BloguesNormand Baillargeon

Une proposition (parmi de nombreuses autres) : imposer 100% des gains en capital

Ce qu’on peut appeler le « comité d’urgence» — réuni par le Gouvernement Libéral il devait permettre de sortir de la crise de l’enseignement supérieur qui dure depuis 13 semaines — a mis de l’avant une solution qui a, avec raison, été jugée très insatisfaisante par les étudiantes et étudiants qui se sont prononcés à son sujet.

Le cadre imposé …

Cette solution, il faut le noter, se maintient dans le cadre dans lequel le Gouvernement a tout fait jusqu’ici pour confiner les débats sur la question du financement de l’enseignement supérieur et des frais de scolarité et elle en accepte la prémisse fondamentale, à savoir : qu’il n’existe pas de marge de manœuvre financière sur cette question; qu’il est hors de question de refiler la facture aux contribuables; et que les étudiants doivent donc faire leur [juste] part.

Mais il est faux de dire que le Gouvernement n’a pas de marge de manœuvre et cette prémisse, qui est désormais l’éteignoir avec lequel on interdit tout débat politique, doit être combattue de toutes nos forces.

… et l’urgence d’en sortir

Pour commencer, et on est gêné de rappeler ce truisme, toutes les décisions et orientations économiques sont des décisions politiques qui, à ce titre, incarnent des choix et des valeurs sociales, politiques et éthiques. Ces choix et ces valeurs sont discutables et doivent être discutées précisément comme des décisions politiques, sociales, éthiques, elles peuvent et doivent l’être malgré toute cette inconcevable bouillie idéologique qu’on nous sert inlassablement depuis des décennies sur le prétendu marché libre qui nous imposerait ses diktats auxquels nous devrions absolument et invariablement nous soumettre.

De plus, et c’est encore un truisme, le Gouvernement a une capacité de taxer et il peut aller chercher des recettes supplémentaires et cesser de couper dans le gras — souvent pas si tant gras que ça au demeurant. La CLASSE et Québec solidaire ont d’ailleurs déjà proposé des mesures qui vont en ce sens sous la forme d’une taxe sur le capital des banques.

Un exemple : les dépenses fiscales

Voici une autre proposition. Il se trouve en effet que dans le cadre financier d’un Gouvernement, on trouve des dépenses qui ne sont pas visibles lorsqu’on regarde le budget, mais qui ont quand même un coût pour le gouvernement : ce sont ce qu’on appelle les dépenses fiscales.

Les dépenses fiscales sont des mesures ayant pour but d’accorder des allègements fiscaux à des groupes déterminés de particuliers ou d’entreprises ou à l’égard de certaines activités. Le concept de dépenses fiscales renvoie donc, justement, à des choix de politique fiscale par lesquels le gouvernement accepte de se priver d’une partie de ses revenus fiscaux pour atteindre divers objectifs.

Les dépenses fiscales ont notamment pour effet de réduire ou de différer les impôts et taxes autrement payables par les contribuables. Elles peuvent prendre plusieurs formes, par exemple celles de revenus non assujettis à l’impôt, d’exemptions de taxe, de remboursements de taxe, de déductions dans le calcul du revenu imposable, de crédits d’impôt ou de reports d’impôt. Celle qui est la plus connue est sans doute la déduction des cotisations à un REÉR (Régime enregistré d’épargne retraite).

Rien que pour l’année 2011, les dépenses fiscales au Québec se sont élevées à 16,8 milliards de dollars, pour les mesures visant les particuliers, et à 4,2 milliards de dollars, pour celles s’appliquant aux sociétés.

Les gains en capitaux

Plusieurs de ces mesures sont souhaitables; mais plusieurs sont questionnables tandis que d’autres encore sont totalement inéquitables — et je pense en particulier ici à l’imposition partielle des gains en capitaux. Le Gouvernement pourrait donc, en abolissant cette dépense fiscale, aller chercher des recettes tout en rendant notre système fiscal plus équitable.

Un gain en capital c’est l’écart entre le prix que vous avez payé pour un bien (autre que votre résidence principale), par exemple un immeuble locatif ou bien des actions, et le prix auquel vous revendez ce bien. La portion imposable du gain en capital a évolué au cours des années. Le taux actuel d’inclusion est de 50%.

C’est ainsi qu’un salarié qui a un revenu de 50 000$ dans l’année devra payer de l’impôt sur l’ensemble du 50 000$, tandis que celui qui réalise un gain en capital de 50 000$ ne sera imposé que sur 25 000$ soit 50% du 50 000$.

Pour l’année 2011, l’inclusion partielle des gains en capital a coûté au Gouvernement 416$ millions pour les particuliers et pour les entreprises 415$ millions. En imposant à 100% les gains en capital (comme on impose le salaire), le gouvernement aurait augmenté ses recettes de 831$ millions pour cette seule année 2011.

De plus ce gain est réalisé et imposé seulement au moment où vous disposez du bien.
Le gain en capital est pourtant en soi déjà un abri fiscal, car tant que le gain n’est pas réalisé, il n’est pas imposable. On peut ainsi reporter dans le temps l’imposition des gains en capital, ce qui est doublement avantageux puisqu’un bien peut prendre de la valeur mais n’est pas imposé tant qu’il n’y a pas de disposition, de sorte que qui n’a pas réalisé ce gain ne paiera aucun impôt sur cet enrichissement. On offre donc un traitement privilégié à l’accumulation du capital. (En passant : cette mesure était déjà préconisée en 1966 dans le Rapport de la Commission Royale d’Enquête sur la fiscalité du Gouvernement du Canada ou le Rapport Carter.)

La hausse des droits de scolarité, selon la dernière proposition d’étalement sur 7 ans pour l’année 2012-2013, rapportera environ 49$ millions; soit 254$ par étudiant pour 192 602 EETP (Étudiant équivalent temps plein) et au total, au bout de 7 ans 342$ millions par année, soit 1 778$ par étudiant — en considérant qu’il y aurait alors le même nombre d’étudiants qu’en 2012-2013.

Un choix de société … si on impose d’en débattre

Lorsqu’on compare ces deux scenarii — imposer les gains en capital au nom de l’équité fiscale, ou augmenter les frais de scolarité au nom de la (soit disant) juste part — on mesure mieux que des choix s’offrent à nous; que ces choix incarnent des valeurs et des principes; et qu’il s’agit de faire un choix de société qui doit être fait là et non de s’adapter à des impératifs économiques toujours saisis si je puis dire «en extériorité» et donnés comme des absolus incontestables. (Note : vous n’avez pas à expliquer ceci à ceux qu’Adam Smith appelait les Maîtres : ils le savent parfaitement et depuis toujours font jouer tous les mécanismes politiques et idéologiques pour que ce prétendu marché prétendu libré fonctionne à leur avantage).

Ce n’est là qu’un exemple de ce qu’il est tout à fait, si on le décide, possible et défendable de faire, et qui ne touche aucunement le contribuable moyen: il en est d’innombrables autres.

Mais si, depuis quatre décennies, les salaires moyens stagnent, les services publics et nos infrastructures tombent en ruines et le Québec est dans l’état lamentable où il se trouve, c’est, entre autres, parce qu’on ne le sait pas assez, qu’on ne le dit pas assez et surtout qu’on ne le hurle pas assez, à pleins poumons, dans les rues et partout, contre tous ceux qui veulent nous faire croire que le Dieu Marché exige de nous, sans cesse, un tribut de sacrifices humains toujours de plus en plus lourds.

Une petite histoire pour finir

Examiner des débats tenus autrefois peut aider à prendre une salutaire distance critique devant cette conception éthérée, a-historique et a-politique du marché qui conduit à traiter d’utopiste quiconque avance des propositions comme celle qui précède. On constate alors combien certains débats présumés être économiques étaient d’abord et avant tout politiques et éthiques et que c’était une erreur de les situer sur le plan économique ou, pire encore, de penser que l’appel au marché et à ses lois permettait de le trancher.

En voici un exemple. En 1819, le Parlement Britannique a adopté une loi sur le travail des enfants en usine, le Cotton Factory Regulation Act. La loi ne s’en prenait pas au travail de tous les enfants dans toutes les usines, mais seulement au travail des enfants de 9 ans ou moins dans les usines de coton, où les conditions de travail étaient particulièrement horribles. Tous les enfants pouvaient travailler dans les autres usines; et on limitait les horaires de travail des enfants de 10 à 16 ans qui travaillaient dans des usines de coton : ils ne pouvaient plus y travailler que 12 heures par jour.

La loi a suscité de grands débats. Pour plusieurs, elle entravait la liberté non seulement des propriétaires d’usine de coton, mais aussi celle des enfant désireux d’y travailler. Elle constituait rien de moins qu’un intolérable atteinte à la liberté de contracter et au libre jeu du marché et devait en conséquence être retirée. À méditer en lisant Nathalie Elgrably-Lévy et consorts.