BloguesNormand Baillargeon

J’étais à Victoriaville, hier. Voici ce que j’ai vu

Ceci ne prétend évidemment pas être une description objective et complète de la manif, mais rapporte simplement ce que j’ai vu.

Tout a commencé de manière festive, dans le stationnement d’un Walmart. Nous étions quelques ( de 3 à 5, je dirais, au terme d’ un petit calcul maison sans prétention) milliers de personnes. Le Walmart (comme le Macdo) était fermé: on a au moins réussi ça! Mais je soupçonne que le petit boisé avoisinant n’aura jamais vu autant d’urine!

Le départ a été donné et on a marché environ un kilomètre vers le Palais des congrès de Victo, qui est en fait un hôtel. La foule s’est massée devant ce lieu. Il n’y avait alors, c’est important de le dire, que quelques policiers «ordinaires» (une dizaine?) , en costume usuel, qui en bloquaient l’accès.

Entre eux et nous des clôtures de métal, pas bien hautes. Je suis face au Palais. assez près pour bien voir la scène. Derrière nous, un camion dans lequel une personne hurle des slogans ou harangue la foule.

Sur ma droite, quelques casseurs entreprennent de renverser les clôtures. Ils y arrivent et avancent vers les quelques flics qui se trouvent là. D’autres barrières tombent ou sont secouées, sur ma gauche et devant moi.

Peu après, l’anti-émeute arrive: boucliers, casques, matraques, la totale. Et ils sont très, très nombreux: au moins une cinquantaine.

Ils font reculer les personnes qui se sont trop rapprochées. Quelques projectiles sont lancés. J’aperçois alors très clairement des policiers de l’antiémeute qui vont s’assoir en retrait. Ça m’intrigue. Ils enlèvent leurs casques. Étrange? Non. Ils se mettent quelque chose sur la tête: ça y est, je comprends: ce sont des masques à gaz. J’en informe les compagnons qui m’entourent: on va peut-être être gazés. On s’attend qu’ils déclarent la manif illégale et qu’ils nous demandent de nous disperser. On s’attend à ce que si la foule refuse, il y aura avertissement puis jets de gaz.

J’étais tout près. Je m’attendais à tout ce que je viens de dire en raison de ce que j’avais vu et de ce que je sais (pense savoir?) de la gestion des manifs.

Eh bien, je n’ai rien, absolument rien entendu: aucune annonce que la manif était illégale, aucun avertissement, rien. Tout d’un coup, très, très vite, des gaz ont été lancés. Si vous n’avez jamais vécu ça, vous devez savoir que ça fait très, très mal. On a du mal à respirer. On cherche son souffle. Mais quand on respire, ça augmente le mal; vos yeux brûlent, aussi, atrocement. Ils coulent. Chez certaines personnes, ils deviennent d’une rougeur extrême. On n’a d’autre choix que de chercher de l’air pur. On s’enfuit donc, à toutes jambes, tout le monde.

J’ai vu, fuyant à côté de moi, des jeunes (dont certains qui savent, eux: ils ont des masques de plongée sur les yeux, portent un foulard — imbibé d’eau citronnée, je pense — sur le bas du visage), mais aussi des personnes d’un âge avancé (le dangereux White Block, je présume?) et même, ça je ne l’oublierai pas de sitôt, un jeune papa avec un très jeune enfant dans les bras, le petit hurlant de douleur. Je serais surpris si le papa avait entendu un avertissement et choisi de rester sur place. Je croiserai plus tard d’autres parents avec de jeunes enfants terrorisés.

Nous courons donc, portés par la foule qui va où elle peut mais, et on ne le comprendra que plus tard, malgré nous dans la mauvaise direction, celle du vent. Nous nous réfugions derrière un bâtiment. L’air est plus respirable. Des gens vomissent, d’autres hurlent, d’autres reprennent tant bien que mal leur respiration.

Et là, on est gazés une deuxième fois. On reprend notre course, on fuit. On doit être à plusieurs centaines de mètres du Palais des congrès.

On court le plus souvent les yeux fermés: ça fait très mal autrement. J’ouvre les  yeux. Nous sommes dans une sorte de champ qui donne sur la cour arrière de maisons. La rue est à cinquante mètreset les maisons faissant barrière, l’Air y est meilleur. Des tas de gens sont là . J’aperçois un homme, le propriétaire de cette maison-là sans doute. Il me faut de l’eau. Je vais lui en demander. Pas le temps: il nous dit de filer et de ne pas passer sur son terrain. On est à cinquante mètres d’un air plus pur, on a les yeux en feu. Il ne veut pas qu’on fasse ces 50 mètres sur son bout de gazon. Sa femme l’appuie: elle sort sur son balcon et nous hurle des injures. On reprend notre course, les yeux fermés.

Il a plu. On se met de l’eau de pluie recueillie sur l’herbe sur les yeux.Ça calme. Les effets des gaz prennent fin. On revient vers la manif, en croisant tout au long du chemin de retour des gens de tous âges qui, comme nous, ont été gazés sans avertissement entendu. La manif dégénère. Comme bien d’autres qui n’ont plus le goût, ou l’âge ou le courage d’affronter des policiers armés et violents on décide de rentrer.

On a de quoi jaser en route et de quoi méditer sur d’innombrables sujets. Par exemple, qu’auriez-vous répondu,  vous, ayant vécu ce qui précède à de nombreuses reprises, à une demande ministérielle de condamner la violence? Et bien d’autres.