C’est peut-être une déformation professionnelle de philosophe, dont le métier, comme on sait, consiste à obstinément chercher à clarifier des concepts, mais il me semble que le vocabulaire de notre conversation collective sur le conflit opposant les étudiantes et étudiantes au Gouvernement devient de plus en plus confusionnel.
Au lieu de nous aider à clarifier des problèmes et des enjeux, ce vocabulaire les obscurcit — et il n’est pas interdit de penser que c’est précisément ce qui est visé au moins par certains intervenants, tandis que l’idéologie en amène d’autres à utiliser, voire à abuser, de ce vocabulaire confus.
Quoiqu’il en soit, plus d’une fois, depuis quelques jours, j’ai eu le sentiment que les mots employés ici ou là l’étaient bien davantage pour leur charge émotive et leurs connotations — positives ou négatives — que pour ce qu’ils permettaient de penser; qu’ils étaient, en somme, employés plus pour ce qu’ils permettaient de ne plus penser et pour ce qu’ils occultaient, que pour ce qu’ils mettaient en évidence et permettaient de problématiser.
Voici trois exemples de mots appartenant à cette sorte de novlangue qui se met en place et qui m’ont frappé — il y en a d’autres, bien entendu et une étude empirique de tout cela serait la bienvenue.
Démocratie
Le premier est démocratie; et si on n’a pas attendu les récents événements pour en user et en abuser, ceux-ci l’ont remis aux premières loges.
La connotation est ici, on le sait, toujours extrêmement positive : la démocratie est d’emblée une bonne — que dis-je : une excellente chose! — et chacun s’en réclame donc et prétend parler en son nom, l’avoir de son côté. Mais le fait est que l’on peut, par démocratie, entendre et valoriser des choses différentes et à propos desquelles ont peut avancer des arguments et des contre-arguments.
On peut par exemple accorder une valeur à la démocratie entendue comme un processus conduisant à une décision. Mais alors la question se pose de déterminer ce qui rend ce processus démocratique : combien de participants faut-il? Comment comptabilise-t-on les voix et comment détermine-t-on le gagnant? Et de nombreuses autres questions.
Des abîmes de difficultés insoupçonnées surviennent ici, qui font les délices de plein de gens, surtout en maths et en philo. Et ce ne sont pas là de vaines spéculations. Pour le constater, considérez par exemple, et je vous étonnerai sans doute en vous le disant, qu’on a mathématiquement prouvé que sous certaines conditions minimales et usuelles, il ne peut y avoir de système parfait! (Cette formulation est très imparfaite : pour en savoir plus, voyez ceci). Avoir tout cela en tête, incite déjà à allumer son détecteur de poutine quand X se targue de posséder une légitimité démocratique. Quelle est celle du gouvernement actuel? Qui l’a élu? Combien de votants? Quelle est celle des représentants des étudiantes et étudiants? Je vous laisse répondre.
On peut aussi valoriser la démocratie, et c’est quelque chose de légèrement différent, pour les vertus délibératives d’un processus décisionnel. On dira alors qu’elle permet l’échange de points de vue, le partage d’informations, et ainsi de suite — et on voudra sans doute ajouter que si le nombre de participants est élevé, le caractère démocratique de la décision rendue augmente. Je ne développe pas cette idée plus avant ici, mais je veux juste faire remarquer qu’une fois encore il est utile de l’avoir en tête : elle permet d’avancer que quand les directions de cégeps font voter électroniquement les étudiantes et étudiantes, le nombre de personnes peut être augmenté, mais le caractère délibératif de la décision est mis à mal : cela affecte (comment et à quel point, je vous laisse en décider) le caractère démocratique de la décision rendue.
Enfin, pour en rester là, on peut valoriser la démocratie non seulement pour ses caractères procéduraux et pour ses vertus délibératives, mais parce qu’on pense que sous certaines conditions les décisions ainsi rendues ont plus de chances d’être vraies : on aurait ainsi une défense épistémique de la démocratie. On peut pour cela en appeler à un fameux théorème mathématique en faveur de cette idée, le théorème du jury, dû à Condorcet. Il montre (je résume à la limite de la caricature, ici, faute de place) que sous certaines conditions, des décisions rendues par des gens vont tendre à s’approcher de la vérité quand leur nombre augmente. Pour cela, il faut que ces gens soient impartiaux, informés et possèdent un jugement qui se trompe moins qu’une fois sur deux. Sachant cela, comment ne pas interroger les invocations incantatoires de la démocratie par des gens dont, disons, l’impartialité est hautement contestable ou qui ne possèdent qu’une information minimale. Je vous laisse décider de ce que cela nous dit et sur qui dans
la situation actuelle.
Anarchie (grrr…)
Mon deuxième exemple de mot piégé est anarchie. Mettez ici tout le contraire de la charge émotive à connotations positives qu’on a mis précédemment derrière le mot démocratie et vous ne serez pas loin du compte, du moins pour l’usage qui est fait de ce mot dans de très nombreux milieux. Je reçois ces critiques depuis toujours et ne m’y fais pas. J’ai souvent écrit à ce sujet et je ne m’y attarderai pas. Mais il serait bon que dans les milieux journalistes et intellectuels et dans le grand public, on prenne acte du fait que le mot anarchie n’est pas un synonyme de chaos, de désordre ou de violence.
Violence
Mon troisième exemple est d’ailleurs ce mot violence et tout le champ sémantique connexe à ce mot : vandalisme, terrorisme, notamment.
Accuser l’adversaire idéologique d’être violent revient d’emblée à le discréditer tant la charge négative du mot est grande et c’est manifestement la stratégie que les conseillers en relations publiques (y oeuvrent des gens qui ont des relations et qui mystifient le public…) ont suggéré au gouvernement. Il me semble évident que la stratégie fonctionne passablement bien, qu’elle est extrêmement discutable sur le plan de la poursuite de la conversation collective et que son succès est au moins en partie dû à notre manque de discernement critique dans l’emploi de cette notion. Il y a ici tout un dossier à ouvrir sur ce qui est violent (le refus obstiné de négocier opposé à des centaines de milliers de personnes depuis des semaines, par exemple…); mais je me bornerai à dire que j’ai trouvé que ces étudiantes et étudiants si nombreux en grève depuis si longtemps, ont fait preuve, en général et en bout de piste, d’un civisme et de retenues remarquables.
Je termine ce billet, déjà trop long, en indiquant que les récents usages de mots comme négocier, condamner ou grève, justement, mériteraient, eux aussi, d’être examinés. Un projet de mémoire pour quelqu’un, au retour en classe, peut-être?
Prof de philo implication politique
Il me semble qu’en règle un professeur de philosophie doit s’éloigner des situations émotives et stressantes, comme l’abolition du registre des armes à feu, la hausse des frais de scolarité, pour pouvoir réfléchir d’une manière droite.
Il doit reconnaitre qu’à l’heure actuelle la situation au Québec est très émotive. Un exemple simple : parler de Printemps Québécois comme d’un Printemps Arabe, n’est ce pas comparer, sans le dire, par association fautive Charrette à Kadhafi ?
Il doit faire preuve de prudence, qui selon Aristote, est la vertu le plus importante pour un dirigeant ou pour celui qui veut indiquer à des jeunes quelle direction prendre dans la vie. Périclès nous en a donné le plus bel exemple.
Il doit aussi utiliser son jugement qui est une denrée rare par les temps qui courrent selon le sociologue Jacques Grand’Maison qui a consacré un livre à cette question.
Il doit respecter ses étudiants en se rappelant lors de ces envolées en classe croyantes, gauchisantes ou athées, que plusieurs de ses étudiants sont des athées, des croyants pratiquants, et meme à l’occasion des Témoins de Jéhovah.
Il doit se rappeler qu’il ne doit pas jouer le role de «l’idiot utile» comme le firent plusieurs intellectuels communistes (ou sympathisants) francais, pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le plus célèbre d’entre eux est Jean-Paul Sartre qui appuya Staline.
Mais les »situations émotives et stressantes » atteignent parfois jusqu’à la retraite altière du philosophe, surtout quand il est professeur. Si »la sagesse est l’art de vivre » ( »Sapientia ars vivendi est » Cic. – je me le permet puisque vous semblez connaître vos classiques), le philosophe se doit d’appliquer son jugement aux choses de ce monde. Platon lui même s’est engagé dans l’éducation d’un tyran de Syracuse pour en faire une sorte de »despote éclairé » (comme on l’eut dit à une autre époque, pardonnez l’anachronisme), une telle situation devait comporter son lot de stress et d’émotivité.
Je crois donc que le désengagement du philosophe de ces situations n’a jamais été qu’une utopie et qu’étant homme lui aussi, qui plus est un homme d’idéaux bien souvent, il ne peut faire abstraction du monde dans lequel il vit. Par ailleurs, la »prudence » à laquelle vous faites allusion comme valeur cardinale du Péripatéticien n’est elle pas dans les livres la »phrônesis », que l’on a aussi traduit plus récemment par »sagesse pratique »? »Prudence » étant un calque du latin »prudentia », et nous savons qu’en version latine l’on se doit de se garder des traductions trop littérales !
Au plaisir de poursuivre ce débat, fondamental s’il en est un !
Je suis peut-être encore une fois dans l’erreur, mais Platon irait dans le sens inverse…
Les véritables philosophes, très choyés d’avoir pu contempler le monde des idées, devraient être obligés à faire du politique (je ne change pas les déterminants pour que ça donne l’air intelligent, c’est pour forcer le détachement du concept d’avec les représentations populaires qu’il porte). Ils devraient être forcés à confronter ce qu’ils ont appris du monde des idées pour agir sur la société.
Bien au contraire, ce sont ceux qui par l’exercice de leur pensée arrivent à instruire leur esprit et par le fait même leur imagination à créer la construction d’un monde meilleur, ce serait bien un gaspillage que de ne pas user de cette qualité. En d’autres mots, Platon aurait forcé M. Baillargeon à remplacer Line Beauchamp pour trouver une issue à la crise.
Voici un petit texte que j’ai publié sur Facebook. À noter que je suis étudiante dans trois universités et que je suis mère de deux jeunes adultes qui fréquenteront ces établissements.
DROIT DE GRÈVE – DE QUOI PARLE-T-ON AU JUSTE?
Du point de vue légal, y’a quelque chose qui me chicotte avec cette discussion au sujet du droit de grève que certains appellent un boycott. En fait, il faut remettre les pendules à l’heure. Bien que les associations étudiantes ne soient pas officiellement des syndicats, et j’en conviens, il faut aussi se demander de quelle grève ou boycott il s’agit. Une grève, c’est lorsqu’un groupe d’employés décident de faire cesser la production de l’entreprise qui leur paie leurs salaires. Ce ne peut être le cas des étudiants, puisqu’ils ne sont pas rémunérés, bien au contraire. Et que dire du boycott? Et bien le boycott, c’est plutôt une cessation d’achat d’un produit ou d’un service offert par une entreprise, un pays ou une personne. Il ne s’agit donc pas d’un boycott, puisque les étudiants ont déjà payé leurs frais de scolarité et que leurs gestes ne font pas en sorte que les universités perdront des « ventes », n’est-ce pas? Il faudrait donc, à mon avis dire les choses telles qu’elles sont : il s’agit d’un type de révolte. La révolte se décline sur plusieurs niveaux : coup d’État, bouleversement, troubles, manifestation, émeute, agitation, tumulte, insurrection, mutinerie, sédition, révolution, jacquerie, chouannerie, mouvement, remous, rébellion, fronde, désobéissance, dissidence, insoumission, insubordination, désordre, putsch, violence, sécession, guerre civile. Évidemment, nous éviterons d’utiliser les mots les plus subversifs de la liste, mais force est de constater que le gouvernement semble traiter la situation comme bien plus qu’une grève ou un boycott. Si ce n’était qu’une grève ou un boycott, il n’aurait qu’à dicter aux universités d’annuler tous les cours. Simple. Peu efficace, mais simple. Et ceci aurait pour effet de reporter le tout à l’automne suivant, avec tout ce que cela causerait de complications mais offrirait l’avantage de déclencher des élections avant que le conflit ne soit « résolu ». C’est parce que le gouvernement se rend bien compte qu’il s’agit de bien plus qu’une grève qu’il agit comme il le fait. Machiavel n’aurait mieux fait : diviser pour régner, et ensuite contraindre, coûte que coûte. Un mouvement social comme celui qui se forme présentement, malheureusement pour le gouvernement, et heureusement pour la jeunesse québécoise, ne se terminerait pas avec un gel des frais de scolarité (SVP cessez de militer pour une discussion… toute hausse de frais ouvrira la porte à d’autres hausses de frais… un dégel, c’est un dégel). En effet, ce mouvement social comprend maintenant bien plus que les revendications étudiantes. Les discussions des jeunes portent aussi sur l’environnement, l’équité, la justice, une société meilleure. Pour le moment, les associations étudiantes font ce qu’elles peuvent avec les frais de scolarité, mais il faudrait ne pas perdre de vue que le mouvement social qui s’est enclenché est beaucoup plus large et qu’il ne devrait pas cesser, pas même si la cause des frais était perdue. Et c’est là tout le défi. Les associations étudiantes ne pourront représenter ces autres causes. Il faudra former d’autres forums, d’autres associations, et possiblement un parti politique jeunesse? Je pose la question, car il me semble qu’il y a de la place au Québec pour un tel parti. Je suis trop vieille pour en faire partie, mais j’ai vécu les retombées de la révolution tranquille, et je souhaite sincèrement que la jeunesse puisse vivre quelque chose de semblable, puisque les générations précédentes semblent avoir perdu de vue les enjeux de base de notre société. De la génération « flower power », ils sont passés à une paranoïa collective qui risque de s’aggraver. Sans pour autant promouvoir une confrontation, il faudra tenter de trouver des liens, mais en affirmant haut et fort que la jeunesse a sa place dans les grands choix de société. C’est normal. C’est ce que tout peuple devrait favoriser. C’est ce qui empêche une société de stagner.
Très vrai ce que vous dites, Mme Dezainde, lorsque vous écrivez «la jeunesse a sa place dans les grands choix de société». C’était mon opinion en 1969 lorsque je suis entré au cégep, et je n’ai jamais changé d’avis depuis.
Par contre, lorsque je regarde la jeunesse actuelle, ces étudiants et étudiantes dont les droits fondamentaux n’ont – le plus souvent – pas été respectés par leurs propres associations leur ayant refusé la tenue de votes secrets, de façon à ce que tout le monde puisse librement et démocratiquement s’exprimer, je me dois de vivement déplorer la manière cavalière avec laquelle aucune place réelle n’a été faite dans ces grands choix de société à cette jeunesse.
Cette jeunesse a été vilement manipulée par quelques arrivistes et un certain nombre d’obnubilés par leurs propres idéologies, lesquelles sont proclamées comme étant la seule et unique Vérité, et justifiant dès lors que soient bafoués les droits fondamentaux collectifs ayant trait à l’expression d’opinions diverses.
Cette jeunesse a été prise en otage à l’interne.
L’heure du «flower power» est depuis longtemps dépassée. À voir le mouvement étudiant actuel, on se rend bien compte que l’heure est aujourd’hui au «constraint power».
Malheureusement pour nous tous. Et surtout pour notre jeunesse.
Dommage vous ayez, malgré tout ce long discours Monsieur Baillargeon, omis de considérer la pierre d’achoppement sur laquelle vient buter la légitimité ou non-légitimité du mouvement étudiant actuel.
Quoi donc?
Oh, presque rien… Du quasiment sans importance à ce que les «leaders» du mouvement et d’autres auraient fait valoir avec fermeté, rapidement, pour plutôt passer à des motifs d’indignation et à des stratégies visant à faire plier tout ce qui bouge ou ne bouge pas dans les parages ou au delà….
Oui mais, quoi donc?
Sur quoi buterait donc la légitimité, et conséquemment la crédibilité qu’il faudrait accorder ou ne pas accorder au mouvement étudiant?
Vous tenez vraiment à le savoir?
Tout simplement sur la possibilité pour tout étudiant et toute étudiante de pouvoir faire un X dans la case de son choix dans un isoloir. Voilà ce qui a été le plus souvent rejeté du revers de la main par les leaders, pour de valeureux motifs ayant à voir avec des difficultés de logistique ou d’un sempiternel besoin d’encore et encore débattre des raisons justifiant de continuer à sécher les cours lors des assemblées, cela ne laissant plus de temps – hélas! – pour organiser des scrutins secrets. Et puis, des mains levées font tout aussi bien l’affaire… Non?
Ah mais je vous avais prévenu.
La pierre d’achoppement sur laquelle bute la légitimité du boycott/grève est si insignifiante, tout juste un détail quelconque, qu’il faut vraiment que je sois sévèrement taré pour accorder la moindre importance à pareille bêtise.
Quel foutaise que cette idée absconse d’aller griffonner un X dans un isoloir, alors qu’on peut expédier l’affaire sans perte de temps en levant tout simplement la main…
Vous venez de faire l’un de ces automatismes dont nous parle le bon professeur. L’élection n’est pas à la base un instrument qui appartient à la démocratie… s’en est qui n’est que de notre version donc via la représentation élective. La démocratie a pour instrument de régulation (d’exactitude… autrement dit) c’est le tirage au sort.
Vous pouvez attaquer les assos sur la « représentativité » de leurs décisions… etc… etc… non pas sur leur démocratie. Tout ça semble de la sémantique jusqu’au moment ou l’on comprenne que l’élection est un fait de l’Aristocratie… du moins il l’était jusqu’à l’invention de notre forme de gouvernement. CHOCK!
(Répondre sur le blogue de Normand Baillargeon peut nous revenir au visage violemment, il va peut-être nous corriger tous les deux!… et ce sera tant mieux aussi pour tous les autres qui auront eu une belle démonstration des avantages de la conversation démocratique)
Très bon billet! J’ai d’ailleurs vu un autre mauvais usage du mot anarchie (et peut-être même du mot démocratie dans la même phrase) ce matin dans l’éditorial d’André Pratte (peut-être l’avez-vous vu, vous aussi): « Si on juge légitime que les jeunes aient recours à de tels moyens de pression [vandalisme], alors on acceptera que tous les autres citoyens mécontents fassent de même. La démocratie cédera le pas à l’anarchie. »
Il faut croire que c’est bien compliqué d’écrire chaos au lieu d’anarchie…!
P.S. il y a quelques coquilles dans le texte (« monde deuxième exemple », « centaines de millier » et « ce étudiants et étudiantes »)
Merci pour le commentaire et pour les coquilles. Je fais parfois — comme maintenant — mes textes en biblio et me relis à l’écran: ça ne me réussit vraiment pas. (Quand je pense qu’on nous vantait entre autre les ordis, il y a 30 ans, parce qu’ils économiseraient du papier!)
Un aveu: c’est le texte de Pratte, lu ce matin, qui m’a inspiré le mien.Il se trouve ici: http://www.cyberpresse.ca/debats/editoriaux/andre-pratte/201204/16/01-4515956-les-complices.php
Je n’étais donc pas fou d’y voir un lien avec le texte de monsieur Pratte! Pour ma part, je garde en tête sa « prophétie » (« La démocratie cédera le pas à l’anarchie ») en me disant que si ça ne voulait pas dire ce qu’entend Pratte, ce serait fort probablement une très bonne chose!
Pour ce qui est des coquilles, j’ai le même problème avec l’ordinateur!
bien vu pour la super médiatisation du mot « condamner ». on exige, depuis quelques jours, que gabriel nadeau-dubois « condamne » les actes de vandalisme perpétrés.
or pour condamner, ne doit-il pas y avoir procès? je me contenterais même d’un procès minimum, un témoignage fiable qui m’informerait sur l’identité et les motivations des vandales, par exemple.
sans ce mini-procès, ce que les sophistes lui demande, ce que la très professionnelle anne-marie dussault demandait au bon gabriel l’autre soir, c’est de « lyncher » les suspects, non?
il a bien fait de refuser de s’abaisser au niveau de ses adversaires.
« La CLASSE, comme à l’habitude, se dissocie de ces gestes-là. La CLASSE réitère que ce ne sont pas des moyens qu’elle utilise, c’est un moyen qu’elle n’a jamais utilisé et qu’elle n’utilisera jamais »
une dissociation totale jusque dans la quatrième dimension. excellent choix de mot. les gens raisonnables ne peuvent plus rien lui reprocher à ce sujet.
Pour continuer sur l’un des thèmes évoqué ici, et en espérant ne pas trop déborder du sujet…
La violence est définie comme utilisation de force physique ou psychologique pour contraindre, dominer, causer des dommages ou la mort. D’après M. Pratte, « rien au Québec ne justifie que des gens aient recours à la violence, contre des personnes ou contre des biens, pour faire valoir leur point de vue. »
Je trouve sa perspective de la violence bien restrictive et à sens bien unique, ne reposant que sur la surface anthropocentrique et anthropomorphique des choses. Il ne lui viendrait évidemment pas à l’esprit que la façon néolibérale de mener les affaires courantes soit d’une violence inouïe envers la majorité d’entre nous, et là encore, je ne parle que de nous, personnes et biens…
Mais la violence est l’essence même du succès de notre mode de vie. Elle s’incarne dans la domestication, l’exploitation, la destruction ou l’éradication de tout ce qui est sauvage en nous et autour de nous, de tout ce qui échappe à notre contrôle.
Crois ou meurs semble être la seule façon que nous ayons de nous rencontrer. Les gouvernements dont nous nous affligeons présentement ont réussi à nous convaincre de nous laisser mourir, à petit feu. La présente réforme de l’évaluation environnementale fédérale en permettra certainement l’embrasement.
Mais où est donc passée la douceur de l’apprivoisement ?
« Ils se sont persuadés que l’homme…domine la création. Toutes les autres créatures n’auraient été créées que pour lui procurer de la nourriture, des fourrures, pour être martyrisées, exterminées. » Isaac Bashevis Singer
Ce texte de Normand Baillargeon est un stimulateur des méninges et de la pensée.
En fait, Baillargeon démontre que dans nos sociétés il y a, depuis assez longtemps (sinon depuis toujours), une guerre langagière, sémantique et terminologique.
Certaines personnes «de gauche» refusent de reconnaître que le « politically correct » existe et très souvent ridiculise toute la gauche, tous les mouvements progressistes.
Je comprends la « politically correctness » que j’aime personnellement, appeler la «correctitude» idéologique, intellectuelle, culturelle et politique. Aux États-Unis, et dans d’autres pays, une partie de la gauche a répondu au langage souvent sordide et éminemment méprisant d’une droite extrêmiste qui méprise les gays et lesbienes, le féminisme, le «socialisme», et j’en passe.
Le problème, c’est que la fraction de la gauche qui est obsédée par la correctitude a «inventé» un langage éminemment javellisé et aseptisé. Je me permets de présenter quelques exemples étatsuniens. Par exemple, une certaine gauche angélique et vertuiste considère que la préposition WITH est la seule qui puisse relier un individu à une maladie. On ne peut pas parler d’une personne souffrant de l’arthrite ou souffrant de troubles cardiaques. Il faut parler d’une personne AVEC de l’arthrite ou AVEC des troubles cardiaques. Une personne «souffrant» du SIDA est appelée « a person living with AIDS ».
Je pourrais multiplier les exemples à l’infini puisque j’ai «commis» un texte de 200 pages portant sur la correctitude politique et son contraire, « la correctitude méprisante et sordide » d’une certaine droite.
Aux États-Unis une certaine droite emploie un langage tellement blessant et ordurier, ce qui a amené une certaine gauche à réagir en devenant terminologiquement «censurante».
Par exemple, Ann Coulter, personne d’extrême droite, a diabolisé le mot « liberals ». Voici un de ses textes:
***«Les libéraux détestent l’Amérique. Ils détestent les porteurs de drapeaux, les opposants à l’avortement, les religions excepté l’Islam, l’après 11 septembre. Ils préfèrent les Noirs aux Blancs. Même les terroristes islamiques ne détestent pas l’Amérique autant que les libéraux. De surcroît les libéraux sont snobs: ils embrassent la cause des détenus parce qu’ils sont snobs tout comme ils adorent l’environnement pour les mêmes raisons.»***
Cette dame s’indigne du fait que les femmes ont le droit de voter. Elle pense que les républicains auraient toujours eu le pouvoir sans ce «maudit» droit de voter accordé aux femmes.
En fait, Baillargeon fait allusion à cette horrible guerre langagière et terminologique. Il est clair que le mot «démocratie» est devenu vidé de tout sens (ou presque). Quant au mot «anarchie», il est devenu pestiféré.
Dans l’actuel contexte Line Beauchamp et Jean Charest deviennent partie prenante de cette guerre langagière. Parler de BOYCOTT plutôt que de GRÈVE, c’est sémantiquement débiloïde.
J’en ai assez dit!
JSB
Bonjour Monsieur Baillargeon et lecteurs. Vous avez raison de dire que le théorème d’Arrow s’applique dans la présente situation entre les étudiants en grève et le gouvernement parce que les deux joueurs sont de pouvoirs inégaux. L’idéal aurait été d’appliquer le théorème du minimax (théorie stratégique à somme nulle de deux joueurs équivalents) à cette conjoncture, mais ce n’est pas le cas.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9or%C3%A8me_du_minimax_de_von_Neumann
Lors d’un exercice de sémantique, on m’a demandé de définir à sa plus simple expression le mot « pouvoir ». Ce n’est pas le Pérou, mais je suis arrivé à ceci : le pouvoir serait l’interaction inégale entre deux informations. Et c’est ce qui arrive entre les grévistes et le gouvernement.
C’est à croire que la démocratie, telle que nous la vivons, est la tendance vers la démocratie; on n’y arrive vraiment jamais complètement. En caricaturant, notre modèle de démocratie ressemblerait à ceci : il y a la période des élections où on vous martèle de promesses à coup de publicité dispendieuse. Puis, dès qu’on a élu le gouvernement, on pourrait interpréter les gestes des dirigeants comme voulant dire : c’est dommage mais vous nous avez élus pour faire ce qu’on doit faire pendant un mandat de X années. Alors, on n’entend plus les choses de la même manière (certaines conditions s’appliquent).
Dans un autre ordre d’idée. Quant à l’aspect émotif ou affectif de la situation actuelle, je suis plutôt porté à ne pas vouloir généraliser sur ce que le philosophe, doit ou ne doit pas être en regard des situations de la rue. J’ai employé le terme « de la rue », car c’est ce que Hans Gadamer a dit lors d’un cours en Allemagne pendant une manifestation à l’extérieur : « (…) le philosophe ne s’occupe pas des choses de la rue. ». La philosophie est un espace vaste, à travers lequel on peut faire de belles découvertes et explorer de multiples avenues. De grâce, ne vous laisser pas happer par les étiquettes et préjugés; fiez-vous à votre expérience. Le philosophe doit-il être détaché ou non ? Le réel nécessite parfois d’avoir le courage d’envisager des situations moins idéales afin d’envisager des solutions vécues comme de beaux défis. Plus facile à dire qu’à faire. Mais la démocratie a un bel avenir. Merci de votre attention.
Le point de depart de cette geremiade je dirais que c’est en partie
» Un projet de mémoire pour quelqu’un, au retour en classe, peut-être? »
qui me semble deconnete de la situation et de la demarche dans laquelle nous invite le gouvernement …
Je vais dire d’une part que j’aime bien votre blogue , vos livres, je crois que le blogue permet d’elever le niveau de ce qui se fait comme discussion dans les medias.
Par contre ma question … peut-on etre a ce moment ci dans cette demarche …
« théorème d’Arrow s’applique dans la présente »
» doit faire preuve de prudence, qui selon Aristote, est la vertu le plus importante »
« Des abîmes de difficultés insoupçonnées surviennent ici, qui font les délices de plein de gens, surtout en maths et en philo. Et ce ne sont pas là de vaines spéculations »
et rendu la pourquoi pas invoquer le theoreme d’incompletude de Godel, le principe d’incertitude d’Heisenberg, le doute metaphysique de Descartes, le paradoxe du chat de Schrodinger, l’agnosticisme …
Un prof de philo d’une universite X qui constate qu’on en est a la 10 semaines de greve fait quoi en arrivant le matin ( apres une douche bien concrete et un dejeuner bien concret et s’etre fache concretement a lire les nouvelles disons un texte d’Andre Pratte) a l’universite.
Devant son universite s’il y a une ligne il passe ou ne passe pas …
est-elle suffisament etanche cette ligne et puis dans le fond s’il n’y a pas de ligne ou que sa securite semble-t-il pas en peril et qu’il passe tout de meme ce matin la … il fait quoi ensuite …
En regard des directives du recteur, du directeur de department … quand il va a son cours il se comporte comment si les etudiants du departement ont vote la greve … donne -t-il un cours devant 1-2 etudiant et s’ils sont 20% ou 25 % est-ce suffisant…
Il doit participer a des discussions avec collegues, reunion de departement, courriels … il fait quoi suspend son jugement … ses collegues etant tous philosophes ils suspendent tous leur jugement jusqu’a plus ample discussion apres la greve … de faire un colloque sur le sens des mots …
On lui soumet peut etre par courriel des lettres a signer sur ceci ou cela … pour le devoir ou un autre media … il reflechit … le doute l’envahi … les mots sont-ils clair … representent -ils suffisament sa pensee …
Meme s’il est en etat de doute metaphysique permanent et que les mots sont pas clairs , il doit bien penser quelque chose de ces professeurs qui ont ete arrete ou interpele fortement par des agents de securite … dans d’autres institutions …
Assez pour faire un billet de blogue … peut etre … peut etre pas … le doute metaphysique l’envahit encore … s’exprimer a chaud sur un sujet n’est pas son role … il suspend son jugement …
» Un projet de mémoire pour quelqu’un, au retour en classe, peut-être? »
Suspend-il son jugement apres qu’un hypothetique etudiant a la maitrise ait fait son travail d’ici 2-3 ans et clarifier quelques concepts cle … mais encore la … peut etre qu’il faudrait attendre les fruits du labeur de son doctorat …
peut attendre que cet etudiant quitte pour un ou deux postdoctorat ailleurs et ait ensuite son propre financement et decide d’epuiser davantage la question avec ses propres etudiants… encore la a-t-on suffisament eclairer la question pour prendre parti sur ceci ou cela …
Ca m’evoque votre autre billet … avec un appel a des etats generaux alors que la crise est vu par certains militants liberaux et Alain Dubuc comme favorable dans une campagne electorale …
Ben non, Ian: c’est pas pour donner un sujet de mémoire. Pis ma position sur le sujet est bien connue. Et aussi je ne pense pas que ce à quoi je réfère soit inutile ou insignifiant ici, dans ce contexte: c’est juste pertinent et intéressant à connaître.
Pour les États Généraux: je les réclame depuis des années.
Enfin: merci de ne pas, même de loin, associer mon nom à celui de gens comme Dubuc. Je ne le prends pas très bien.
Et je suis désolé que tu prennes ainsi ce billet.
Je prends bonne note de vos remarques, j’y repense et peut être que c’était un commentaire injuste de ma part dans la mesure ou effectivement
« je me bats, publiquement (à Radio-Canada), pour qu’on appelle ça une grève et ce depuis le début. »
« Pour les États Généraux: je les réclame depuis des années »
Disons que je suis d’accord avec votre propos … pour la démarche c’est plus une question de contexte qui amenait mon exaspération.
—
Ma perception du contexte est que les députés ( dont un ex-recteur), les recteurs des diverses institutions et leur equipe, de même que l’équipe éditoriale au grand complet d’un certains journal connaissent le sens des mots et que ces pages d’université qui évoque un boycott, ces éditoriaux, ces remarques du gouvernement sont fait en connaissance de cause. Et que je pense que des gens ne veulent pas de cette discussion.
Merci de ces précisions.
Pour vous aidez dans votre reflexion ….
http://www.umontreal.ca/mouvements_etudiants/
http://www.nouvelles.umontreal.ca/campus/affaires-universitaires/20120418-levee-temporaire-des-cours-vises-par-le-boycottage.html
« Levée temporaire des cours visés par le boycottage »
« La levée temporaire des cours visés par le boycottage a été décidée dans le respect de nos obligations envers l’ensemble de notre communauté »
« En conséquence, jusqu’à nouvel ordre, les cours visés par le boycottage ne seront pas donnés »
« le mouvement de boycott »
Concernant l’UQAM on peut lire
http://www.uqam.ca/mouvements-etudiants/etat.htm
« Les associations étudiantes facultaires suivantes ont voté la levée et le boycottage de cours »
http://www.uqam.ca/mouvements-etudiants/perturbation_uqam.pdf
»
Position de l’UQAM en cas de manifestation ou de boycottage de
cours par des associations étudiantes ou par un groupe d’étudiants »
»
L’Université entend maintenir l’ensemble de ses activités malgré le boycottage de cours par certains de ses étudiantes et étudiants : l’Université demande le respect des activités des personnes, des groupes et des associations qui ne participent pas au boycottage »
»
Toutes les étudiantes et tous les étudiants dont les associations étudiantes ne participent pas auboycottage de cours ont droit à leur formation et l’Université entend leur faciliter l’exercice de ce droit
»
Ca aide il me semble a voir la « game » qui se joue …
Il est peut etre temps que les internautes arrete d’etre en saperlipopette … et de penser que le gouvernement ou les recteurs vont nous convier a un colloque ou dans des reflexion ben ben profonde …
http://fr.canoe.ca/infos/quebeccanada/education/archives/2012/04/20120418-215545.html
Ian: je me bats, publiquement (à Radio-Canada), pour qu’on appelle ça une grève et ce depuis le début. Le mot boycott me semble, depuis le début, une tromperie. Le …ou faut-il dire boycott de mon titre est ironique et pointe vers cette falsification par le langage à la quelle on assiste. Désolé que ce ne soit pas plus clair.
Peut etre que cet ajout était pas clair. J’avais compris que votre titre était ironique et votre position sur les différents enjeux.
J’évoquais que des pages des universités utilisent (avec abondance) ces expressions, c’était en addition au premier commentaire qui portait sur ce que je percevais être la démarche dans laquelle s’inscrivait votre billet vs ce que je percois être le contexte.
Les libéraux connaissent-ils le mot DÉBRAYAGE?
Et comment un gouvernement minimalement responsable peut-il proposer un interminable débat langagier consistant à déterminer si l’actuel débrayage (ou l’actuel mouvement, ou l’actuelle mouvance) est une grève ou un boycott? Quand même, FUCK, Il se passe des événements éminemment éloquents et «instructifs», ce qui amène de nombreux politiciens à fermer les yeux et à se lancer dans une guerre sémantique.
Et maintenant on va nous faire ch… avec le crétinoïde concept (ou vague notion «in-signifiante») de MAJORITÉ SILENCIEUSE, lequel concept est né dans les engeances les plus minables de la droite, comme dans, par exemple, la droite gaulliste ou la droite «nixonienne».
Je pense qu’il va falloir clarifier cette opportuniste notion de MAJORITÉ SILENCIEUSE.
Au Québec la majorité est tellement muette que, lors du référendum de 1995, il y a plus de 90% des «électeurs» qui ont voté. C’est donc cela qu’on appelle le SILENCE ou le MUTISME. Si dans de nombreuses élections les politiciens n’arrivent pas à «faire sortir le vote», c’est peut-être parce que beaucoup d’entre eux sont minables et inintéressants.
Quant à moi je me sens de plus en plus radical. Le radicalisme n’a rien à voir avec l’extrémisme. Être radical, c’est tenter bien modestement d’aller à la racine («radix» en latin) des «choses», ce qui est enthousiasmant et difficile.
Je termine ce petit billet avec une citation de Pierre Dac, citation qui devrait être transmise à Beauchamp et Charest:
***«Rien ne sert de penser, il faut réfléchir avant.»***
Il y a aussi beaucoup d’éditorialistes qui devraient s’inspirer de cette pensée.
JSB