Ce matin, on trouve dans Le Devoir une lettre ouverte de M. Saulnier, ex-directeur général de l’information à Radio-Canada, qui rappelle comment, ces temps-ci, «il n’existe […] plus aucune société, en Europe comme en Amérique, où la population n’exprime pas son ras-le-bol à l’égard des tares du système démocratique». M. Saulnier suggère un cours sur la démocratie pour résoudre ce problème.
J’ai la chance d’enseigner John Dewey aux futures enseignantes, aux futurs enseignants. Et Dewey, comme on sait, est non seulement un immense penseur de l’éducation, mais aussi un immense penseur de la démocratie: en fait, il n’est pas excessif de dire qu’il a voulu penser et aider à implanter l’école que demande une société démocratique. Or, il y a chez lui une riche idée qui ne manque jamais de faire réagir en classe et que je trouve particulièrement éclairante. Voici.
Dewey cherche, indispensable question préalable, à dire ce qu’est la démocratie. Or, s’il est vrai qu’on la définit souvent par des choses comme des institutions, le droit de vote, un mode de gouvernement,etc. Dewey suggère, ce qui peut surprendre au premier abord, que la démocratie est surtout un mode de vie associatif caractérisé par ce que les membres ainsi réunis d’une part ont en commun et partagent des intérêts et d’autre part entretiennent des relations avec d’autres associations. À proportion que ces deux traits sont présents, le mode de vie est démocratique, évolue organiquement et est en mesure de faire face à des situations nouvelles, dit Dewey.
Pensez à présent à nos sociétés en appliquant ces deux critères. Demandez-vous par exemple avec qui les membres de nos classes dominantes entretiennent des liens riches et nombreux. Et des tas d’autres questions de ce genre.
Les réponses sont fichtrement éclairantes, il me semble….
La plupart des démocraties dites « occidentales » (par exemple Europe, Amérique du Nord, Australie-Nouvelle-Zélande) souffrent à mon sens d’une contradiction majeure :
D’un côté, les mécanismes de ce que les marxistes qualifiaient naguère de « démocratie formelle » sont de plus en plus vides de sens. Le peuple pris dans son ensemble n’a, concrètement, plus guère d’influence réelle sur la situation politique d’un pays « démocratique » donné, si ce n’est de manière très marginale : demandez-vous donc quelle différence réelle il y a entre Obama et Romney, ou entre Hollande et Sarkozy, ou entre les partis dits « de gauche » et ceux de droite d’une démocratie « lambda » ; et demandez-vous, surtout, quelle est la probabilité qu’une alternative réelle puisse se manifester par la « voie des urnes ». (Par exemple, quelles sont les chances réelles que Nader, aux Etats-Unis, ou Mélenchon en France, puissent être portés au pouvoir par une majorité de l’électorat ? A ce propos, il est peut-être pertinent de remarquer que quand une alternative politique réelle risque d’être effectivement élue « dans les règles », on ne recule devant aucun mensonge, ni devant aucune basse propagande, voire devant aucune menace ou violence physique, pour empêcher cette éventualité : cf. l’exemple de Syriza en Grèce.)
De l’autre côté, la liberté d’expression, ainsi que celle de mener sa vie privée comme on l’entend, reste malgré très vivante et très réelle (malgré de réelles limites, dont les modalités peuvent varier selon les pays concernés).
D’où la question suivante que je me pose. Les élites dirigeantes occidentales se contenteront-elles éternellement de devoir passer par les mécanismes de démocratie formelle pour légitimer leur pouvoir aux yeux de leur opinion publique ?
Très éclairant, oui. J’ai l’impression que la démocratie se résume pour bien des gens dans le pouvoir d’élire un dictateur pour 4, 8 ou 10 ans.
L’école est-elle une institution qui fonctionne démocratiquement? Je ne crois pas. Ce faisant, comment enseigner la démocratie dans un environnement non démocratique?
L’école ne serait pas démocratique ? Alors, à quoi peuvent bien servir le comité d’école, le conseil d’orientation, le comité de parents et les commissaires d’école ?
John Dewey, dans « Démocratie et éducation » (ou est-ce l’inverse : éducation et démocratie ???) est à l’origine de la coopération dans la classe, de la recherche à partir de ses expériences propres, et hors de la classe, de rapports démocratiques entre les citoyens soit, de respect des libertés de pensée et d’expression. Il a été un des grands inspirateurs des réformes du Président Roosevelt dans les années trente. Un philosophe essentiel pour comprendre le pragmatisme américain.
Mon problème, posé en toute candeur, est le suivant: que fait-on lorsque les membres de certaines associations (le 1% par exemple) sont plus intéressés par les parallèles, même zigzagantes, que par les perpendiculaires et les «rencontres»?
Un jour ma naïveté me fera passer pour le roi des cons.
JSB
Mon cher Jean-Serge,
Si j’ai bien compris votre propos, Dewey veut exactement mettre ce danger en évidence et dirait que nous en somme plus en démocratie quand cela se produit.
Normand, je pense que vous avez raison en ce qui concerne Dewey.
Mais ma triste vision du monde d’aujourd’hui, c’est que la parallèle est la norme, beaucoup plus que la perpendiculaire ou que diverses autres lignes qui se croisent et s’entrecroisent.
Un petit exemple en passant. On parle de plus en plus de l’environnement et de moult produits, souvent informatiques, qui finissent rapidement dans des dépotoirs, souvent dangereux pour les êtres humains. L’obsolescence des produits est bien programmée, depuis de nombreuses lunes.
Que BalckBerry, comme les autres entreprises du domaine, essaie constamment de «déclasser» ses produits pour enfin proposer la nouvelle (pas pour longtemps) génération, cela va à l’encontre du «bien public» et de l’avenir de nos enfants et petits enfants. Cela, de très nombreuses personnes le savent. Et les gouvernements «démocratiques» ne peuvent pas l’ignorer. Mais les perpendiculaires intéressent rarement les maîtres du monde.
L’intérêt public et humanitaire est laissé de côté. Il y a la soif du profit. Et il y a le comportement plutôt «débiloïde» de millions d’adeptes inconditionnels des «nouveaux» produits, de «nouvelle» génération. De nombreux cerveaux sont tellement bien formatés que c’en est désespérant.
On dirait parfois que la ligne parallèle l’emporte triomphalement sur les lignes éventuellement perpendiculaires ou autres qui permettraient de fructueuses rencontres, discussions, explications et décisions.
Je pourrais multiplier les exemples allant dans le sens de mon triste propos.
JSB
@Jean-Serge Baribeau
Lorsqu’on est trise, on peut toujours se consoler en se disant qu’il pourrait y avoir pire. Dites-vous que ça pourrait être pire, ça pourrait être une ligne hyperbolique!
« Par exemple, quelles sont les chances réelles que Nader, aux Etats-Unis, ou Mélenchon en France, puissent être portés au pouvoir par une majorité de l’électorat ? » BM
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C’est assez clair. S’il ne sont pas élu, c’est que la majorité des gens n’en veulent pas.
Jean Émard
Dans votre raisonnement vous ne tenez pas compte du fait que l’affaire politique est aussi une affaire d’argent. Une simple observation sur nos partis politique confirme qu’ils ne carburent pas à l’électorat mais à la contribution, une campagne demande toujours de l’argent, aucunes affiches ne se payent seule, il en va de même pour chaque publicité, et il faut que quelqu’un paye pour tout cela. Une fois que cet aspect a été considéré, il faut trouver qui est prêt à offrir de telle somme d’argent. Il est évident que ce n’est pas le citoyen normal qui va faire rouler la machine électoral, qu’une somme immense y est investi, et qui dit investissement dit corporation et lobby. Pour une importante compagnie il est préférable de soutenir un candidat qui sera en mesure de lui fournir ce qu’elle désire une fois que celui-ci sera au pouvoir, elle n’a que peu d’intérêt à soudoyer un candidat qui s’opposera à ses méthodes. Il existe une variante similaire dans les chaînes de télévision; le système qui est mis en place favorise toujours les partis de droite, l’idéologie dominante structure la réalité qui sera véhiculer à travers la culture. Ainsi, les petits partis n’ont que peu de visibilité, au contraire des grandes compagnies. Il suffit de regarder la présence de QS, elle est marginale en région, n’ayant que peu de fond pour promouvoir ses candidats en ces lieux, et le parti concentre ses efforts sur Montréal. Le même effet est visible dans les médias, QS n’a que très rarement l’occasion de s’exprimer. Et pour tout dire, lorsqu’on parle du parti n’est-ce pas en terme peu flatteur comme le fait Duhaime.
Aux États-Unis la situation est encore pire. Il n’existe aucun parti de gauche, du moins aucun parti qui aurait la moindre chance d’être élu. Dans ce pays il n’existe que deux parti, les républicains et les démocrates, et il suffit qu’une légère différence de pratique et d’idéologie pour prétendre qu’il s’agit là de deux options valable. Pourtant, si nous analysons la manière d’agir des deux partis, la différence que nous aurons trouvé sera si faible qu’on pourrait croire qu’il s’agit simplement de deux ailes d’une même formation, l’une étant plus modéré que l’autre.
Et la situation n’est pas si différente au Québec. Qui peut affirmer que le Parti Libéral est radicalement différent de la CAQ ou du PQ. Les trois partis sont similaire, que cela soit au niveau des discours ou des actes. La grande différence se situe sur une question de fédéralisme et de nationalisme, si bien, que le PQ peut se permettre nombres de trahison sociales sous prétexte que le parti est le représentant de l’indépendance.
Une dernière variable. Les élus ne sont presque jamais les plus appréciés, mais bien ceux qui sont le moins. À titre d’exemple, trois personnes se présentent : la première reçoit 8 votes, la seconde 5, et la troisième 4. Lorsqu’on comptabilise les voix il est évident que la première était celle au pratique les moins appréciés par la population, puisque la majorité de l’électorat a préféré l’un des deux autres candidats. Pourtant ces bien la première personne qui sera élu. N’est-ce pas là une contradiction?
Outre toutes ces considérations, un autre aspect doit être pris en compte : comment prétendre démocratique un système qui une fois au pouvoir n’est pas obliger de consulter la population. Pour rappel, démocratie veut dire pouvoir au peuple. Toutes les questions traitées par le gouvernement ne tiennent jamais de l’avis de la population. Les partis sont élus sur des promesses, ni plus ni moins, et rien ne les obligent à les respecter, si ce n’est une quelconque peur que l’électorat puisse se retourner contre eux. Si les partis obéissait à démocratie mandataire, c’est-à-dire que la population que le parti élu, voire le candidat élu, soit contraint d’obéir à des mandats précis, nous pourrions voir l’éclosion d’une véritable démocratie.
Tout cela tend à démontrer que la chose que vous nommez choix démocratique ou encore élection n’est en rien une représentation du peuple et de ses désirs.
On dirait que pour certains, un choix démocratique n’est valable que s’il confirme leur propres valeurs.
Jean Émard
Je serai sans doute réducteur en pensant que, plus les conditions économiques sont précaires, inéquitables ou perçues comme telles, plus le gouvernement aura tendance à user de tromperie, de force et d’intimidation et s’éloignera d’une démocratie formelle alors que ce devrait être l’opposé.
D’autre part, la démocratie me semble contenir une contradiction : pour que s’affirment les différentes tendances de différentes associations à l’intérieure d’une société démocratique, il faut exercer un certain pouvoir d’influence (comme les lobbys, les médias, etc.). Et qui dit pouvoir, dit contrainte en vue d’un but commun. Or, la contrainte d’une opinion dans un groupe, limite en soi l’affirmation individuelle (nous n’avons pas tous exactement les mêmes valeurs); voilà pourquoi les réunions syndicales durent parfois si longtemps. C’est la même chose pour tout type de regroupement. Il y a toujours un noyau décisionnel et intéressé ($, pouvoir matériel, etc.).
J’ai entendu cette phrase que j’aime bien : la démocratie est la recherche perpétuelle de la démocratie. Une intention démocratique. Un vecteur vertical sur une ligne parallèle.