Je vous propose une petite expérience de pensée. De quoi s’agit-il?
La catégorie est large, mais on pourra dire, en première approximation, que des expériences de pensée sont des situations idéales et imaginées qui nous permettent de réaliser, «de tête», quelque chose comme des tests ou des mises à l’épreuve d’idées et d’hypothèses et d’explorer les conséquences de certaines de nos intuitions.
De telles expériences de pensée ont été réalisées tout au long de l’histoire de la philosophie et de l’histoire des sciences et elles ont parfois joué un rôle prépondérant dans leur développement. Les meilleures d’entre elles aident en effet à clarifier nos idées, à formuler plus précisément des problèmes, à faire remarquer des contradictions et même à établir la plausibilité de certaines idées ou théories.
Voici donc la mienne, bien modeste.
Imaginez qu’au lieu d’élections, on convienne de désigner au hasard X, disons 500, citoyennes et citoyens qui délibéreront, informés par des fonctionnaires, et qui prendront ensuite, à la majorité des voix, les décisions qui doivent être prise au cours des, disons, quatre prochaines années.
Supposons aussi qu’on ait à coeur l’idée que la démocratie est un modèle délibératif et que les décisions qui sont prises par de telles délibérations sont les bonnes.
Que pensez-vous que nous gagnerions/que nous perdrions en adoptant ce modèle?
C’est un jury que vous décrivez.
Si on veut. Mais une population qui vote est aussi un jury : elle délibère puis vote.
Je pense que ce processus nous raprocherait de la démocratie et nous éloignerait de l’utopie de croire qu’un petit groupe d’élites puisse gouverner et gérer le bien commun de facon intègre. Ces petits groupes au pouvoir jouent simplement le rôle d’endormir notre responsabilité citoyenne afin que les mieux nantis puissent continuer de perpétrer le vol de nos richesses à l’abris d’un peuple réveillé et impliqué et ce, par la confiance qu’on leur donne en votant pour eux, confiance qui est rarement méritée. À partir du moment où on est inclus dans le processus délibératif, il y a une vraie joie qui s’installe par le sentiment de faire partie du monde, du pays, de la ville, du village… Sommes-nous assez endormis pour croire qu’ils feront mieux après les prochaines élections? Où est l’utopie?
L’idée du hasard m’apparaît très problématique, bien qu’on puisse supposer qu’à un certain nombre (1000?), leurs opinions sont proportionnelles à la population entière (ce dont je doute fortement). Il faudrait aussi prendre toutes les précautions que ce soit un vrai hasard. L’informatique ne peut pas générer un vrai nombre aléatoire; je ne m’y connais pas énormément, mais peut-être qu’un hacker (ou que le programmeur du système) pourrait implanter une manière de faire entrer ses candidats.
Il y a quand même un certain nombre de critères qui sont « minimaux » pour être candidats et pour être élus, qui sont la plupart du temps partagés par tous les partis. Par exemple, on verrait mal un analphabète occuper l’un de ces 500 postes. Il semblerait qu’ils soient 50% dans la population.
Aussi, être candidat prend un certain engagement. Être désigné au hasard peut être problématique: si un candidat refuse, est-il remplacé par un autre au hasard?
Y aura-t-il une délibération entre eux pour déterminer qui des fonctionnaires leur donne des comptes rendus de ce qu’il faudrait prendre comme décision. Vote-t-on sur l’ordre du jour?
L’avantage est qu’on serait à l’abri du trafic d’influence passé d’un individu. Pas tout à fait sur l’influence présente par contre.
Pour réaliser cette expérience dans la réalité, faut-il souhaiter que le taux de participation aux élections baisse au point qu’elles deviennent illégitimes?
TOI, tu veux qu’on devienne communiste
pffffffffffffffffff n’importe quoi
La première conséquence risquerait d’être l’accroissement du désintérêt de la population: si le citoyen n’est pas consulté, il n’a plus le forum de discussion tel qu’une campagne électorale en offre. L’avantage serait la disparition des partis – et donc de la partisannerie. Quant à la corruption, elle serait plus lente à s’installer, mais, je crois, toujours présente.
L’idée est intéressante, je crois que le plus gros gain pour la population avec un tel système serait de se débarasser du « package deal » offert par la formule du « parti ». Un parti, c’est tout ou rien. Il serait plus avantageux de pouvoir sélectionner les items qui pour nous font du sens.
Permettez-moi de changer de sujet légèrement; Le magazine « Wired » publiait justement un article semblable il y a quelques mois.
Dans le domaine médical, on échantillonne des nouveaux médicaments sur un tout petit nombre de gens et on applique les résultats à l’échelle mondiale. En quelque sorte, quand vous prenez une pillule, vous faites confiances aux 500 humains (chiffre aléatoire pour l’exemple) qui ont testé le produit. Ces 500 humains ne sont assurément pas représentatif de 100% des gens qui utiliseront le produit, mais on juge que c’est adéquat pour obtenir des résultats relativement fiables.
Pour le domaine politique, il s’agirait d’un système informatique qui donnerait au hasard le droit de vote à 5000 personnes par circonscription (encore une fois, chiffre tiré au hasard). Ces 5000 personnes reçoivent un ballot de vote par courrier, ainsi qu’un document qui pointe vers des ressources permettant de s’informer sur les partis, les candidats, leur histoire, leur idées, etc. Ces 5000 personnes doivent donc s’informer sur les partis et leur idées et faire un vote éclairé.
Avec ce système, on ferme la porte à l’achat de votes car ceux qui ont un ballot sont anonymes. Le taux de participation devient 100%, la participation étant obligatoire. Du temps et des ressources sont alloués à ces gens pour consulter les programmes des partis et des candidats, ce qui fait que le choix est plus éclairé et moins biaisé par des appartenances à des partis politiques.
C’est une idée qui peut faire peur, et il y a certainement des désavantages avec une telle approche. Mais au fond, je crois que ça pourrait bien fonctionner.
On y gagnerait :
– le départ de nombreux ambitieux qui prennent les places de représentants après des luttes fratrides acharnées,
– une meilleure répartition sociologique de nos représentants,
– une meillure prise en compte des problèmes de l’ensemble des citoyens, au lieu de ceux qu’une « élite » ou « clique » plus ou moins déconnectée,
– on y gagnerait plus de respect pour les insititutions, chacun étant à son tour susceptible d’être appelé à servir.
Il faudrait s’assurer d’épauler ces décideurs civils par des experts dans les différents domaines d’activité et bien marquer la différence entre ces représentatns du peuple qui trancheront et les experts qui les informeront.
Cette idée n’est pas neuve et pour ma part je l’ai découverte et compris il y a quelques années en écoutant Cornelius Castoriadis dont voici une rediffusion : http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2208
1) Délibérer sur des enjeux de société sur la base d’informations distillées par des fonctionnaires est quelque chose de totalement irresponsable. Qui sont-ils ces fonctionnaires? Quels sont leurs intérêts personnels? Leurs talents et compétences? Quelles informations nous distilleraient-ils et sur la base de quels critères?
2) Un échantillon aléatoire de 500 personnes ne pourrait pas être significatif au sein d’une population de 7 millions d’habitants. Les sondages d’opinion qui reflètent le mieux la réalité ponctuelle de l’opinion doit comporter au minimum quelques milliers de personnes.
3) Et même avec un échantillon statistique aléatoire sur une courbe normale (Gauss), ça ne nous donnerait pas autre chose que la médiocrité comme décideurs (médiocre : du grec medius = moyen). Voulons nous que les décisions prises soient médiocres ou excellentes?
4) J’ai toujours pensé qu’il y a une différence entre vouloir et pouvoir. Tout le monde n’a pas forcément les capacités de comprendre les enjeux en présence et donc de prendre part aux décisions qui s’y rattachent. Et là… personne n’a encore parlé du biais inévitable découlant des conflits d’intérets personnels.
5) Je pense que sur le plan de la consultation des idées, tous doivent avoir l’opportunité de se faire entendre. Mais pour ce qui est de prendre une décision éclairée, rien n’est moins sur! Sur les plans de la légitimité morale et de celui de l’efficacité, Une responsabilité ne peut être confiée qu’à une personne qui a les capacités de l’assumer. Un droit ne vient jamais sans des responsabilités Et une responsabilité doit nécessairement être confiée à une personne capable de l’assumer.
Par exemple, est-ce que ma grand-mère de 98 ans qui ne comprend plus le monde depuis longtemps a la capacité de se prononcer sur des enjeux tel : la fiscalité des entreprises et ses impacts sur les inégalités sociales? ou encore les stratégies technologiques à envisager pour augmenter notre compétitivité dans le secteur des technologies en télécom? Et comment envisager le développement durable (environnement et protection des ressources) dans une économie globalisée qui nivelle vers le bas les conditions de vie des travailleurs?
Bref, j’ai du mal à voir dans votre proposition quelque chose de salutaire. Mais je suis curieux de vous entendre développer votre idée.
Le système actuel ne garantit pas plus que nous élisons des gens compétents. Ceux qui votent y vont souvent de leurs impressions de la personne, ou ils votent contre le candidat opposé. Et pourtant ce sont ces élus qui occuperont des fonctions parfois en lien avec leurs expériences, parfois non. Et ils devront se fier à l’opinion des fonctionnaires en poste qui, eux, potassent leurs dossier depuis longtemps. Je crois que la proposition vise à éliminer les facteurs d’intérêts personnels, la possibilité d’être « acheté » par des lobbyistes. Quant à savoir si les fonctionnaires sont compétents, la question se pose tant dans le système actuel que dans le modèle proposé. S’agit-il de fonctionnaires déconnectés de la réalité ou d’experts qui sont sur le terrain? Je crois qu’il s’en trouve des deux types.
« Voulons nous que les décisions prises soient médiocres ou excellentes ? »
À décisions excellentes est aussi associé décisions catastrophiques puisqu’il s’agit d’extrêmes qui s’éloignent de la moyenne. Comment savoir si c’est une décision excellente ou une décision catastrophique qui nous sera servie. Quelle est la meilleure alternative, sachant que les conséquences d’un décision catastrophique peuvent avoir des conséquences pires que les avantages d’une décision excellente. Par exemple franchir des points de non-retour à cause de décisions catastrophiques.
Il y a plein d’exemples graves de décisions catastrophiques et nous ne sommes pas proche d’en avoir terminé avec les conséquences. Je pense au nucléaire et aux retombées radioactives, aux amas de plastique dans l’océan, au réchauffement climatique, à l’extinction massive de plusieurs espèces de la faune et de la flore, à l’extermination des juifs lors de la deuxième guerre mondiale et la problématique palestine/juif qui s’ensuivit.
Il y a aussi les décisions qui auraient pu être catastophiques que nous avons évitées par un cheveux. Je pense à la guerre froide par exemple et la menace de guerre nucléaire totale.
Peut-être serions-nous effectivement plus tranquilles d’esprit si nous nous arrêtions de « gambler » sur l’humanité future pour l’intérêt de l’humanité présente et nous contentions des décisions « moyennes ». Je préfère encore dire « moyennes » puisqu’elles sont assurément moins médiocres que certaines décisions divergentes de la moyenne.
Je n’aime pas trop le risque et c’est la raison pour laquelle je préfère des décisions moyennes à des décisions soit-disant excellentes mais potentiellement catastrophiques.
Cette idée a déjà été explorée par Isaac Asimov dans une nouvelle intitulée « Devoir civique » (« Franchise » en anglais), dans le recueil « Espace vital » (« Earth is room enough »). À lire!
Ben dis donc! Merci.
Cette idée a été exploitée par Isaac Asimov dans une nouvelle intitulée «Devoir civique» («Franchise» en anglais), dans le recueil «Espace vital» («Earth is room enough»). À lire!
J’ai lu tous les billets et personnes n’a remarqué que l’expérience de pensée de Normand est fondée sur le fonctionnement de l’Athènes antique, l’Écclésia en moins. 😉
J’avais ça en tête, en effet,Michel.
Bah, sans rentrer dans la référence exacte, j’avais fait le lien avec les sages grecs en citant un des derniers, décédés lui aussi depuis : Cornelius Castoriadis ! 😉
Pour ceux que ça intéresse, le meilleur livre que j’ai lu sur le système politique athénien jusqu’à ce jour c’est « Principes du gouvernement représentatif » de Bernard Manin. Tout le premier chapitre y est consacré. Bien que le propos principal soit de montrer les éléments représentatifs dans le gouvernement athénien, Manin explique dans un langage clair son fonctionnement dans sa totalité. À lire aussi si l’on veut comprendre le(s) système(s) représentatif(s) en général.
Intéressant, mais pour le moment nous avons des élections. Il vaudrait mieux réformer le système électoral à brève échéance pour assurer une véritable représentativité.
À voir:
Étienne Chouard – Conférence: Le tirage au sort comme bombe politiquement durable contre l’oligarchie:
http://www.dailymotion.com/video/xiyzhh_etienne-chouard-conference-le-tirage-au-sort-comme-bombe-politiquement-durable-contre-l-oligarchie_news
Ben dis donc, encore une fois…
Il faut réhabiliter l’imagination sociale et apprécier de nouveau la valeur réaliste et critique de l’utopie, cette grande oubliée.
C’est la seule façon de nous préserver de l’aporie socio-politique et de déverouiller l’avenir, qui a été pris en otage par l’idéologie néolibérale.
«Ce qui est en jeu dans toute utopie, c’est le fait d’imaginer une autre manière d’exercer le pouvoir». -Paul Ricoeur
«L’utopie, c’est la réalité de demain». -Victor Hugo
On y gagnerait le fait de devoir se déplacer pour aller voter.
Des représentants issus d’une plus grande diversité sociale.
Rien au niveau de la Démocratie qui n’a pas grand chose à voir avec la représentativité
Plus de peur vis à vis du système actuel déjà en crise de confiance.
Plus de pouvoir des fonctionnaires sur les représentants
Moins de légitimité des représentants vis à vis du peuple.
Bref, une technocratie déguisée en oligarchie représentative…
La Démocratie ne s’accommode pas bien de la représentativité et ne se limite pas au vote qui n’est que l’ultime solution d’un conflit démocratique où aucune autre issue n’a été trouvée….
Le monde la recherche scientifique semble a mes yeux un modèle de «communauté» qui réussit à avoir certaines qualités profondément démocratiques. Le débat y est omniprésent (enfin, de ce que j’en connais) et soumis à l’évaluation objective par les pairs.
C’est tout le contraire de notre pseudo démocratie qui tient ses citoyens dans l’à-peu-près ignorance et qui n’impose à ses politiciens que la critique douce et soumise de ses médias.
Pour appliquer cela au monde politique, il faudrait que des cours de pensée critique et de citoyenneté soient systématiques et obligatoires.
Pourrait-on imaginer une démocratie directe où, plutôt que de voter pour des humains ou des partis, on voterait pour des idées? Ces idées feraient l’objet de débats populaires fréquents où la qualité et l’objectivité de l’argumentation seraient le principal soucis des citoyens. Le »pouvoir » exécutif serait ainsi soumis à la vérification citoyenne.
Ça me semble utopique mais pour éliminer la représentativité je ne vois pas d’autre choix que d’augmenter drastiquement le niveau d’éducation (au sens large) des citoyens.
Tout à fait.
Augmenter le niveau d’éducation, ne devrions déjà en être là. Par exemple, l’anachronique taux d’analphabétisme actuel au Québec est une aberration sans nom.
Il s’agit effectivement de questionner la supposée «société de l’information» -qui n’est, dans les faits, qu’une société programmée- et d’apprécier la notion -beaucoup plus démocratique- de «société des savoirs partagés».
Le printemps érable, quoi qu’on en dise, c’est un peu ça; les jeunes veulent avoir accès au savoir, consultent les médias alternatifs, commencent déjà à développer leur esprit critique, entrevoient les mensonges et les injustices et disent:
Sorry, no compute !
Une vraie démocratie, par définition, se doit de «rester humble» et accueillir l’esprit critique comme étant un agent positif de changement. Sinon, c’est le néant, la dépression, la répression et l’anomie. À ça, je réponds aussi: Sorry, no compute !
«La disjonction actuelle, presque complète, entre la politique des partis et les mouvements sociaux ou les courants d’opinion n’annonce pas le triomphe prochain de ceux-ci, mais le début d’une reconstruction de la vie politique».
Alain Touraine
Question de rebondir sur le lien que je vous ai partagé concernant la conférence d’Étienne Chouard, voici un petit complément d’info «internationale»; un article paru sur le site français d’Agoravox et qui s’intitule:
«Etienne Chouard en a rêvé, les Québecois l’ont fait !»
http://www.agoravox.tv/actualites/citoyennete/article/etienne-chouard-en-a-reve-les-35860
Les grands changements ne se feront certes pas aussi vite qu’on le souhaiterait, mais j’ose croire qu’ils sont bel et bien en marche…;)
Bonjour Normand,
en lisant ce billet, j’ai repensé à celui-ci que tu avais publié sur ton blogue la semaine dernière. Je t’invite à le lire, ce bonhomme est vraiment intéressant : un Français découvert sur Twitter via Ianick Marcil.
Voici don le lien : Jusqu’ici, tout va bien… Dissidence et démocratie liquide http://ow.ly/cKoXx
Véronique