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Légendes pédagogiques (ouvrage en préparation; pour commentaires)

Je prépare un livre dont le titre de travail est: Esquisse d’une théorie des légendes pédagogiques, à paraître chez Poètes de Brousse. Ce qui suit en est l’introduction. Ne vous gênez pas pour commenter!

Introduction

Ceux qui peuvent vous faire croire à des absurdités
peuvent vous faire commettre des atrocités.
Voltaire

Tout ce que je demande est que nous pensions à ce que nous faisons
H. Arendt

 

Si vous œuvrez en éducation ou dans un domaine relié à la formation, tendez l’oreille et vous entendrez parler d’elles; puis regardez autour de vous et, si vous êtes aux aguets, vous en verrez les effets en de multiples endroits, notamment dans ces innombrables pratiques pédagogiques qu’elles inspirent.

Je parle bien entendu de ces légendes pédagogiques qui donnent son titre à cet essai qui propose l’esquisse d’une modeste réflexion à leur propos.

J’ai forgé cette notion de légende pédagogique lorsque, moi qui n’ai cessé d’être frappé par la prévalence de croyances non fondées et en certains cas étranges, voire bizarres, en éducation, je fis le rapprochement entre celles-ci et les légendes urbaines, lesquelles vous sont sans aucun doute familières.

Ce qu’on appelle des ‘légendes urbaines’, vous vous en souviendrez, ce sont des histoires qui sont typiquement contées comme étant arrivées à quelqu’un de proche de la personne qui vous la raconte — ce qui est présumé leur conférer un gage de crédibilité : «C’est arrivé à un ami d’un ami», commencera-t-on parfois —, histoires qui sont le plus souvent étranges, intrigantes, étonnantes, tant par le sujet dont elles traitent que par leur dénouement.

Ces histoires sont appelées des légendes parce que, bien qu’elles ne soient pas avérées et soient presque certainement fausses, elles sont néanmoins données pour vraies aux nombreuses personnes à qui elles sont contées et souvent tenues pour telles par elles, qui les raconteront à leur tout; et si elles circulent à ce point, c’est qu’elles expriment, le plus souvent, des peurs, des angoisses ou encore des fixations collectives. Leur contenu, ce que leur circulation signifie pour la collectivité où elles sont diffusées, ce qu’elles dévoilent de ses représentations, de ses craintes, de ses fixations et ainsi de suite, tout cela est du plus grand intérêt et a pour cette raison abondamment été étudié .

En proposant le rapprochement que je faisais, je voulais suggérer qu’il existe dans le monde de l’éducation de semblables légendes, que je proposais pour cette raison d’appeler des légendes pédagogiques.

Les légendes pédagogiques sont très semblables aux légendes urbaines : elles aussi sont répétées et circulent abondamment; elles aussi, données pour vraies, sont le plus souvent sinon entièrement fausses, du moins, à l’examen, dénuées de plausibilité conceptuelle ou d’une solide base scientifique; et elles aussi nous disent quelque chose du milieu dans lequel elles circulent.

Cependant, les légendes pédagogiques n’expriment pas tant des peurs que des croyances, typiquement rassurantes et romantiques, idéalistes et généreuses, mais aussi dramatiquement fausses, voire en certains cas dangereuses et qui, hélas, se retrouvent en abondance dans le monde de l’éducation.

On me l’accordera peut-être : si c’est bien le cas, leur examen ne peut manquer d’être instructif. Et on devine sans doute déjà certaines des questions que l’on peut poser à leur propos.

En voici quelques-unes.

Peut-on en identifier un certain nombre qui sont particulièrement répandues? D’où provient leur pouvoir d’attraction? Comment et pourquoi se répandent-elles? Quels en sont les effets sur la pratique? Quelle signification attribuer à leur prévalence? Sans oublier la question peut-être la plus importante : comment se prémunir contre elles?

Un problème intéressant relativement à ces légendes pédagogiques, mais que je ne poursuivrai pas ici, est celui de leur typologie. Plusieurs classifications sont possibles et éclairantes. On peut ainsi imaginer classer les légendes pédagogiques selon le type d’attrait qu’elles suscitent; selon les différents rôles qu’elles jouent ou fonctions qu’elles remplissent; selon les canaux de diffusions qu’elles empruntent; selon le type d’autorité qu’elles revendiquent pour se donner comme crédibles; selon ce qui les rend attractives; et de nombreuses autres manières encore, sans doute.

Pour ma part, il m’a semblé particulièrement éclairant et utile de distinguer les légendes pédagogiques selon ce qui en permet la réfutation ou, si l’on préfère, selon les moyens qu’il est pertinent de mette en œuvre pour les discréditer. Trois grandes familles de légendes pédagogiques se laissent ainsi commodément repérer entre lesquelles, c’est inévitable, on observera quelques chevauchements.

On pourra ainsi distinguer d’abord, mais sans que cette distinction ne soit absolue, des légendes pédagogiques qu’on peut réfuter en procédant (non certes toujours ou exclusivement, mais, disons, de manière nettement prévalente) à l’analyse des termes et des concepts qui y sont invoqués. Cette analyse conceptuelle nous dévoile souvent que derrière des affirmations qui peuvent à première vue être plausibles ou séduisantes, se cachent de profondes obscurités qui, une fois levées, enlèvent simultanément bien de la substance et bien de la crédibilité à une proposition.

Il en va ainsi de ces idées qu’il faut apprendre par découverte, qu’il convient de partir de l’expérience, ou qu’il faut tabler sur l’intérêt de l’enfant : ces idées sont comprises pour ce qu’elles sont, à savoir des légendes pédagogiques, dès lors qu’on entreprend d’analyser les concepts qu’elles mettent en œuvre — ici : découverte, expérience, intérêt.

On pourra distinguer ensuite des légendes dont la réfutation exige cette fois (ici encore, non certes toujours ou exclusivement, mais, disons, de manière nettement prévalente) le rappel des données empiriques ou de certaines théories scientifiques que ces légendes invoquent à tort, partialement ou fallacieusement. La science invoquée s’avérera à l’examen inexistante, ou fragile, ou donner appui à autre chose que ce que l’on prétendait démontrer en l’invoquant. Il en va ainsi de ces idées selon lesquelles il faut pratiquer la métacognition; il faut respecter les rythmes scolaires; il faut apprendre à lire comme on lit, c’est-à-dire de manière globale.

Parmi ces invocations abusives de la science, il en est un ensemble relativement récent mais désormais à ce point répandu que j’ai cru devoir leur faire un place à part. Il s’agit de ces neuromythes qui invoquent, encore une fois à tort, partialement ou fallacieusement, des résultats réels ou allégués des sciences cognitives et des neurosciences. Il m’a semblé nécessaire de leur consacrer un chapitre tout entier.

L’ouvrage se déclinera donc selon cette typologie, qui propose, pour en fixer la terminologie, de distinguer des légendes confusionnelles (elles sont examinées dans le chapitre 2), des légendes pseudo-scientifiques (elles sont examinées dans le chapitre 3) et des légendes reposant sur des neuromythes (elles sont examinées dans le chapitre 4).

Le conclusion de l’ouvrage tires des leçons de l’examen des ces légendes et indique des moyens de résister à leur pouvoir d’attraction et de se prémunir contre lui.