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De mauvaises raisons de voter … et ce que j’espère pour le 4 septembre

J’ai déjà expliqué sur ce blogue pourquoi des gens, notamment dans ma tradition de philosophie politique, libertaire, souvent (mais pas toujours, ni systématiquement, j’y insiste) ne votent pas dans les élections politiques usuelles de nos sociétés.

Ce billet m’a valu, vous le devinez, bien des commentaires, parfois très durs. En certains cas, sans trop s’attarder aux arguments que j’avançais, on me rappelait le devoir (sacré, disait-on parfois..) de voter, un devoir impérieux et ne supportant guère d’exception et auquel on ne saurait faillir sans mettre en péril la démocratie elle-même.

Il me semble pourtant que si on prend au sérieux des choses aussi élémentaires que l’idée de démocratie, justement, et un idéal de participation éclairée à la délibération, ce que font typiquement les anti-votards réflexifs, il faudrait conclure non seulement qu’il peut être fort justifié de ne pas voter, mais aussi que plusieurs d’entre nous auraient le devoir de ne pas voter. Notez bien, je vous prie, que je ne dis pas qu’il faudrait interdire à ces gens de voter: je ne fais que rappeler cette évidence  que la démocratie suppose comme condition un public éduqué capable de s’élever au-dessus des ses intérêts personnels pour prendre part à une délibération qui vise à atteindre le juste en tenant compte de ce qui est vrai ou plausible. Les carences à ce sujet ont depuis toujours été considérées comme ne pouvant être corrigées que par l’éducation et par un espace public de délibération ouvert, pluriel et libre.

Des exemples qui feraient qu’on aurait le devoir de ne pas voter? En voici quelques-uns.

On a tous connu par exemple de ces personnes qui sont «teintes» d’une couleur, comme on dit au Québec, c’est-à-dire qui votent depuis toujours pour un parti par un attachement viscéral et ancien pour lequel elles seraient à mal de fournir un véritable argumentaire et qui, l’élection venue, vont, cette fois encore, par réflexe, voter pour ce parti.

Considérez encore le cas de ces personnes qui, certes, lisent des journaux et se tiennent au courant de l’actualité mais qui n’ont pas pris le temps de sérieusement s’informer des programmes des différents partis avant le jour de l’élection.

Et que dire de ces personnes qui ne s’informent qu’à une seule et très biaisée source d’information, toujours la même?  Certaines d’entre elles ont probablement du monde une compréhension à ce point limitée qu’elles devraient sérieusement repenser leur volonté de se présenter à l’isoloir.

Pensez encore à tous ces cas non moins réels de gens qui votent pour leur propre intérêt: et pas en se plaçant du point de vue du bien commun, ce que suppose le fait de voter en démocratie. Un parti propose-t-il de baisser les impôts des personnes très fortunées qu’il obtient aussitôt leur vote parce que cette décision leur convient financièrement — et ce même si, par ailleurs, (certaines de?) ces personnes avoueront que la décision de hausser les impôts des plus fortunées est juste et est bien celle qui doit être prise, du point de vue du bien commun. On peut en outre imaginer, (je ne pense pas à qui que ce soit en particulier en le disant 🙂 , que certaines de ces personnes disposent de nombreux et puissants moyens — comme des journaux, par exemple — pour faire avancer leurs positions durant toute l’année. Eh bien, elles ne devraient peut-être pas aller voter aux élections: elles votent tout le temps, tout le reste de l’année.

Celles que je viens de donner ne sont que quelques-unes des raisons qui expliquent qu’on puisse avoir le devoir ne pas voter. J’ignore combien de gens elles concernent. Mais je ne pense pas qu’elles entrent pour beaucoup dans l’explication du fort taux d’absentéisme électoral qu’on constate de nos jours: en fait , en un sens, on peut espérer que si une personne connaissait et comprenait  parfaitement les raisons qui font qu’elle devrait ne pas voter, cela ferait bientôt en sorte qu’elle le pourrait. Je veux dire que comprenant que son information est biaisée, elle irait se renseigner ailleurs; que comprenant que l’on doit en démocratie voter en se plaçant du  point de vue du bien commun, elle agirait en conséquence; etc.

Il y a donc des raisons de ne pas voter; et aussi des raisons qui font qu’on aurait le devoir de ne pas voter. Mais il y a en outre, je le sais, de bonnes raisons de voter. Vous avez les vôtres, je n’en doute pas. Cependant, moi qui suis non seulement libertaire mais aussi dans une circonscription où mon vote, en raison du délirant système électoral que nous avons, est d’avance perdu, je n’en trouve aucune.

Cependant, je dois le dire: si j’étais dans une circonscription où se présente Françoise David, où se présente Amir Khadir, où se présente Manon Massé ou encore où se présente quelque autre personne de cet acabit, (dont M. Aussant , dont je lirais alors le programme ) ayant une chance de l’emporter, je me déplacerais pour les appuyer, ceux et celles-là. Sans me boucher le nez. Sans penser stratégie.

Je ne renierais pas mes convictions ni mes principes en ce faisant. Je ne deviendrais pas votard pour autant: inutile, donc, de sortir l’artillerie lourde, compagnons. Mais je le ferais.

C’est que je me réjouis d’avance d’entendre résonner ces voix-là dans cette grande salle si peu réjouissante d’où on nous gouverne. Je me réjouis de leurs prises de position: celles de citoyens, comme à l’époque où ce mot-là fut un bien joli mot. Je me réjouis d’avance de la pugnacité du citoyen Kahdir, de l’élégance et de la noblesse de la citoyenne David, du courage et de la détermination de la citoyenne Massé.

Je me réjouis de les savoir là pour emmerder ceux qui nous gouvernent, nous gardent à vue, nous inspectent, nous espionnent, nous dirigent, nous tarifent, nous mystifient, nous volent — et ainsi de suite, merci Proudhon.

Citoyens Khadir, citoyennes David et Massé, si, avec quelques autres de vos semblables,  le Québec vous envoyait à l’Assemblée Nationale, le 4, je pense qu’il se ferait un beau et précieux cadeau.

En fait, je terminerai là-dessus, je voterais aussi pour vous parce que je trouverais triste à pleurer que l’on se prive de vous, au moment où le Québec a justement tant besoin de gens comme vous, de citoyens, et où s’annoncent, je le crains, de vives turbulences…