S’il y a quelque chose de troublant dans la transformation de l’université à laquelle nous assistons en ce moment, c’est bien la rapidité avec laquelle elle s’effectue, d’une part, et, d’autre part, le consentement à ces changements de l’intérieur même de l’université, où tant de gens, dans un renoncement aux idéaux idée de pensée et de distance critiques que l’université devrait incarner, sautent à pieds joints sur le train de sa mutation en appendice des chambres de commerce.
Dernier item à verser à ce dossier: l’empressement des université à se mettre au service du Plan Nord, que rapporte ce matin Le Devoir, sous la signature de Lisa-Marie Gervais. Le texte vaut le détour,même s’il enrage et donne envie de chialer. À lire avec cette autre récente nouvelle de la même journaliste concernant cette fois, à l’Université Laval, le financement d’une cinquantaine de postes de professeurs au moyen de fonds privés, par l’entremise du programme de Chaire de leadership en enseignement (CLE). Professeur 3M de philosophie de l’Éducation n’est pas exactement ce que j’avais l’intention d’Accomplir dans ma vie universitaire…
J’en profite pour reproduire quelques pages de Je ne suis pas une PME, où je propose quelques avenues de sortie de ce qui me semble une terrible impasse, à laquelle beuacoup consentent pour ce qui me semble n’être que babioles de capital de prestige et colifichets de fric .
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Afin de conclure cet essai sur une note qui ne soit pas trop pessimiste, je désire proposer, mais sans illusions, trois séries de propositions qui pointent vers autant de directions dans lesquelles nos actions et réflexions pourraient avantageusement s’engager. Toutes trois pointent vers ce que j’appellerais un régime de simplicité volontaire avec recentrement sur ce qui se fait de moins en moins.
La première est justement la lutte contre ce qui mine de l’intérieur l’université dans sa mission fondamentale.
Sans aucunement nous leurrer sur ce que fut historiquement l’université, à savoir une institution largement au service des pouvoirs, nous pouvons reconnaître, d’une part, l’importance et la valeur intrinsèque de ses accomplissements tandis qu’elle poursuit sa mission propre, et, d’autre part, le potentiel émancipateur de cette dernière. D’où l’urgence de se porter aujourd’hui à sa défense contre ces nouveaux ennemis, depuis ces programmes bassement utilitaires qui ont été mis en place, jusqu’à cette recherche aux visées mercantiles, en passant par les modes de gestion qui rendent possible cette métamorphose et qui la font croire importante, utile et inévitable.
La poursuite et la défense de cette recherche libre, qui est de plus en plus menacée, est un exemple concret de l’action que je propose. Le refus de prendre part à des activités au contenu intellectuel douteux, mais d’une grande rentabilité, en est un autre, tout comme le refus de se plier aux diktats des entreprises ou de l’État. La création de cours libres, crédités ou non, en est un autre également; ces cours pourraient évidemment se donner au sein de l’université, mais aussi hors et indépendamment d’elle.
Le cas de Chomsky pourra ici servir d’exemple puisqu’il a justement offert au MIT pendant très longtemps un enseignement libre et parallèle ouvert à tous et qui fut extrêmement populaire. On sait qu’il poursuit désormais sur une grande échelle, par des conférences et par de nombreux écrits, ce travail d’éducation populaire dont nul universitaire ne devrait rougir même si l’air du temps est à son dénigrement.
On me permettra ici une anecdote à ce propos. Participant récemment à une activité de vulgarisation de la philosophie, j’avais choisi de tenter des rapprochements entre humour et mathématiques, une discipline que j’aime tout particulièrement, mais pour laquelle je n’ai aucune prétention et reconnais sans ambages ma grande médiocrité. Or, juste avant la tenue de l’événement, j’ai appris qu’un très éminent mathématicien français, une sommité mondialement reconnue, se trouvait sur le même panel que moi et qu’il prendrait la parole immédiatement après moi. Mon angoisse fut pourtant très vite apaisée car l’homme était on ne peut plus charmant, simple et drôle. Il me fit même le bonheur d’apprécier ce que je racontais, mais, surtout, il me parla longuement de ce qu’il considérait comme la partie la plus noble et la plus passionnante de son travail : rencontrer des enfants du primaire pour tenter de leur donner le goût des mathématiques.
Pour en revenir à Chomsky, il a aussi souhaité l’intervention des universitaires dans les débats et combats de leur temps, exprimant même à l’occasion une nostalgie d’un temps pas si éloigné où « […] bien des scientifiques […] se sont activement engagés dans la culture vivante de la classe ouvrière de leur temps, s’efforçant de pallier à la discrimination de classe opérée par les institutions culturelles par des programmes d’éducation populaire et par des livres de mathématiques, de sciences et d’autres sujets encore destinés au grand public23 ».
Cette remarque me conduit à ma deuxième série de propositions.
Il s’agit cette fois de saisir ces occasions et ces moments propices durant lesquels la société civile se porte elle aussi à la défense de certains des idéaux universitaires et d’en tirer le meilleur parti possible. Il me semble que nous devrions en profiter pour maximiser les liens entre les universitaires et la société civile.
Concrètement, cela signifie une participation active et soutenue à la production et à la diffusion de connaissances intéressant la société civile, que ce soit au sein d’universités populaires, de groupes communautaires, de syndicats ou d’associations de toutes sortes.
Dans la même perspective, j’ai suggéré sans succès la tenue au Québec d’États généraux de l’université, que j’envisageais comme un moment de défense collective contre la tentative des institutions dominantes de s’approprier et de transformer l’université selon leurs valeurs et leurs finalités. Cette proposition n’a guère eu d’écho.
Ma dernière piste de réflexion reprend une idée qu’avançait il n’y a pas si longtemps un libertaire américain bien connu, Paul Goodman (1911-1972). Son point de départ est le suivant.
Envisagée dans la longue durée, l’actuelle crise de l’université n’est au fond qu’un épisode de plus du conflit entre les deux principes que j’ai maintes fois évoqués dans ce livre. Or, qu’ont fait, à divers moments de l’histoire de l’université depuis le Moyen Âge, certains universitaires et certains étudiants quand la forme prise par cette institution ne leur convenait plus du tout ? Ils ont fait sécession. C’est souvent à travers cette dissidence que l’université a trouvé de quoi se régénérer.
De telles sécessions ponctuent l’histoire de l’institution. La dernière en date et la plus célèbre est celle de la création de la New School of Social Research, de New York, née de la sécession de professeurs dissidents de Stanford et de Columbia.
Faisons-le une fois de plus, suggérait Paul Goodman en 1962. Je reprends à mon compte son idée et j’imagine facilement une cinquantaine de professeurs accompagnés de quelque trois cents étudiants fondant tous ensemble un Institut universitaire voué au Studium Generale, à l’abri des désormais sclérosants contrôles extérieurs administratifs et bureaucratiques et des ennemis intérieurs aux mille visages, et sortant de la logique de la production et de la croissance à tout prix, dans le but de fonder une véritable communauté intellectuelle.
Bien des questions concrètes soulevées d’emblée par pareille proposition demeurent sans réponse, j’en suis pleinement conscient. Elles concernent notamment le financement de cette communauté parasitaire, ses ressources matérielles et humaines – bibliothèque, locaux, équipement, personnel – ainsi que sa relation avec les institutions officielles, qui devra garantir aux étudiants l’obtention de diplômes reconnus.
Il me semble toutefois que ces problèmes ne sont pas insurmontables, d’autant plus que les universités, le ministère et la collectivité ont intérêt, pour des raisons diverses, à la poursuite et au succès d’une telle expérience.
On a encore, j’ose l’espérer, le droit de rêver…
A-t-on encore le droit de rêver ? Oui, mais en silence.
Les universités sont littéralement en train de devenir les départements de recherche et développement des compagnies… Un désolant exemple d’externalisation des coûts!
Souvenir. Petite histoire. Et suggestion de lecture d’un collectif de l’UQAM datant de 2000, intitulé « L’ESSOR DE NOS VIES ».
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Quand je travaillais dans le domaine des sondages, dans une autre vie, dans un autre volet de mon CV, il m’est souvent arrivé de rencontrer des étudiants de toutes les disciplines (collégiales et universitaires).
Beaucoup de discussions de cuisine endiablées, de pauses-café animées, ont eu lieu durant ces années.
On se faisait chier grave durant les heures de travail mais entre les intervalles, entre les vagues d’appels robotisés distribuées par le serveur de la place, on se racontait le monde, on le partageait, on le reconstruisait au hasard des sujets en se parlant malgré toutes nos différences, nos divers bagages de vie et nos cultures respectives.
J’ai eu la chance de côtoyer – dans ce milieu au sein duquel le cervotariat se faisait (et se fait toujours) joyeusement, mais pas inconsciemment exploiter (à l’aide de systèmes d’exploitation, d’ailleurs) – des écrivains, des étudiants en histoire, en théologie, en sociologie, en urbanisme, en médecine, en finance, en politique, en Arts, etc.
Tous, nous détestions pour mourir le travail que nous faisions mais il fallait bien vivre: payer les factures, combler le manque à gagner des prêts octroyés par le gouvernement et, bien sûr, acheter des livres, des disques, des billets de spectacle, etc.
À l’époque, la numérisation du Savoir (moi, j’y vois davantage une pulvérisation) n’avait pas encore été entamé.
C’est à ce moment que j’ai jasé avec un barbu qui allait à l’UQAM. Un jeune homme tranquille, posé et bien articulé.
Il avait comme un tic, pas un tic nerveux, mais plutôt une manie: celle de parler sans cesse de son objet d’étude: les TIC, les technologies de l’information et des communications.
Je le rappelle, nous étions en 2000, au tournant du millénaire – ou du siècle, c’est selon.
En parallèle avec ses études et le travail, le jeune homme en question participait à un ouvrage collectif qui abordait le problème qui est en train de nous ravager le paysage imaginaire et philosophique, en ce moment.
De prime abord, nous étions aux antipodes, lui et moi. Plus d’une fois nous sommes tombés en désaccord. Nous discutions assez souvent mais, au bout du compte, ses « lubies » n’étaient pas « mes » problèmes et « ses » « préoccupations » n’étaient pas de « mes » affaires. Voyez le genre?
J’étais un décrocheur récidiviste ayant refusé le parcours habituel de l’élevage courant tout en embarquant à pied joint dans le parcours politique traditionnel. Il était un étudiant provenant d’un milieu aussi pauvre que le mien (je présume) et était sur le point d’enseigner la matière qu’il terminait pratiquement de maîtriser, si je me souviens bien.
Pour ma part, j’explorais beaucoup le champ des possibles en ce temps-là. J’essayais de comprendre les limites de l’action politique dans les cadres habituels de l’expression démocratique. Mon décrochage scolaire venait de là, justement. De l’intuition que la solution ne pouvait pas provenir de l’intérieur du système mais de l’extérieur de celui-ci.
Alors, un universitaire en passe de devenir lui-même enseignant (communément dit, un « privilégié », un membre de l’élite) qui se scandalisait de la manière dont nous posions certaines questions dans « nos » sondages et qui s’interrogeait avec beaucoup d’inquiétude sur la direction de l’établissement au coeur duquel il cherchait à découvrir un sens ou une révélation du monde qui l’entourait, au lieu de se mettre au service d’un projet rentable pour l’institution qui était sensé lui montré la voie de la connaissance; pour moi, tout ça c’était de l’enculage de mouche pur et simple.
En effet, en quoi les sensibleries d’un étudiant de l’UQAM pouvaient bien m’affecter, moi, qui avait décider depuis longtemps de faire à ma tête, c’est à moé les oreilles, en cherchant une manière d’améliorer les choses « autrement »?
En tous cas, tout ça pour dire que le jeune homme dont je parle sans oser le nommer (par pudeur ou par prudence, à vous de choisir) est arrivé au travail, un jour, ulcéré, pour ne pas dire en beau joualvert.
On ne comprenait pas bien pourquoi il était si en colère, et moi plus que quiconque puisque que je lui avais acheté le livre qu’il venait de faire éditer en collaboration avec ses collègues d’apprentissage. Ainsi, pourquoi venait-il se plaindre devant nous, qui n’étions rien ou qui n’allions pas le devenir avant un bail, de ce qui venait de se passer dans son université?
En fait, ce qui s’était passé était survenu à l’intérieur ET à l’extérieur de l’université.
C’est d’ailleurs cet aspect du problème qui m’a mis la puce à l’oreille.
Ce qui m’a vraiment inquiété, pour la première fois depuis qu’il nous parlait, c’était le fait que lui et les autres étudiants participant de cette activité collective (écrire, ça peut se faire en groupe, pas toujours tout fin seul dans son coin) s’étaient fait foutre à la porte de leur propre université (normal, trouble de la paix) et que le recteur ou le directeur (je ne me souviens jamais) avait ordonné le verrouillage des portes afin de faciliter l’arrestation des agitateurs qui avait fait publier ça:
https://fxg.koha.ccsr.qc.ca/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=44477
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Alors, je vous le demande aujourd’hui, cher monsieur: est-ce que c’est l’université « qui fout le camp »… ou n’est-ce pas plutôt l’administration de certaines d’entre elles qui ne tolèrent plus la réflexion, la recherche sans but mercantile et, au bout du compte, la contestation de son propre pouvoir sur ses maîtres ET élèves les moins « coopératifs » (dans le sens de l’ordre établi des choses actuelles et à venir) ?
Bien entendu, ce n’est qu’une anecdote qui date de plus de 10 ans, déjà.
Évidemment, je n’ai pas une once de crédibilité vaillante en poche selon les critères politiquement correct de notre époque.
Of course, je n’ai pas tous les détails de l’affaire à vous narrer dans le long comme dans le large MAIS, vous avouerez que votre idée du changement qui s’effectue TRÈS vite dans nos institutions (alors que l’on croit bêtement qu’il viendra du politique et de la population, le fameux « changement »), elle est plus que pas bête, elle est ahurissante de perspicacité cher monsieur!
Et ce, même si mon point de vue ne vaut même pas les pixels qui l’éclairent, je crois tout de même comprendre aujourd’hui ce qui inquiétait tant mon collègue de travail jadis.
Toutefois, aujourd’hui comme « hier », je n’ai pas la moindre idée de la manière dont on en est arrivé là, dans le merdier actuel, et encore moins de quelle façon on va réussir à faire marche-arrière sans s’embourber davantage dans un état de plus en plus policier ou policé, et de moins en moins « bien élevé » au-dessus des simples considérations d’usage.
Je possède le livre, qu’on a eu la générosité de m’offrir à l’époque.
Deux beaux textes, Messieurs Baillargeon et Boudrias, merci.
Je pense que les cégeps, d’une manière différente et moins accentuée, tendent à devenir de plus en plus inféodés aux «desirata» des entreprises.
JSB
Chomsky? lol
Il a travaillé sur plusieurs projet financé par les militaires au MIT, il dénonce le militarisme.
Il dénonce ceux qui veule assayer de sauvez de l’impôt, il engage une des meilleurs firme de fiscaliste pour sauvez les millions qu’il fait avec ces livres et conférences.
…
Chomsky est un hypocrite.
Sérieusement, c’est le meilleurs gars pour proposé n’importe quoi de go-gauche et de faire exactement l’inverse pour lui.
Cher Babin, comment savez-vous tout cela? Vous êtes assurément un érudit de haut niveau qui, toutefois, maltraite l’orthographe (la pauvrette)!
JSB
Si jamais Chomsky était un tantinet ou beaucoup chafouin, ce dont je doute, il n’en reste pas moins que sa pensée m’a éclairé et a fait jaillir en moi de nombreuses lumières.
Je ne suis pas au sens strict un «chomskien». Je ne suis ni un «marxien» ni un «bakouninien» mais certains auteurs m’ont aidé à façonner démocratiquement une pensée autonome et libre, ma pensée à moi.
JSB
Toutes ces transformations m’inquiètent grandement, étant moi-même étudiant universitaire. La question que je me pose est: que puis-je faire pour contribuer à arrêter cette mutation de l’université?
Pour l’instant, j’ai bien peur de ne pas avoir de réponses.