Extrait de Liliane est au Lycée:
«La grande découverte de Miller est la suivante. Nous accédons au monde via une sorte de fenêtre à travers laquelle un nombre limité d’items peut être traité : on estime en fait justement à sept plus ou moins deux le nombre d’items que peut contenir cette fenêtre que l’on appelle notre « mémoire de travail ». Après quoi, nous sommes intellectuellement débordés.
Cette limitation serait bien entendu catastrophique si rien ne permettait de la surmonter – ce qu’au demeurant il est évident nous faisons couramment. Elle est en fait surmontée par un processus qui permet de regrouper des items pour en faire un seul : ce que les sciences cognitives appellent le chunking ou « regroupement », qui est l’intégration de données dans une entité unique de niveau conceptuel plus élevé et ce aux fins de stockage et d’extraction. Or ce qui rend possible cette intégration, ce sont justement des savoirs, ces « simples faits » et données mémorisés et connus et qu’on pourrait être tenté de décrier en les tenant pour de peu d’importance.
Pour le comprendre, considérez la célèbre expérience menée dans les années 60 par A.D. van De Groot, qui était lui-même un joueur d’échecs et s’intéressait justement à l’expertise dans ce domaine. On montre à des joueurs d’échec, durant un bref moment (entre 5 et 10 secondes), un échiquier comprenant 25 pièces du jeu placées selon une configuration possible d’une partie. On leur demande ensuite de reconstituer de mémoire ce qu’ils ont vu.
Il se trouve que les différents taux de succès à cet exercice sont parfaitement corrélés avec le statut du joueur. C’est ainsi que les grands maîtres ne se trompent pour ainsi dire jamais dans leur reconstitution de la partie ; que les joueurs un peu moins bien classés font quelques erreurs ; et ainsi de suite, jusqu’aux novices qui ne placent correctement que quelques pièces.
On pourrait penser que les grands maîtres ont des facultés intellectuelles extraordinaires – et que c’est ce qui fait d’eux de grands maîtres. Mais il n’en est rien. La mémoire de travail des grands maîtres, en particulier, est la même que la nôtre. Ils ont cependant accès à un très riche répertoire de savoirs – et connaissent un très grand nombre de positions possibles des pièces durant une partie – qui leur permet de mémoriser une partie donnée en un bref coup d’œil. Et les novices, quant à eux, ne replacent correctement… eh oui : qu’entre 5 et 9 pièces.
De Groot a ensuite montré à ses sujets des positions aléatoires de pièces, c’est-à-dire ne constituant pas une configuration possible d’une partie : comme on pouvait s’y attendre, les grands maîtres eux-mêmes ne plaçaient alors correctement que quelques pièces. (Combien ? Entre 5 et 9, mais vous l’aviez deviné). Ce type d’expérience a été reproduit un grand nombre de fois et dans de nombreux domaines (médecine, physique, musique etc.) avec, à chaque fois, le même résultat.
Il s’ensuit que, pour penser de manière critique, créative à une question donnée, il faut posséder du savoir pertinent dans ce domaine permettant de regrouper des données et de surmonter les limitations de notre mémoire de travail. Et que lorsque nous discutons avec autrui, ce savoir est inévitablement mis en jeu : faute de le posséder, nous sommes plus ou moins exclus de la conversation démocratique à laquelle nous ne comprenons que peu de choses. Ces conclusions sont un formidable appui à l’idée d’un bagage culturel commun justifié par des raisons intrinsèques, mais aussi politiques.»
Éclairant article Monsieur Baillargeon!
D’où je crois, la nécessité à l’éducation continue la plus large possible, pour former une pensée critique! C’est bien la raison de votre livre « Petit cours d’autodéfense intellectuelle ».
Merci à vous!
“People only see what they are prepared to see.”
— Ralph Waldo Emerson
J’adore cette idée du regroupement avec laquelle j’ai travaillé et travaillerai encore. Bravo pour cette explication si claire et complète.
Très intéressant votre article M. Baillargeon.
Un plaidoyer pour une éducation large et accessible à tous, ce qui permet d’élever le débat.
Il-y-a plusieurs années, lorsque j’usai mes jeans à l’école, un prof de français avait fait une expérience semblable, nous faire lire à voix haute un texte sans voyelles. On pouvait voir le niveau de connaissance de notre langue… fascinant!
Si la devise d’un peuple est JE ME SOUVIENS, il serait peut-être bon que ce brave peuple multiplie les savoirs et connaissances et apprenne à les regrouper, ce qui, éventuellement, alimenterait et attiserait sa mémoire.
Il est essentiel de ne pas oublier les grands penseurs qui, un jour ou l’autre, nous «quittent» tout en restant présents par leurs écrits, par leurs travaux et par leurs réflexions. Merci, Normand Baillargeon!
JSB
Je comrpends que je vais debarder du cadre et mettre peut être le blogueur dans une position inconfortable.
Vous nous parlez de parler de manière critique …
Mais a quoi sert de penser de manière critique si on élimine nos textes critiques systématiquement sous pretexte que cela déplait meme si ceux ci respectent en tout point les regles a cet effet.
Je lis certains internautes … mettre le même copier collé d’opinions faciles … que je lis sur toutes les tribunes et je me demande pourquoi ce type de textes est publié plus facilement … comme si on voulait pas véritablement de dialogue …
Idée pour un texte de blogue … on pourrait parler de l’éthique dans les médias en regard des regles pour publier des opinions …
Est-ce éthique de ne pas publier un texte qui respecte les regles qu’on se donne en tant que media …
Est-ce ethique qu’on supporte un blogueur dans cette voie et qu’on envoie meme un courriel a un internaute pour dire qu’on de meme et c’est tout …
Quelle est la responsabilité d’un média qui heberge des blogues …
C’est quoi la responsabilité d’un media dans le cadre d’une campagne électorale qui ne publierait pas des textes selon que le propos deplait au blogueur … et l’urine du matin du blogueur …
J’écris ici en pensant que c’est encore un blogue libre sur voir …
Ian,
La communication virtuelle et par textes courts n’est pas toujours aisée. Ici, je le dis sans malice, je ne comprends pas ou ne pense pas comprendre ce que vous dites. Vos semblez déplorer une certaine attitude/censure peut-être à votre endroit? Mais je ne conçois pas que cela puisse s’appliquer à moi, ici, sur ce blogue: je publie tout, sans restriction. Est-ce autre chose? Un reproche à me faire? À faire à Voir? Merci de m’éclairer. Cordialement.
Je vais tenté d’être plus clair.
Le commentaire n’est pas un repproche vous concernant … mais d’autres blogues …
Mais on se comprend qu’un texte soumis a un blogue portant sur la censure du blogue en question a de forte chance d’être censuré …
J’ai donc profité de l’occasion de soulever la question parce que justement c’est un espace ou on peut s’exprimer librement … et qu’ensuite le fait d’évoquer la pensée critique dans votre texte m’interpelait.
C’est pour moi absurde que coexiste dans un même journal … espace virtuel … des textes articulés et intéressant sur la liberté d’expression, sur l’éthique, la pensée critique, la philosophie … avec en prime une manière très large de modérer les commentaires …
Et d’autre part sur d’autres blogues des dérives importantes de mon point de vue a ce qui me semble une « modération éthique » limitant la liberté d’expression très fortement… et que ces dérives semblent ne pas poser de problème a d’autres blogueurs et a l’équipe en charge du voir.
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Mes commentaires depuis un certains temps sont systématiquements éliminés sur certains blogues, mis en modération de manière indéfinis et cela meme si ceux ci respectent en tout point la nétiquette alors que je constate en lisant les commentaires acceptés qu’on me fait une modération sur mesure et bien bien au dela de la nétiquette …
Parfois on élimine des textes car trop long ou trop systématique dans leur argumentaire … c’est tout de même farfelu …
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Ma reflexion est que la pensée critique que vous évoquez dans votre texte ne se fait pas dans le vide … il faut des lieux ou cette pensée critique peut s’exprimer. Comment accueille-t-on cette pensée critique dans les medias si elle concerne le propos de leur blogueur ou leur pratique.
J’ai l’impression d’être un extra terrestre a chaque fois que j’évoque ces problèmes … mais suis je le seul a me questionner sur la modération, l’éthique en regard de la modération, le concept de justice ?
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Ensuite pour moi il y a des questions qui se pose au niveau des organisations. Comment se comporte un media et des profesionnels de l’information en regard des critiques.
On repproche souvent aux politiciens de serré les coudes dans la tourmente, d’être solidaire même dans l’absurdité …
Et donc comment va se comporter l’équipe d’un journal quand elle constate ce qui pourrait sembler des abus dans la modération ou comment vont se comporter des collegues blogueurs … regarder a coté …
@Ian. Je suis triste et pour tout dire sidéré d’apprendre cela. quand on tient un blogue, ici, on contrôle les commentaires et on peut en effacer, bloquer des gens, etc. Je me refuse à le faire. Chacun fait comme il l’entend. Mais de mon côté, jai toujours trouvé vos propos stimulants et intéressants. Quoiqu’il ne soit, je ne comprends pas pourquoi on vous bloque ainsi. Puis-je faire quelque chose?
ian avait écrit au moins deux très bons (et longs) commentaires suite à ce billet de jérôme lussier:
http://voir.ca/brasse-camarade/2012/07/16/quatre-partis-deux-axes-une-election/
voyant son échafaudage s’écrouler, jérôme les a effacés, tout simplement.
ian est pas content.
moi non plus.
ce que vous pouvez faire? chicaner jérôme, voire le dénoncer à la prochaine réunion.
On n’a jamais de réunions et je ne le vois jamais. Je ne le connais pas et ignore tout de ses motifs. En attendant, je ne peux que déplorer ce qui ressemble à de la censure … jusqu’à plus ample informé.
Merci de prendre le temps de répondre.
» Quoiqu’il ne soit, je ne comprends pas pourquoi on vous bloque ainsi. Puis-je faire quelque chose? »
C’est pas évident pour moi ce qui est possible de faire.
En fait, je crois qu’en me permettant d’évoquer sur votre blogue cette situation c’est déja quelque chose.
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Vous répondre m’amene certaines réflexions que je pense peuvent être intéressantes a inclure dans mon commentaire
Je dirais qu’il y a dans tout cela des questions intéressantes et peut être même philosophique dans cette question de nétiquette et de modération. Dans le fond une nétiquette en faut-il une et pourquoi, si oui qu’elle est sa fonction au juste, quel but on vise, juqu’ou doit-elle aller, doit-elle etre restreinte aux aspects légaux, aller beaucoup plus loin, … qu’est-ce qui serait une bonne pratique de modération …
Comment on procede, le citoyen devrait-il avoir des recours ou des moyens de connaitre pourquoi on élimine ou refuse de publier un commentaire.
Il y a pour moi une question de pouvoir, media vs citoyen, ect …
Ce qui me préocupe plus généralement c’est que ca semble peut être plus commun qu’on ne le pense. Je vois très souvent des messages sur radio canada ou on dit en haut d’un message ( nouvel envoi, merci de me publier, mon message respecte la nétiquette , …) des artefacts d’une modération …
qui me laisse penser que c’est commun et chose étonnante les messages me semble souvent très éloigné d’enfreindre la nétiquette ( selon mon interprétation de la nétiquette ) et a la fin je me demande si on sert bien les objectifs de depart de la nétiquette.