Ce dimanche, à Washington, une sorte de rassemblement pour la défense de la raison (appelé Reason Rally) s’est tenu sous la présidence d’honneur de Richard Dawkins, un éminent biologiste et un humaniste qui est aussi un des chefs de file de ce nouvel athéisme, plus militant et moins timoré que l’on a vu apparaître aux États-Unis et ailleurs, il y a à peine quelques années [on peut accéder ici à la Richard Dawkins Foundation for Science and Reason].
Le rassemblement a notamment voulu réaffirmer les valeurs de la rationalité ainsi que le droit à une existence civique pleine et entière des athées, des agnostiques et des sceptiques ainsi que des valeurs humanistes qu’ils préconisent largement en commun.
Leur cause n’est hélas pas gagnée, particulièrement chez l’Oncle Sam. En est convaincue toute personne qui suit l’actualité de ce pays ne serait-ce que du coin de l’oeil. Depuis quelques mois, avec les primaires du Parti Républicain, cet observateur inattentif aura même été en mesure de constater, avec une incrédulité confinant parfois à l’effarement, à quel degré de sombre et profonde débilité le débat public peut sombrer quand il est gangréné par des prémisses et des superstitions religieuses. (Pour vous en donner une idée, visionnez ceci, ou ceci, ou ceci, ou ceci).
Mais ce matin, le philosophe de l’éducation en moi s’attriste de voir que le Tennessee lance un nouvel assaut contre la raison et la science. Le réchauffement climatique, le clonage humain, la «chimie de la vie» sont dans la mire des législateurs mais, cette fois (encore), ce qui est visé plus que tout et spécifiquement c’est le darwinisme. C’est que depuis un siècle, et pour ainsi dire sans répit, une croisade antidarwinienne se poursuit aux États-Unis. Pour mémoire, j’en retrace ici les grandes lignes (ce passage est extrait d’un texte déjà publié ).
La prochaine fois, je me pencherai sur la loi adoptée au Tennessee.
Les fondamentalistes contre Darwin: le procès Scopes et ses suites
Un point de départ commode pour toutes ces questions est le célèbre Procès Scopes, en 1925.
Le clergé américain s’était jusque là accommodé aux idées de Darwin; mais la montée de ce qu’on va appeler le fondamentalisme protestant va tout changer. Cette doctrine est exposée dans divers tracts parus entre 1910 et 1915 et réunis en volumes sous le titre: The Fundamentals. On y défend une lecture littérale de la Bible, présumée infaillible, avec des relents de doctrine millénariste héritée du siècle précédent. L’opposition au darwinisme n’y occupe pas encore une grande place. Mais cela va vite changer, pour plusieurs raisons.
Avec le développement de la génétique, d’abord, le darwinisme occupe une place plus importante encore en science et est donc plus visible et plus menaçant; ensuite, l’éducation secondaire, devenue obligatoire, touche tous les jeunes et toutes les familles; de plus, comme le montre Edward J,. Larson dans son excellent livre, l’évolutionnisme est souvent associé au militarisme, à un capitalisme de laisser-faire et à l’eugénisme.(C’est essentiellement à cet ouvrage que je dois les informations contenues dans cet article)
Autour de 1920, la théorie de l’évolution devient donc une cible attaquée par les leaders fondamentalistes. En 1922,William Jennings Bryan amène le débat dans l’arène politique et juridique, en essayant de rendre illégal l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les écoles publiques. En 1925, le Tennessee devient le premier État à le faire (Butler Act, 1925). L’American Civil Liberties Union va réagir en faisant de cette loi une cause type.On demandera donc à un jeune enseignant, John T. Scopes, de se prêter au jeu du procès. Bryan lui même assurera la poursuite et Clarence Darrow la défense. Mais le procès devient vite un cirque (avec un notable et célèbre épisode durant lequel Darrow fera passer Bryan pour un bouffon…), Scopes ne témoignera même pas et sera finalement condamné à une amende de $100. Ce jugement sera renversé sur un point de détail et les choses en resteront là.
Sautons quelques décennies. Au début des années 60, bien des Américains se sentent menacés par le lancement du Spoutnik et les pouvoirs publics inaugurent un vaste programme pour améliorer l’enseignement des sciences. En 1963, on lance donc le BSCS: Biological Sciences Curriculum Study, qui fait une place importante à l’enseignement de l’évolution.
Les fondamentalistes — par exemple les influentes Églises du Sud des États-Unis — vont alors essayer de nouveau d’interdire son enseignement ; mais il seront déboutés en Cour Suprême en 1968. Ils vont à ce moment-là déployer une nouvelle stratégie qui sera de tenter d’obtenir qu’on enseigne le créationnisme à côté de la théorie de l’évolution. Il existe diverses «écoles» de créationnisme. Parmi les plus visibles et influentes, on compte celles qui défendent un créationnisme strict fondé sur l’Idée d’une «Terre jeune» (Young Earth) ou qui invoquent une «nouvelle Géologie» qui fait une place au déluge. Deux influents organes de cette mouvance sont la Creation Science Society (aujourd’hui: Creation Research Society), fondée en 1963 ainsi que l’Institute for Creation Research.
Cette dernière institution a publié de nombreux manuels de biologie destinés à l’important marché des écoles et collèges chrétiens.Une nouvelle et longue bataille juridique s’est donc enclenchée au milieu des années 70, alors que le militantisme de la droite religieuse est particulièrement fort. À ce moment-là, quelques commission scolaires et trois États adoptent même des lois ou des politiques prônant une «approche équilibrée» (balanced treatment) de la question de l’évolution. Avec les années, elles seront cependant toutes déclarées inconstitutionnelles, cette longue bataille juridique culminant en 1987, alors que la cour Suprême des États-Unis se prononce contre la Loi sur le traitement équilibré ( Balanced Treatment Act) de la Louisiane.
Le néo-créationnisme: Apparition Soudaine et Dessein Intelligent
Ce n’est cependant pas la fin de cette histoire, comme on le sait. Depuis quelques années, on a assité à l’avènement de ce qu’on appelle le néo-créationnisme. Ce terme recouvre deux théories: celle de l’Apparition Soudaine (Abrupt Appearance) et cette du Dessein Intelligent (Intelligent Design). Leurs promoteurs ont aux États-Unis un terrain particulièrement fertile pour leurs idées. Si j’en crois des chiffres cités par Larson, on trouve typiquement sondage après sondage que la moitié des Américains croient que Dieu a créé les êtres humains dans leur forme actuelle il y a 10 000 ans; 40% croient que les êtres humaisn ont évolué avec le temps, mais que Dieu a guidé le processus; et que 10% des gens seulement adhèrent à une vision naturaliste de l’évolution.
Durant la dernière décennie du XXème siècle, un groupe de chercheurs et d’universitaires Chrétiens s’est organisé autour de l’idée que les espèces sont trop complexes pour être le simple produit de l’évolution. Tirant leçon des expériences des créationnistes antérieurs, ils vont sagement éviter de référer explicitement à la Bible, d’invoquer des arguments reposant sur la chronologie qu’elle met de l’avant ou sur l’acceptation de ce qui y est soutenu. Les espèces, vont-ils affirmer, sont le produit d’un Dessein Intelligent; le designer a toutes les caractéristiques de Dieu, mais cela va sans dire et n’est pas dit.
Phillip E. Johnson (1940), en qui on reconnaît en général le fondateur du mouvement, invoquera pour sa part le fait que les fossiles dont nous disposons permettent de voir des brèches et des apparitions subites qui sont au mieux expliquées par la création. Sa cible est finalement le naturalisme sur lequel repose la science en général et la biologie en particulier, auquel il veut substituer une sorte de théisme qui permettrait de réintroduire la référence à des (une) entité(s) «surnaturelle(s)».
Notons au passage qu’en plus de son rôle dans la définition et la promotion du DI, Johnson est également célèbre pour nier que le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) soit l’agent étiologique du SIDA, une idée qui a reçu de la communauté scientifique le même accueil que la précédente.
Michael Behe (1952) est un autre gros nom du DI. Biochimiste et universitaire, il soutient que les molécules organiques sont trop «irréductiblement complexes» pour pouvoir avoir évolué conformément à ce que demande la téhorie de l’évolution (par petites étapes aléatoires). Behe, en somme, nous ressert avec un vague vernis scientifique, le vieil argument que l’oeil est trop complexe pour pourvoir apparaître dans un univers darwinien.
Johnson, évoqué plus haut, est le concepteur de ce qu’on appelle la Wedge Strategy, une stratégie finement et explicitement pensée afin de pénétrer les institutions sociales, politiques et éducatives pour, rien de moins, y défaire la vision matérialiste du monde qui y prévaudrait et y réaffirmer la place de Dieu. Le document émane du Discovery Institute, le think tank du mouvement.
C’est dans le cadre de cette Wedge strategy qu’on en arrive à l’épisode de Denver.
Tammy Kitzmiller et al. vs Dover Area School District
En octobre 2004, l’Area School District Board of Directors de Dover, Pennsylvania, a décidé que «les élèves seront informés de l’existence de lacunes et de problèmes dans la théorie de Darwin et de l’existence d’autres théories de l’évolution, parmi lesquelles le Dessein Intelligent». Un mois plus tard, on annonça que les enseignants de biologie de 9 ème année devaient lire en classe une déclaration affairmant que «la théorie de Darwin […] n’est pas un fait et que «le Dessein intelligent est une explication de l’origine de la vie différente du point de vue darwinien». Voici le texte intégral de ette déclaration, traduit par mes soins:
«Les Pennsylvania Academic Standards exigent que les élèves apprennent la théorie darwinienne de l’évolution et qu’ils passent éventuellement un examen standardisé qui porte entre autres sur l’évolution.
Mais la théorie de Darwin est une théorie et c’est pourquoi elle continue à être mise à l’épreuve des faits qui sont continuellement mis à jour. Une théorie n’est pas un fait. Et il existe des brèches dans la théorie et des faits dont on ne peut rendre compte. Une théorie est un explication qui a été testée avec succès et qui unifie de nombreuses observations.
Le Dessein Intelligent est une explication différente de la conception darwinienne de l’origine de la vie. Le manuel Of Pandas and People est disponible pour les élèves qui voudraient explorer cette explication et mieux comprendre ce qu’implique le Dessein Intelligent.
Comme devant toute théorie , il est important de garder l’esprit ouvert. L’école laisse aux élèves et à leurs familles le soin de discuter des origines de la vie. Notre commission scolaire est orientée vers l’obtention de bons résultats aux épreuves et l’enseignement donné en classe vise à préparer les élèves pour cela.»
Dans ce qui est désormais connu comme la cause Tammy Kitzmiller, et al. vs Dover Area School District, onze parents d’élèves de la commission scolaire appuyés par divers organismes de défense des libertés et de la laïcité vont soutenir que cette obligation faite aux enseignants, étant donné le fait que le DI est une forme de créationnisme, est en violation de l’ Establishment Clause du premier amendement de la Constitution américaine (i.e.: Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement […] d’une religion.)
Le procès s’est ouvert le 26 septembre 2005. Dans un texte passionnant auquel je dois me contenter de renvoyer,Barbara Forrest, qui y a témoigné, raconte ce qui s’y est passé. La verdict, on le sait, sera rendu le 20 décembre 2005 — on peut le lire ici. Le juge donne raison aux plaignants et souligne en particulier et avec force la nature religieuse du DI. Il écrit par exemple:
Une dimension importante du mouvement du DI, nonobstant les prétentions de ses défenseurs dans ce procès, qui assurent le contraire, est qu’il soutient un point de vue religieux. En ce sens, les écrits des chefs de file du mouvement révèlent que le designer postulé par leur argumentaire est le Dieu de la chrétienté. (page 26)
« Ce qui a été présenté à ce tribunal démontre que le DI n’est rien d’autre que le rejeton du créationnisme». (page 31)
Affaire conclue? Pas du tout. Et comme on l’a vu avec la législation qui vient d’être passée au Tennesee, le dossier, comme on pouvait s’y attendre, n’est pas clos.
Je me pencherai sur ce nouvel épisode la prochaine fois.
Tout cela me laisse très perplexe. Incrédule.
C’est en effet bien troublant. Et il n’est pas nécessaire d’être athée ou agnostique pour être très profondément gêné, pour dire le moins.
La théorie du dessein intelligent («intelligent design») est marquée au sceau de la pire des tartufferies, à mon humble et vigoureux avis.
JSB
Notre philosophe se fait historien : Leçon magistrale sur l’évolution de l’enseignement du darwinisme versus le créationnisme et ses variantes chez nos voisins du Sud.
Il y a quelque chose d’à la fois drôle et triste dans cette histoire. C’est triste de voir qu’un pays qui possède l’armée la plus puissante du monde, la bombe nucléaire, qui a envoyé des hommes sur la lune, où il se fait de la recherche de pointe dans à peu près tous les domaines de la science puisse sombrer dans de tels débats, de voir à quel point certains de ses citoyens peuvent s’investir corps et âme dans la défense et la promotion de leur idéologie. J’aime bien me rappeler George Carlin dans ces circonstances : « When you’re born you get a ticket to the freak show. When you’re born in America, you get a front-row seat. »
Vaut mieux en rire…
Merci de mettre ce débat dans une perspective plus large, vu que je viens d’une famille foncièrement croyante. Lors d’un dîner en famille, dans lequel je me payait la tête des arguments de Rick Santorum, mon frère mettait de l’avant les failles de la théorie de Darwin. De plus, il suggérait que les écoles présentent des théories alternatives, dont celle du néo-créationnisme. Le tout afin de donner à Dieu – et je cite – la place qui lui revient. Wow.
Bonjour: c’est justement une des voies privilégiées du nouvel argumentaire des créationnistes: enseigner la controverse (teach the controversy).
J’aime beaucoup les propos pertinents de Nelson Lamoureux. Il décèle, au sein de l’univers états-unien, des contresens et des incohérences qui ne peuvent que laisser sceptiques et un tantinet écoeurés ceux qui se posent des questions, ceux qui prennent en compte les «exploits» scientifiques, ceux qui se renseignent sur les récentes «avancées» scientifiques.
Les sceptiques ou «évolutionnistes» ou «darwiniens» doivent craindre l’ire et le courroux de Dieu si jamais ils se laissent impressionner ou «terrorisés» par les propos, angéliques ou diaboliques, de l’incontournable Pat Robertson:
*****«Dieu veille au grain et pourrait punir les partisans de la théorie de l’évolution».»*****
J’ai peur mais je dissimule cette frayeur qui, en théorie, devrait m’amener à choisir le bon vieux et rassurant camp des «créationnistes».
Mais j’ai lu cette phrase roborative de Paul Morand:
*****«Le Créateur a râté ce monde-ci, pourquoi aurait-il réussi l’autre?»*****
En fait, nous devrions tous devenir ou redevenir de grands sceptiques lorsque nous lisons cette réflexion de William Claude Fields:
*****«À l’origine, Adam et Ève étaient aussi heureux qu’il est possible de l’être quand on n’a ni travail à faire, ni impôt sur le revenu, ni enfant, ni chien.»*****
Quand on assiste au spectacle désolant de cette droite dérisoire et «narrow-minded», on a la tentation de reprendre cette phrase «lucide» (?) et amusante de Mark Twain:
*****«Ce fut admirable de découvrir l’Amérique, mais il l’eût été plus encore de passer à côté.»*****
Intéressant est ce débat essentiel, mis en branle par Normand Baillargeon!
Il ne reste plus qu’à réfléchir avec «brillance» et lucidité, si possible!
JSB
Quel scandale! Douter de Darwin!
Très intéressant, cet historique, même quand on le connaît dans ses grandes lignes. Notre mémoire a peut-être le réflexe d’en oublier des bouts, car certaines parties sont tellement incroyables (aussi incroyable qu’un dieu! 😉 ). Bref, il est toujours bon de se rafraîchir la mémoire à ce sujet.
Il est assez effarant de voir la théorie de l’évolution faire face à tant de doutes, comme le souligne d’ailleurs fort pertinemment Kischner Charles. Il m’est arrivé des anecdotes semblables, tout comme Nelson en a déjà vécues sur son blogue.
Même ceux qui acceptent la théorie de l’évolution l’interprètent souvent mal, par exemple ceux qui parlent de la survie du plus fort ou du darwinisme social. Je me suis penché sur ces fausses interprétations (euphémisme) il y a près de deux ans dans cet huble bilet…
http://jeanneemard.wordpress.com/2010/07/06/darwin-et-le-darwinisme-social/
Je serai au rendez-vous pour la suite!
Oh..la…la…ces gens ne comprendront jamais et même dans plusieurs siècles à venir, l’humanité traînera encore cet handicap de la conscience et transmettra de génération en génération le germe de leur vérité pour attiser les guerres. Vivre debout et mourir de debout. Voilà ce que je suis depuis tjrs et jusqu’à l’abandon de la vie dans ce corps qui est le mien.
Je me permets de proposer une citation de Léon Bloy, découverte un peu par hasard. Je serais porté à penser que ces propos vont indisposer une foultitude de «créationnistes» obscurantistes.
Dans ce texte, Léon Bloy parle de LA CRÉATION DIVINE «en énumérant les inondations, sécheresses, famines, pestes, choléras, guerres et autres calamités injustes que le Créateur aurait dû éviter.» (Vincent Cesoedes)
Voici le texte de Léon Bloy (1846-1917):
*****«La création laisse beaucoup à désirer. Elle est, disons-le, râtée et même sabotée. Dieu n’a pas fait ce qu’on devait attendre de lui et c’est fort injustement qu’il exige un salaire d’adoration. Un ouvrier qui travaillerait comme lui ne resterait pas six jours à l’usine.»*****
Devons-nous, oui ou non, maintenir, en ce qui concerne Dieu, UN SALAIRE D’ADORATION? Intéressante question!
Je souligne que ces propos de Léon Bloy sont repris par Vincent Cespedes dans son livre intitulé CONTRE DICO PHILOSOPHIQUE (éditions Milan).
Jamais nous ne devrons cesser de combattre les créationnistes les plus bornés qui veulent faire de nous de adorateurs et des «fans» d’un Dieu insignifiant et inexistant.
JSB
Comme je prends l’avion, dimanche matin, pour un état qui est un sanctuaire de la BIBLE BELT, la Caroline du sud, je vais me permettre deux citations un tantinet «baveuses» pour les créationnistes.
François Cavanna qui a, pendant longtemps, sévi dans des revues iconoclastes et baveuses a affirmé ceci:
*****«Adam n’a pas été seulement le premier homme. Il a été le premier cocu.»*****
0scar Wilde, fidèle à lui-même, a osé ceci:
*****«Si Adam avait été homosexuel, personne ne serait là pour le dire.»*****
Je dois quand même dire que passer neuf ou dix jours dans une ville comme Charleston, c’est plaisant et agréable.
JSB
ADDENDUM: je sais que je vais devoir lire, sur de nombreux panneaux routiers, la courte phrase:
***«OUR SIN KILLED JESUS!»***
Why not?
JSB
Ce débat est maintenant alimenté par les dernières découvertes en physique, particulièrement en physique quantique et se résume ainsi :
« La thèse de la perspective quantique de l’évolution biologique propose que les phénomènes de la vie restent sur un ordre cosmique cohérent et immanent, comme le font les états quantiques des molécules qui sont base de la vie. C’est un ordre transcendant, parce qu’il est déposé sous les formes d’états vides, dits virtuels, qui deviennent réels dans les mutations des molécules d’ADN. L’ordre complexe évoluant dans la biosphère n’est donc pas à partir du chaos et ni du néant, mais par la réalisation de l’ordre virtuel d’états quantiques qui existent déjà avant qu’ils deviennent réels. La biologie de Darwin s’applique à la surface mécanique des choses et doit être modifiée. »
Elle ouvre la porte à toute une série de sophismes dont nous ne voyons encore, comme dans le cas des icebergs, que la partie émergée.
Références :
http://dl.dropbox.com/u/16937580/schafer2.pdf
http://dl.dropbox.com/u/16937580/L-importance-des-etats-virtuels.pdf
D’autre part, l’enseignement de la controverse semble s’avérer la nouvelle arme de prédilection de la droite, diviser par la controverse pour mieux régner :
http://www.ledevoir.com/politique/canada/289527/comment-la-droite-s-organise
Des squelettes dans le placard de la biologie
Les récentes avancées en épigénétique ramènent certainement en avant la question de l’hérédité de l’acquis et par conséquent la place de Lamarck dans l’histoire de la biologie. Je tenterai de vous convaincre qu’il y a d’autres squelettes dans le placard de la biologie. Je pense en particulier à Henri Bergson. Très respecté de son vivant, on s’est empressé de l’oublier après sa mort. La biologie et la philosophie l’ont condamné au motif de « spiritualisme ». L’église l’a rejeté pour cause de « panthéisme » comme elle l’avait fait pour Spinoza.
Pourtant, il s’était tout simplement demandé quelle différence y-a-t-il entre le vivant et le non vivant. Qu’est-ce donc que la vie? Sa réflexion s’est concentrée sur la nature du temps vécu, le temps des êtres et non celui des horloges et de la physique. Mais encore et surtout il s’intéresse à l’instinct chez l’animal qui devient l’intuition chez l’homme. Il mettra cette question au centre de sa philosophie.
Il apparaît de plus en plus clairement qu’il manque un élément important dans notre définition de la vie. Descartes avait dit: « Je pense donc je suis. » Aujourd’hui, on peut dire: je suis donc je pense. Tout ce qui vit pense. On a observé que des végétaux s’échangent des informations à l’approche de prédateurs! Des méduses qui n’ont pas de cerveaux se comportent en chasseurs redoutables. Alain Prochiantz déclare que même les virus pensent! D’ailleurs Alain Prochiantz et Denis Duboule ont tous deux rendu hommage à Bergson au cours des dernières années. Pourquoi?
La grande erreur de Descartes aura été de penser que dans le monde vivant, seuls les hommes pensent. Et c’est encore l’erreur de bien des contemporains comme Jean-Pierre Changeux qui croient qu’il faut un cerveau pour penser. Le matérialiste cherche toujours à nier l’intériorité. Les organismes participent à leur transformation évolutive. Parce qu’ils sont vivants, ils s’efforcent de s’adapter aux conditions du milieu pour survivre, se reproduire et je dirais même, progresser. Tout ce qui vit à une certaine forme de conscience. Certes, tout être vivant a un corps qui est fait de matière et de mécanismes extrêmement complexes d’ailleurs (ne serait-ce qu’une cellule), mais contrairement à n’importe quelle machine, il y a quelqu’un dedans. Un « je suis ». Voilà ce qu’est le vitalisme! On objectera que c’est de l’animisme. Mais n’est-il pas normal qu’en biologie, étude de l’animé, la question de l’animisme se pose?
Considérer la pensée comme une sécrétion du cerveau et l’instinct comme un code génétique, pour exclure le sujet du vivant avant même d’en commencer l’étude, voilà le réductionnisme.
Observez ce petit oiseau mort mais encore chaud; il ne manque pas un atome, mais la vie est partie, l’oiseau aussi et le corps se décompose. La vie n’est pas que matérielle.
Bergson avait étudié la biologie de son temps, en particulier l’embryologie.
Prenez une cellule souche (totipotente), déposez-la sur un os, elle fera une cellule d’os. Sur un cerveau, elle sera neurone ou glie, sur du sang elle fera de l’hémoglobine ou des globules blancs ou rouges, et ainsi de suite. La cellule s’informe du milieu et transmet cette information au noyau. La cellule perçoit, pense et agit. Certains gènes sont exprimés et d’autres pas ou peu. C’est ainsi qu’avec le même ADN, une cellule peut faire des cheveux, de la peau ou un cœur. Et c’est pour cela que l’embryologie n’a pas fait partie de la supposée synthèse néodarwinienne.
Voici un extrait d’un article de Ron Amundsen paru dans le numéro spécial de « La Recherche 150 ans de théorie de l’évolution » en novembre 2008.
« La génétique classique fut une bonne nouvelle pour la sélection naturelle, mais pas pour l’évo-dévo. Car elle excluait, dans sa définition même, l’ontogenèse. Pas plus que l’embryologie descriptive, elle ne s’intéressait aux causes des changements embryonnaires. Les gènes étaient certes définis comme les causes des similarités observables entre les parents et leur progéniture, mais ils restaient cachés dans une boîte noire (…) Au lieu d’étudier l’embryologie, ils étudièrent la génétique des populations.
Ainsi, ils ne comprirent pas que l’étude du développement embryonnaire pouvait concerner l’évolution. Ils pensaient uniquement en terme de populations et accusaient les biologistes de l’évo-dévo de raisonner de manière « typologique », un mode de pensée, selon eux, dépassé et non scientifique (…) Ils considéraient les types comme des superstitions métaphysiques rappelant trop l’idéalisme, voire le créationnisme, pour avoir leur place dans la pensée évolutionniste (…) Les membres d’animaux éloignés, comme les insectes et les vertébrés, avaient toujours été considérés comme des innovations indépendantes, des solutions distinctes au problème de la locomotion. La découverte d’un gène partagé spécifiant le lieu de développement des membres de tous les animaux, y compris les ailes des oiseaux et les bras des humains, mit fin à cette idée. Et l’importance qu’accordait l’évo-dévo à l’unité de type fut confirmée, au-delà de toute attente (…), l’évo-dévo et la génétique des populations ne sont toujours pas synthétisées. Nous devons encore trouver un moyen de concevoir la sélection naturelle comme une force opérant non seulement sur les populations d’organismes, mais aussi sur les ontogenèses. Une chose est sûre : l’embryon est à nouveau au centre de l’attention en biologie évolutive. »
Voici un autre extrait, cette fois de Laurent Loison dans la même revue. (Lamarck fait de la résistance)
« On comprend bien pourquoi cette nouvelle discipline (la génétique statistique) a été largement critiquée par les biologistes néolamarckiens, et particulièrement en France. Tout comme le principe de sélection naturelle, elle ne semble pas correspondre au modèle d’une science causale tel qu’il est envisagé par ces scientifiques. Pour ces derniers, il est inadmissible de ne pas se préoccuper de la compréhension concrète des enchaînements déterministes qui conduisent de l’antécédent au conséquent au sein même de l’être vivant… Plus, le gène lui-même est considéré comme une entité chimérique, dont rien ne laisse penser qu’il a une existence réelle (…)
En France néanmoins, comme ni le principe de sélection naturelle ni la théorie génétique n’avaient été regardés comme des explications valables, elle n’est introduite que partiellement et du bout des lèvres. La tradition causale et physiologique de la biologie expérimentale française reste incompatible avec une théorie de l’évolution qui semble se désintéresser de l’organisme individuel et de son développement embryonnaire. Cette situation particulière va perdurer jusque très tard dans le XXe siècle, notamment sous l’influence puissante de Pierre-Paul Grassé, titulaire de la chaire d’évolution des êtres organisés, à la Sorbonne de 1940 à 1967… »
On avait pris le piano pour le pianiste! C’est l’épigénétique qui joue sur le clavier génétique, choisissant les notes et les rythmes.
L’ADN ressemble aussi à un livre de recettes de cuisine. Nous avons environ trois cent cinquante recettes de cellules dans notre corps et tout au long notre vie nos cellules continuent à mourir et à se reproduire suivant la recette initialement choisie. Ceci est une démonstration du fait que les variations épigénétiques peuvent être très stables et robustes car la différentiation cellulaire est bien un phénomène épigénétique. Pour les ingrédients, il y en a des dizaines de milliers. Les protéines (hormones, enzymes, etc.) qu’il est d’ailleurs urgent de recenser car les gènes n’agissent pas seuls, mais toujours en interaction avec des protéines et des ARN. C’est la cellule elle-même qui a la recette. Pas ses gènes. Enfin pas seulement ses gènes. Autre exemple de réductionnisme. Tout ceci est extrêmement complexe, mais il est clair qu’à l’intérieur de la cellule l’information circule dans les deux sens, (contrairement au dogme central de la biologie moléculaire et de la génétique) à travers des protéines, des ARN, dans un ballet extrêmement chorégraphié où la mémoire joue plus que le hasard. Le génôme est en fait en interaction continuelle avec son environnement et nous savons maintenant que le stress, le manque d’exercice, l’alimentation influencent l’expression de nos gènes. Ces variations, qu’on devrait nommer épimutations ou paramutations, sont héritables.
C’est un renversement total de la situation en biologie théorique. C’est bel et bien le retour de Lamarck, une grosse et impensable démotion pour Darwin qui, pourtant, n’avait pas complètement rejeté l’hérédité de l’acquis. Les néodarwiniens auront été plus darwiniens que Darwin. La biologie du XXè siècle avait mis la génétique au centre de la compréhension du vivant, mais les assises théoriques de la génétique étaient fragiles, très fragiles et rétrospectivement plus philosophiques que scientifiques.
À propos de la fameuse expérience dite de Luria et Delbruck, voici un extrait de « L’Homme végétal » de Nissim Amzallag paru chez Albin Michel en 2003. Excusez la longueur de la citation, mais ceci me semble une question extrêmement importante pour le sujet qui nous occupe.
« Ce n’est qu’au milieu du XXe siècle que la querelle s’éteignit : toutes les innovations, modifications, transformations propres au vivant furent reconnues comme émergeant de mutations fortuites. Cette victoire fit définitivement basculer la biologie dans l’horizon du vivant-machine mû par un hasard aveugle, et les quelques contestataires furent systématiquement accusés d’en revenir à un vitalisme dépassé. Cette révolution est la conséquence directe des travaux de deux éminents chercheurs, Salvador Luria et Max Delbruck, publiés en 1943 dans un article devenu extrêmement célèbre. Cet article peut être considéré comme le tournant décisif dans l’approche du vivant, l’expérience inaugurant une nouvelle ère(…) »
« La grande innovation de Luria et Delbruck fut la mise au point d’une expérience permettant de vérifier si de rares innovations avantageuses étaient susceptibles d’apparaître au hasard des mutations. L’enjeu était de taille et le résultat fut à la hauteur de leurs prétentions : l’expérience en question devint la démonstration historique de l’origine fortuite des mutations avantageuses (…). Jusqu’aux expériences de Luria et Delbruck, l’immense majorité (pour ne pas dire l’intégralité) des expériences de mutagenèse produisait des individus affaiblis, déficients en certaines fonctions. Comme dans les machines conçues par les hommes, la « machine vivante » semblait tout au plus tolérer les erreurs de copie du génome. On comprend alors l’importance capitale des expériences de Luria et Delbruck : elles montraient pour la première fois un aspect « positif » du hasard des mutations qui complétait magnifiquement l’idée d’organisme machine. C’est pourquoi cette expérience est considérée comme la pierre angulaire de la biologie moderne. »
« Et pourtant, à y regarder de plus près, les choses sont loin d’être aussi limpides qu’elles le paraissent. En effet, la tolérance des bactéries mutantes ne résulte pas forcément de l’émergence au hasard d’un mécanisme sophistiqué de défense contre l’infection virale. Elle peut également provenir d’une déficience dans la protéine bactérienne que reconnaissait le virus, et qui, par sa présence, stimulait l’infection. La tolérance n’est alors que le produit secondaire d’une altération née d’une erreur de copie. Il est même possible que l’altération en question, celle qui empêche la reconnaissance par le virus, induise également une quelconque déficience ou fragilité chez la bactérie.
Il était impossible, du temps de Luria et Delbruck, de vérifier le bien-fondé d’une telle interprétation. C’est fort regrettable, parce que, en vertu de ce qui est aujourd’hui connu de l’infection par virus chez les bactéries, il semble bien que ce soit là l’explication du phénomène observé. Dans ce contexte, les bactéries mutantes ne sont pas des individus super-performants. Elles s’apparentent plutôt aux centaines de mutants déficients identifiés jusque-là. Cette objection remet en cause la valeur de cette « expérience historique » en tant que preuve de l’émergence d’une nouvelle fonction par le hasard des mutations. »
Il n’y a pas si longtemps, on croyait qu’un gène codait pour une protéine. Le fameux modèle de Monod et Jacob. Le schéma est très simple. Un gène code pour une protéine par l’intermédiaire de l’ARN qui n’est qu’un messager. Prix Nobel! Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le hasard et la nécessité, c’est très sélection naturelle. Ça entre dans la théorie. La mutation, qui arrive par hasard et qui est le moteur de l’évolution est un changement dans la séquence des quatre bases (A,C,G,T) qui forment les barreaux de notre fameuse échelle en colimaçon.
On s’est aperçu qu’un gène peut coder pour plus d’une protéine. Maintenant on sait qu’un gène peut coder pour 30 protéines différentes. Mais ce n’est pas tout. Sur la longue molécule d’ADN, seules les sections codantes sont définies comme des gènes. C’est 2%. Le reste, 98%, c’est de l’ADN poubelle. Ce qu’on séquence au tournant des années 2000, c’est le 2%. C’est ce 2% qui devait nous permettre de percer le secret du vivant, de guérir les maladies et peut-être de créer du vivant. Pourtant, on appelle génôme l’ensemble de la molécule. On réalise ensuite que 45% de l’ADN « poubelle » se déplace dans le génôme. On baptise alors ce 45% gènes sauteurs, même si ce ne sont pas des gènes. Ce ne sont que des séquences répétées, de l’ADN poubelle. En creusant l’affaire, on différencie en transposons et rétrotransposons ces gènes sauteurs qui ne sont pas des gènes mais dont on commence à soupçonner qu’ils jouent un rôle important. Dernièrement, on découvre plus de 1600 variétés de micros ARN dont on ne soupçonnait même pas l’existence dans la cellule. Une enzyme, la transcriptase inverse, agissant avec les rétrotransposons peut transporter l’information de l’extérieur de la cellule dans le noyau et ainsi créer de nouveaux gènes. Les gènes sauteurs en se déplaçant peuvent en fait activer ou désactiver des « vrais » gènes même s’ils ne les chevauchent pas. Je lis plusieurs articles sur ce qui se passe en recherche et depuis quelques temps on n’hésite plus à qualifier les éléments transposables de « gènes ». L’énorme problème que cela pose, est que si on les considère comme des gènes, l’expression « code génétique » ne veut absolument plus rien dire, car ces éléments transposables se déplacent continuellement. Par exemple il a été démontré qu’un exercice physique violent déclenche immédiatement des mouvements dans ces régions du génôme. Bref, on ne sait plus ce qu’est un gène ni une mutation et l’expression code génétique qui est maintenant sur toutes les lèvres est complètement dépassée. Le roi est nu et ce roi c’est la génétique.
En Yougoslavie, dans les années 1970, des scientifiques ont initié une expérience d’évolution “in vivo”. Le lézard “podarcis sicula” fut déménagé sur une île où la nourriture disponible était très différente de celle de son milieu d’origine. À cause de la guerre, les scientifiques furent forçés de quitter l’île, mais ont pu y revenir en 2004. À leur grande surprise, ils ont constaté que le lézard avait évolué très rapidement. Forçé de devenir pratiquement végétarien, l’animal a considérablement changé d’aspect. Grâce à une symbiose avec un ver nématode qui s’est installé dans son système digestif, il peut digérer des plantes, ses pattes ont raccourci, son corps s’est allongé et son poids a considérablement augmenté. Un nouvel organe s’est même développé dans son système digestif. (À remarquer que les symbioses et l’écologie en général sont pratiquement absents de la théorie synthétique de l’évolution.) Tout cela est bel et bien une autre preuve de l’évolution, mais, c’est si rapide que les mutations n’ont pu se produire au hasard. N’est-ce pas là une preuve d’évolution lamarckienne, avec variations induites par adaptation à l’environnement et hérédité des caractères acquis? D’autant plus que de nombreuses découvertes récentes concernant des évolutions ultrarapides semblent pointer dans la même direction. (Pour ceux que cela intéresse, voir la conférence d’Andras Paldi, “L’épigénétique est-elle lamarckienne”).
Mais si Bergson a raison et que l’instinct est mémoire, mais aussi pensée , apprentissage et action, ceci injecte dans l’évolution une certaine dose de liberté, d’invention. De là « L’Évolution créatrice ».
Je ne prétendrai pas ici que le hasard ne joue aucun rôle dans l’évolution, mais l’action imprévisible de la pensée peut très bien être prise pour du hasard pour un observateur extérieur.
D’autre part, il est frappant de constater qu’au cours du XXè siècle, pendant que la biologie tentait de se débarrasser de toute forme de vitalisme, de téléologie ou de finalisme, la physique était infiltrée par des notions comme l’auto-organisation, l’histoire du big bang devenant une théorie de l’évolution de la matière allant clairement du simple vers le complexe, la physique quantique introduisant des notions d’intrications et d’actions instantanées à distance ébranlant même le concept de déterminisme. Les atomes sont à la fois ondes et particules et il est impossible d’en connaître à la fois la position et la vitesse pour des raisons d’ordre ontologique. On définit aujourd’hui le vide comme un océan de particules virtuelles, dans un Univers ou 90% de l’énergie matière est encore inconnue et nage dans onze ou douze dimensions selon la théorie des cordes. Le tout vient d’une singularité initiale où les lois de la physique ne s’appliquent plus! Alors voici: si je crois les physiciens, nous sommes devant un monde qui a évolué du simple au complexe pendant 9 milliards d’années, mais quand la vie apparaît, il y a disons 3 ou 4 milliards d’années, les biologistes prenant le relais me disent que l’évolution de la vie n’est que matière, mais que l’échelle de la complexité s’arrête. C’est à n’y rien comprendre. Ici encore, il faut reconnaître à Bergson un certain génie. Car son élan vital lui permet d’expliquer que l’évolution n’est pas un progrès constant. La vie part dans toutes les directions et il y a beaucoup d’impasses, d’essais, d’erreurs et de bricolages donnant lieu à toutes sortes de bizarreries.
Mais au final il y a bien progrès, l’animal chevauchant le végétal et l’humain chevauchant l’animal dans une cavalcade épique menant à la personnalité du super-animal que nous sommes devenus. Et je crois que cette échelle de la complexité est aussi
une échelle de la liberté, comme Hans Jonas. Ce qui ne veut pas dire que l’homme soit totalement libre, loin de là. Cette question hautement philosophique demeure. Mais il paraît évident qu’un homme est plus libre qu’un chien, qui est plus libre qu’un poisson, qui est lui-même plus libre qu’une plante et ainsi de suite jusqu’à la bactérie.
L’idée que les hommes descendent des animaux n’est vraiment pas nouvelle. Elle ne date ni de Darwin ni de Lamarck. L’unité du vivant avait été pressentie et conceptualisée dans de nombreuses cultures ancestrales comme celle des Amérindiens par exemple.
Voici un texte qui inspira sûrement Bergson, qui était comme moi un lecteur de Plotin.
« Qu’un principe un en nombre et identique soit partout présent tout entier, c’est une conception commune de l’intelligence humaine : car tous disent instinctivement que le Dieu qui habite en chacun de nous est dans tous un et identique . Ne demandez pas aux hommes qui tiennent ce langage d’expliquer de quelle manière Dieu est présent en nous, et n’entreprenez pas de soumettre leur opinion à l’examen de la raison : ils affirmeront qu’il en est ainsi, et, se reposant dans cette conception qui est le fruit spontané de leur entendement, ils s’attacheront tous à quelque chose d’un et d’identique, et ils refuseront de renoncer à cette unité. C’est là le principe le plus solide de tous, principe que nos âmes nous murmurent tout bas, qui n’est pas tiré de l’observation des choses particulières , mais qui nous vient à l’esprit bien avant elles, même avant cette maxime que tout aspire au bien. Or, ce principe est vrai si tous les êtres aspirent à l’unité, forment une unité, tendent à l’unité. Cette unité, en s’avançant vers les autres choses, autant qu’elle peut s’avancer, paraît être multiple et elle le devient à certains égards. Mais l’antique nature, le désir du bien, lequel s’appartient à lui-même, mène réellement à l’unité, et toute nature aspire à posséder cette unité en se tournant vers elle-même : car le bien de la nature qui est une, c’est de s’appartenir à soi-même, d’être soi-même, c’est-à-dire d’être une. Voilà pourquoi on dit avec raison que le bien lui appartient en propre, qu’il ne faut pas le chercher hors d’elle. Comment le bien pourrait-il en effet être tombé hors de l’Être ou se trouver dans le non-être? Il doit certainement être cherché dans l’Être, puisqu’il n’est pas lui-même non-être. Si le bien est être et se trouve dans l’Être, il est en lui-même dans chacun de nous. Nous ne sommes donc pas loin de l’Être, mais nous sommes en lui. Il n’est pas non plus loin de nous. Tous les êtres ne font donc qu’un. »
On nous dit souvent qu’en science, le doute est toujours permis sinon de mise. De mon point de vue, la révolution qui secoue actuellement la biologie passera à l’histoire comme une démonstration du fait que le matérialisme philosophique que les Anglais appellent « Natural philosophy », peut être tout aussi dogmatique que la religion.
Richard Dawkins a écrit : « La théorie de la sélection naturelle cumulative est la seule théorie que nous connaissons qui soit capable d’expliquer l’existence de la complexité organisée. Même si elle était démentie par les faits, elle serait encore la meilleure théorie disponible. » Voilà comment on a pu, au XXe siècle, défendre une pensée semblable à : « il faut que le soleil tourne autour de la terre ». Il faut que l’évolution tourne autour de la sélection naturelle. M. Dawkins aura en effet été un prophète, puisque la biologie a tout simplement refusé de voir la cascade de faits qui contredisaient la puissance explicative de la sélection naturelle. Au nom d’un certain matérialisme naïf hérité directement du XIXème siècle. On se rendra compte que les Galilée de la biologie ont été nombreux.
Et qu’il est injuste de présenter le monde sur deux colonnes, la bonne science contre la mauvaise religion. La philosophie devrait toujours avoir sa place entre les deux autres. La science s’occupe des faits, la philosophie s’occupe des significations et la religion s’occupe des valeurs. Ces frontières ne sont pas totalement étanches, bien sûr. Tout comme au Moyen-Âge, où la théologie régnait en maître sur tous les aspects de la culture européenne, le XXème siècle aura été celui de la science hégémonique en Occident. C’est justement ce que Bergson a tenté de tempérer. Bergson n’était en aucune façon un ennemi de la science. Très bon mathématicien, il était un amoureux des sciences, mais il s’est élevé contre le réductionnisme et la prétention orgueilleuse d’un certain scientisme qui dominait son époque. J’aimerais bien qu’on me démontre quels ont été les méfaits du vitalisme de Bergson. Tout comme le religieux, le scientifique est avant tout un être humain et peut facilement être corrompu en particulier s’il occupe une position de pouvoir. Le pouvoir corrompt, c’est bien connu.
Nous voici à la croisée des chemins. Si tout ce qui vit pense, si tout ce qui vit est un « je suis » on devrait observer certains phénomènes. L’effet placebo me semble être un bon candidat. On sait qu’il existe, mais on ne sait pas comment ça marche chimiquement parlant.
L’ultra-darwinisme apparaît désormais comme une croyance athée. Une athéologie. Une supersuperstition du passé. Une foi matérialiste. L’épigénétique est en fait un domaine immense qui recouvre des phénomènes très variés. On avait tout mis dans les gènes. L’ADN était la clé universelle. L’instinct, l’hérédité, l’intelligence. Retenez que les rythmes sont tout aussi importants que les notes choisies sur le clavier génétique. Et Bergson avait bien compris cela.
Gilles St-Pierre
J’ai toujours eu l’impression que Bergson défendait une dimension transcendante de la conscience… Mais votre référence au petit oiseau mort mais encore chaud, auquel il ne manque pas un atome… ne me parait pas pertinente. Il suffit de boucher une artère pour voir la vie se retirer d’un membre et laisser la place à la gangrène. Sur le plan de la biologie, les lois matérielles existent, et la présence d’une dimension qui transcende la matière ne permet pas de s’en dispenser. Mais le fait que la matière commande bien des choses ne permet pas non plus de se dispenser d’une dimension supérieure.
La lecture de votre texte m’a fait pensé à : http://www.inrees.com/articles/La-medecine-du-futur/
Et là, tout devient possible…