivisme» dévastateur et délétère, c’est une lutte dont le but est d’empêcher que l’école devienne semblable à celle dont parle ici le grand Réjean Ducharme:
*****«C’est dangereux, quelqu’un qui n’a rien appris à l’école, quelqu’un qui n’a pas appris tout ce qu’un homme doit avoir appris pour être facilement maniable.»***** »
Bof … on peut aussi etre en desaccord avec le grand Rejean Ducharme …
Je pense que le desaccord vient peut etre de l’importance qu’on accorde a certains faits et une certaine culture …
Vous evoquez
« Alexandre Minkowski » …
Dans le texte ci haut …
« On y lit Hugo ou Zola, parce que l’école, c’est le dépaysement, la bulle qui doit rester préservée des contraintes économiques. Après tout, le mot vient de skholè »
Par exemple, en faisant dans la polemique je dirais qu’on semble reduire « connaitre » a des faits de type … genie en herbe … en quelle annee « m.chose » est ne … quelle est la capitale du « peutimporte » … ou a quelques auteurs ici et la ( habituellement plus le livre est epais … plus on se cultive …)
Des truc qu’on peut inserer dans un texte comme Skhole ou Zola … ou bien dans une conversation de salon ou de blogue …
Cela me fait penser au texte d’un autre blogueur ou il est tout fiert de sa niece qui fait la lecture de Voyage au bout de la nuit … et qui est semble-t-il un meilleur livre que Twilight … ( en fait pour etre precis on disait en lien avec a la vision qui soutient la lecture d’un tel livre « Cette vision, bien que justifiable, vole un peu au ras des pâquerettes »)
Moi ca m’aurait etonne si elle avait lu je sais pas (tient on va ploguer un nom) … Singular integral equation de Muskhelishvili … alors qu’il est pas dans le bibliotheque de papa ou de mononcle un tel …
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Et puis si on laisse de cote genie en herbe et que je vous demande de m’expliquer la trajectoire des planetes que me direz vous (sans google ou wikipedia) …
Pour moi comprendre c’est quelque chose qui a des niveaux …
Par exemple que veut dire comprendre la trajectoire des planetes ?
(1) Ca peut etre c’est un truc qu’on m’a dit de maniere superficielle au primaire
(2) Ca peut etre plus precis un truc qu’on nous a dit au secondaire ou au cegep et on a fait reference a des ellipses.
(3) On peut aller plus loin … peut etre qu’on m’a dit dans un cours de physique du cegep comment faire le calcul pour une orbite circulaire et je comprends certains elements de mecanique classique ( loi de newton )
(4) On peut aller plus loin ( 1ere annees de bacc en physique ) on est capable d’utiliser le calcul differentiel et integral et on peut resoudre l’equation differentielle et se convaincre que oui la solution est bien une ellipse et que en fait c’est en terme du centre de masse que se fait le mouvement
(5) On peut toutefois se rendre compte que dans le fond il y a assez d’integrales pour faire le calcul algebriquement
(6) On peut se rendre compte que dans le cas d’orbites dans un champ gravitationnel plus fort (mercure qui est plus pres du soleil) il faut tenir compte de la relativite generale
(7) On peut etre capable ( 3e annee de bacc-maitrise) de manipuler un peu les equations d’Einstein, les tenseurs et faire le calcul soit meme
(8) On peut se rendre compte que dans le fond depuis l’etape (4) on a fait l’approximation que c’est un probleme a deux corps et que dans le cas d’un probleme a N corps meme en se limitant a la mecanique classique c’est plus complique
(9) On peut meme faire de la recherche sur aller plus loin dans l’etape (8) et le comportement a long terme des orbites ou meme regarder des problemes plus difficiles du type (5) ou (7) …
Pour moi eduquer, comprendre, connaitre … ca doit s’incrire dans ce type de demarche pas simplement dans une liste d’auteurs, de faits, de truc que tout bon petit eleve cultive doit savoir … parce que pour moi ca serait ca que de faire ( pour reprendre les mots de JS Baribeau qui reprenait les mots de Alexandre Minkowski … j’imagine ca doit passer la netiquette)
*****«Une remarquable machine à fabriquer des crétins.»*****
Des gens capable de me reciter du ceci ou du cela, de savoir que tel livre est bien meilleur que celui la parce tient ceci ou cela … et puis sur le fond des etres dont la seule competence est de pouvoir reciter des faits …