Si je m’intéresse depuis plusieurs mois déjà aux systèmes électoraux, c’est la faute à Condorcet, dont je prépare une anthologie. Il est à mon avis un des plus importants penseurs du Siècle des Lumières et il reste largement et déplorablement sous-estimé.
Il a écrit sur une multitude de sujets, mais à propos des systèmes de vote, et pour le dire simplement, Condorcet a intuitionné que la traduction en préférence collective des préférences individuelles qu’on réunit peut être problématique et qu’il peut même arriver que ce qu’on détermine comme constituant le choix collectif ne traduise pas fidèlement les préférences individuelles. C’est en gros le sens d’un fameux paradoxe qui porte son nom.
Tout un champ de recherche, à la frontière des mathématiques, de la philosophie et du politique est né de ces réflexions: la Théorie du Choix social, qui s’interroge sur la manière de définir les préférences collectives d’un groupe à partir des préférences individuelles des individus qui le composent. Une des ses pièces maîtresses, un résultat négatif très important, est le Théorème d’Arrow, directement issue des réflexions de Condorcet.
En bout de piste, on sait qu’il n’y a pas de méthode infaillible pour traduire les préférences individuelles en préférence collective; mais cela ne signifie pas qu’il n’y en ait pas de moins mauvaise. D’où cette recherche d’un système de votation qui reflète au mieux ce que pense le groupe. Ce que nous avons, au Québec, est une catastrophe, très probablement un des pires qui soient.
Mais outre la question de savoir comment s’y prendre pour voter et déterminer les gagnantes et les gagnants, il y a aussi celle de savoir à qui il est permis de voter. En ce qui concerne les suffrages politiques (car ce que j’ai dit jusqu’à présent vaut pour toutes les élections qu’on pourra imaginer, depuis la présidence d’un club à la formation d’un jury, etc.) on a assisté à une progressive extension de ce droit: par exemple, seuls les propriétaires pouvaient voter; puis on a permis à tous les hommes de 21 ans et plus de voter; ensuite les femmes furent incluses; puis les personnes de 18 ans et plus; puis les prisonniers; etc.
Mais voilà qu’on commence sérieusement à envisager de faire voter les générations futures. L’idée, quand on réfléchit, est loin d’être saugrenue. Certes, ces gens-là, par définition, n’existent pas encore. Mais ils et elles seront affectés par certaines des décisions que nous prenons, principalement en rapport avec l’environnement. Or, ces décisions sont typiquement prises en n’ayant que le très court terme en vue et donc en les ignorant complètement. Disons-le brutalement: les délirantes institutions économiques dans lesquelles nous vivons font ainsi en sorte que tel grand-père, par ailleurs aimant, prend des décisions qui risquent fort de rendre la planète invivable pour les petits-enfants de ses propres petits-enfants. Les générations futures, ses petits-enfants, devraient donc avoir leur mot à dire sur les décisions qu’il prend.
On a commencé à imaginer — et en certains pays à implanter — des moyens permettant de faire entendre la voix des générations futures. C’est un sujet qui me semble mériter réflexion surtout en ce moment. Vous trouverez ici un article de philosophie politique défendant le principe d’accorder des voix aux générations futures et examinant divers moyens pour ce faire. Et ici un article synthèse sur la question qui rapporte notamment ce qui se fait à ce sujet en Nouvelle-Zélande et en Israël.
Bonne réflexion!
vivement votre anthologie ! ça risque d’être fort intéressant !
Or, s’il est difficile pour un mandataire – voire impossible – de « re-présenter » les intérêts de personnes en chair et en os, il me semble d’autant plus périlleux de décider des volontés de générations à venir. Question sans doute abordée de philosophie politique ci-haut, mais que je n,ai pour le moment pas le temps de consulter!
En parlant de nouvelles publications, j’ai entendu dire qu’en novembre, Comprendre la philosophie sera publié. Est-ce le même livre que Stéroides pour comprendre la philosophie, mais d’un autre éditeur? Quels sont vos projets de nouvelles publications pour les prochaines années?
Oui, c’est le même. L’autre est épuisé.
Je travaille à une anthologie de l’anarchisme; j’ai en marche une brève histoire de la pédagogie, pour Boréal. Et je viens d’envoyer aux PUL un recueil de textes de philosophie de l’éducation. Enfin, sauf erreur, un collectif consacré aux téléséries que je dirige avec Christian Boissinot devrait sortir au printemps. Je travaille typiquement seul, sans subventions ni aide d’aucune sorte ni aucun dégrèvement: c’est pourquoi ça prend parfois plus de temps que je voudrais.
J’ai hâte de me procurer l’anthologie sur l’anarchisme. J’ai toujours plaisir à lire sur le sujet.
Petite suggestion de publication: Il serait intéressant d’écrire sur le bonheur avec une synthèse des courants philosophiques traitant du sujet. J’avais lu, il y a quelques années Le bonheur philosophe de Jacques Senécal. J’avais aimé ce livre, mais le style d’écriture était ennuyant et il manquait quelques philosophes que j’admire. À mon avis, il serait utile dans produire un, puisque le marché nous propose de plus en plus de livres sur la recherche du bonheur qui versent souvent dans le new age.
Sans avoir lu le contenu des liens, il me semble que LA solution serait de se départir du système de vote partisan (et de toutes manières de le repenser), et d’instaurer un système ou la démocratie serait directe. Dans un tel système, TOUT LE MONDE pourrait s’investir, discuter et être représentant d’un nombre infini de sujets. Il faut s’assurer que les meilleures décisions soient prisent, et que les »portes paroles » ( représentants élus pour un sujet donné par la majorité des gens d’un réseau X ) soient réellement ceux qui veulent le »bien du plus grand nombre », ceux qui portent la voix de la majorité, et dont l’argumentaire a le plus de chances d’avoir été vérifié avant de s’élever.
Inutile de mentionner que ce système ce doit d’être décentralisé pour que les sujets soient représentatifs du point de vue des gens qui les comprennent et qui désirent s’investir dans ceux-ci. Ceux qui ne se prononcent pas ne font que subir, ils sont passifs, tandis que c’est ceux qui s’acitivent, font avancer les choses. L’important est que tout le monde puissent se prononcer au départ.
Prendre en considération les générations futures? Comment sans qu’il ne s’agisse d’une règle coulée dans le ROC, d’une décision bureaucratique, »au dessus du peuple », un peu comme de dire que c’est à chaque 4 ans qu’ont vote, ou que l’ont doit être agé de 18 ans pour en avoir le droit? Quelqu’un qui n’est pas né ou qui ne comprend pas certains enjeux ne peu pas se prononcer – c’est normal, et naturel. Ceux qui se doivent d’être élevés du bas, vers le haut, ceux qui porteront la parole de la majorité, du local, vers le global, se devraient logiquement d’être ceux qui ont, de manière rationelle, la plus grande probabilitée d’emmener un argumentaire crédible sur un sujet donné et ainsi d’emmener le bien être des générations présentes, mais également de celles du futur… Non?
C’est bien l’idée de la démocratie directe à condition d’avoir des électeurs éclairés et non alimentés uniquement par les médias traditionnels dont la bêtise est sans fond. De plus, si le mot « direct » signifie par mode électronique, vous me perdez totalement. Je n’ai aucunement confiance au vote par internet. Juste à voir la tromperie électorale des appels frauduleux présumés contre les conservateurs canadiens lors de la dernière élection fédérale. Le contrôle de l’information sera l’enjeu du siècle.
Après vingt ans de recherche, Maestripieri un neurobiologiste et psychiatre de l’Université de Chicago notait que le comportement social des humains ressemble à celui du macaque rhésus et que les méthodes pour demeurer et obtenir le pouvoir ne sont pas tellement différentes de celles proposées par Machiavel durant la Renaissance.
“Individuals constantly compete for high social status and the power that comes with it using ruthless aggression, nepotism, and complex political alliances. (…)The tactics used by monkeys to increase or maintain their power are not much different from those Machiavelli suggested political leaders use during the Renaissance.”.
Marrant: je vous lis alors que je prépare mon exposé sur Machiavel pour la radio de Dimanche.
Je partage vos réticences sur les médias, comme vous savez; mais aussi sur une démocratie qui se priverait des importantes ressources de la délibération
Marrant en effet et tant mieux pour la synchronicité. Évidemment je serai à l’écoute ou en réécoute en baladiffusion le cas échéant.
Normand, je viens de remarquer ma signature : un lapsus, j’ai signé DavidHumain au lieu de DavidHume. Le sens n’a cependant pas été pas affecté !-).
La multiplicité et la diversité des sources d’informations est une manne; cela implique des recherches et parfois une confrontation avec nos points de vue, mais c’est le fondement pour la construction d’une pensée articutée, critique et cohérente.
David Hume: J’ai publié un article sur vous et la musique populaire dans: Quand Platon écoute les Beatles sur son Ipod.
Vraiment intéressant. J' »entends » bien l’écouter.
Sans compter Nietzsche, T. Adorno et Gilles Deleuze aussi ? Ça promet. Merci.