J’ai lu, pour recension dans Le Libraire, Une éducation bien secondaire, de Diane Boudreau.
Ça m’a donné envie de repoduire ce texte, écrit il y a quelques mois pour la revue des étudiantEs en éducation de l’UQAM.
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Si l’on n’y prend garde, les pédagogues de notre temps se laisseront aller à construire une sorte de scolastique nouvelle, toute hérissée de formules savantes, de divisions subtiles, de termes pédantesques. (…) Défions-nous de l’esprit formaliste qui tend toujours à reprendre ses droits, parce qu’il est plus facile d’aligner des mots sur le papier que d’éveiller des sentiments dans le cœur ou d’enrichir l’esprit de notions positives.
Gabriel Compayré
Il est devenu difficile de parler sereinement de la réforme québécoise de l’éducation et cela pour toutes sortes de raisons : mais je voudrais ici en rappeler deux.
La première est qu’elle est désormais un enjeu extrêmement polémique en éducation. Tant de gens ont investi temps, argent, prestige dans cette aventure, que la remettre en question a été et reste aujourd’hui encore une sorte de sacrilège pouvant coûter cher aux mécréants qui osent blasphémer.
La deuxième est qu’on ne sait jamais ni très bien ni précisément à quoi renvoie l’article défini dans l’expression « la réforme ».
Ce qui est généralement convenu à ce sujet pourra être rappelé par un bref historique.
Retour vers le passé
Issue de la vaste consultation qui s’était tenue au milieu des années l990 sous le nom d’États généraux de l’éducation, la réforme de l’éducation en a modifié de manière substantielle les recommandations, qui allaient dans le sens d’un renforcement du curriculum, au profit, notamment, d’une transformation de la pédagogie mettant l’accent sur des projets plutôt que sur l’instruction directe ; sur le développement de compétences, plutôt que sur la « simple » acquisition de connaissances ; sur diverses formes d’interdisciplinarité et de développement de compétences transversales, plutôt que sur la « simple » maîtrise de disciplines.
S’y ajoutait encore, de manière plus ou moins explicite, ce qu’on appellerait volontiers une philosophie de l’école comme institution, aux accents résolument progressistes, promettant une plus grande égalité des chances et de réussite pour tous, le recul du décrochage scolaire, tout cela étant conjugué à une vision très critique du savoir, de l’éducation et de ses aspects plus traditionnels, le tout trouvant son expression dans un constructivisme qui sera souvent présenté comme étant « radical ».
C’est là le premier sens de «la réforme».
Cette réforme rêvée par ses concepteurs a essuyé de sévères critiques émanant de certains intellectuels, des médias, de parents et de certains enseignantes et enseignants. On lui reprochera ici de prôner des méthodes dont la recherche montre qu’elles sont moins efficaces que d’autres, qu’elle proscrit; de sembler improvisée; de promouvoir des concepts peu clairs, comme celui de compétence transversale; et encore des pratiques confuses, par exemple sur le plan de l’évaluation.
«La» réforme fut donc réformée et, pour ajouter à la confusion, on changea même son nom, pour la rebaptiser Renouveau pédagogique.
Une évaluation trop longtemps négligée
Celle-ci continua d’être implantée, mais sans qu’on se donne le temps de prendre la mesure de cette implantation ou d’en examiner soigneusement les effets. Les quelques recherches effectuées en cours de route étaient cependant loin d’être prometteuses.
Après toutes ces années, on a enfin donné le mandat de procéder à une évaluation systématique des effets de «la» (?) réforme sur les enfants qui l’ont connue.
La recherche est menée par une équipe dirigée par Simon Larose, de l’Université Laval. Ses conclusions préliminaires vont dans le sens des recherches précédentes, mais ont cette fois l’avantage d’être basées sur une étude systématique et portant sur d’assez nombreux sujets pour être crédible[1] : elles montrent, pour le dire en un mot, des résultats négatifs pour le renouveau pédagogique (la réforme?) et ce sur la majorité des variables évaluées.
Faut-il s’en étonner? Je ne le pense pas. De manière très massivement prévalente, les recherches menées en éducation comparant les mérites de différentes approches pédagogiques et les recherches menées en psychologie cognitive convergent, depuis longtemps, et permettaient de prédire que tels seraient les résultats de la réforme rêvée, de la réforme réformée ainsi que de la réforme implantée, à proportion qu’elle s’approcherait des précédentes.
Des leçons à tirer
Prenant acte de ce qui ne peut être appelé autre chose qu’une erreur si on est généreux, un gâchis si on ne l’est pas, je voudrais suggérer ici quatre leçons qu’il me paraît sage d’en tirer.
1. On ne devrait jamais implanter une réforme dont les principes fondateurs et les pratiques préconisées sont à ce point peu appuyés voire contredits par de la recherche crédible et sérieuse.
2. On ne devrait jamais implanter une réforme aussi importante (tant par le nombre de personnes qu’elle touchera que par la substantielle mutation qu’elle fera subir à l’institution qu’elle va affecter), sans, au préalable la tester sérieusement et à petite échelle.
3. Il importe de rehausser la formation des maîtres, aussi bien sur les plans scientifique, philosophique et culturel, que sur celui de la formation disciplinaire des maîtres du secondaire et notamment de sortir de cette déplorable tendance qui a prévalu en éducation à faire de cette formation le vecteur d’une seule vision de l’éducation, celle préconisée par les réformateurs.
4. À l’endroit de maîtres solidement formés, on pourra avoir des exigences élevées et on pourra raisonnablement espérer qu’ils collaboreront au succès d’une réforme Mais ils et elles en seront alors des collaborateurs et les exigences qu’on pourra avoir à leur endroit devront respecter leur autonomie professionnelle.
La réforme en cours, quant à elle, a été perçue par nombre d’enseignants non seulement comme un profond bouleversement, mais aussi comme quelque chose qui s’est imposé à eux et qui limitait fortement leur autonomie professionnelle, en particulier sur les plans des méthodes d’enseignement et de l’évaluation des apprentissages. C’est là une autre des raisons de son échec.
Aucune réforme de l’éducation ne sera possible sans le concours des enseignants traités comme des professionnels dont on respecte l’autonomie et à qui on explique les changements souhaités, qui conviennent de leur désirabilité et à qui on laisse une large marge de manœuvre.
Sur ce plan, il faut bien avouer que les réformateurs ont souvent péché par un manque énorme de pédagogie dans l’exposé de leurs idées.
[1] Une récente présentation Power Point de ces résultats se trouve ici : [https://docs.google.com/file/d/0B9acqT9DN0pjRkEzQ2JGa1NCT1k/edit?pli=1]
Je crois qu’il convient tout de meme important de revenir sur la prémisse de cette réforme à savoir que l’éducation puisse produire des tetes bien faites plutot que des tetes bien pleine. Pour ma part, je considère que l’on ne devrait pas jeter cette orientation avec l’eau du bain.
Tout à fait d’accord cependant avec l’importance d’une expérimentation à plus petite échelle de la ou de les méthodes que l’on envisage utiliser pour faire non pas cette réforme mais cette révolution.
Enfin, un des points majeurs, difficile de départager le poids de cet échec entre les moyens ou méthodes proposés et la FAÇON dont on a fait l’implantation. Une implantation qui ressemblait davantage à une imposition sans réel support et formation aux enseignants pour se l’approprier.
Je pense qu’il faut apprendre à apprendre, aussi. Ça passe par susciter l’intérêt et la curiosité, ça passe par montrer où trouver le savoir quand on le veut, ça passe par montrer des choses auxquelles on aurait pas pensé par soi-même…
@ Jean Vaugeois
Je suis assez d’accord avec vous sur le fait qu’une éducation de qualité devrait avoir comme finalité le développement de l’esprit critique en plus d’entretenir certaines visées secondaires comme l’expressivité, la créativité, la découverte des les arts et du sport.
L’ennui est qu’aller insinuer qu’on doive choisir entre une tête bien faite ou une tête bien pleine est un faux dilemme qui porte en la critique postmoderne du savoir et de la science comme source d’oppression et d’inégalités sociales de laquelle la réforme est justement issue à travers le constructivisme radical. Pire, la pratique comme la science démontrent que c’est justement par la maîtrise d’une discipline qu’on y développe une créativité, que celle-ci n’est pas transversale (au sens de la réforme), c’est-à-dire, par exemple, qu’on ne devient pas créatif en théorèmes mathématiques parce qu’on étudie la poésie.
Au lieu d’opposer candidement la tabula rasa à la plante qu’on qui croît, cherchant le soleil et devinant les nutriments qui lui siéent, il vaudrait mieux, pour en reprendre l’image, imaginer l’enfant au coeur d’un processus d’éducation comme une plante qui croît dans un pot sur une table. Généralement, on méprisera l’école traditionnel, qui ressemblera alors au fantasme caricaturé d’une école où les élèves répètent, copient et transcrivent sans aucune réflexion que la peur du châtiment physique, pour justifier un renversement du sens et des finalités de l’éducation. Cette école traditionnel n’a jamais vraiment existé bien qu’on en retrouve certaines similitudes chez les anciennes colonies françaises en Afrique ou à Haïti…
En un mot: il n’y a pas de tête bien faite sans tête bien pleine. On ne devient pas nuancé avec TVA, peu importe nos talents en peinture.
Pour une lecture complémentaire
http://www.revueargument.ca/article/2006-10-01/369-inquietez-vous-de-vos-inquietudes.html
Tout à fait d’accord avec les propos de M. Vaugeois. Le point de vue que j’exprime ici est celui du parent, qui accompagne ses enfants dans leur parcours depuis dix-sept ans; n’ayant aucune formation en pédagogie, je n’appartiens à aucun clan. Cette « réforme », quelque nom qu’on lui accole, fut malheureusement un projet mort-né. D’emblée, elle a été lancée dans les pattes des enseignants sans que les mécanismes de support qui étaient absolument nécessaires aient été préalablement mis en oeuvre. Comme si on pouvait, sensément, demander aux enseignants de repenser, laissés seuls avec leur classe, les bases mêmes de leur enseignement! Tout en faisant la classe, dans des groupes de plus en plus imposants et exigeants! Pourtant, il y avait des modèles prometteurs: les nombreuses écoles à pédagogie alternative qui se sont développées depuis les trente dernières années au Québec. Mère de deux enfants qui ont eu le grand bonheur d’appartenir (parce qu’il s’agissait d’appartenance, bien plus que de simple fréquentation) à une école vivant la pédagogie Freinet, je peux témoigner des avantages qu’elles en ont retirés (qui dépassent TELLEMENT l’acquisition des connaissances qui figurent au Programme pédagogique). Dans cette école, même avant la réforme, elles ont appris à être, individuellement et socialement; elles ont appris à apprendre, à décortiquer les divers éléments d’un projet pour identifier les étapes et les outils (y compris les connaissances) requis, pour ensuite oeuvrer à se les procurer. Elles ont appris à travailler seules, avec une discipline de travail remarquable, et comme partie d’une équipe, avec une grande éthique. Elles y ont surtout appris le bonheur d’apprendre et d’élargir leur maîtrise sur le monde par le savoir et le savoir-faire. Leur école les a rendues « puissantes » à l’égard de leur propre destin! Mais tout cela avait un prix, très élevé, payé par leurs enseignant-e-s. Leurs « maîtresses d’école » (ainsi qu’elles tenaient à s’appeler) étaient -et sont toujours- des personnes constamment prêtes à réinventer leur enseignement, avec tout le temps et les efforts que cela exige, dans une perspective d’individuation pédagogique. Dans cette école, souvent jusque tard le soir, les locaux bourdonnaient d’activités qui regroupaient enseignants, parents en co-ed et élèves et le stationnement des profs était bien rempli de voitures, même durant le weekend… Dans ce contexte qui était celui de notre école, avec l’analyse réflexive que cela suppose sur sa propre pratique, l’acceptation de sa propre « mise en danger » avec chaque nouveau groupe, chaque nouvel élève, chaque nouveau projet et, surtout, le temps et le travail que chaque nouvelle activité exige, oui!, les principes qui animaient « la réforme » ont prouvé qu’ils donnaient de fort beaux fruits. C’était cependant une manifestation de grande naïveté que de présumer que l’ensemble des enseignant-e-s du Québec allaient se trouver magiquement en mesure d’en assurer seuls la mise en oeuvre par la seule vertu de l’adoption d’un document ministériel…
En étant un peu excessif : « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».
Je rajouterais:
5. Ne jamais lancer de Réforme sans avoir identifié clairement ses fondements épistémologiques.
6. Former les enseignant-es actuels et futurs aux différents courants épistémologiques.
Compétences – comme si un enfant du primaire était compétent en quoi que ce soit.
Mort aux connaissances – comme si on pouvait être compétent sans elles.
Pédagogie constructiviste radicale – et l’épistémologie? du pelletage de nuage?
Paradigme – souvent cité, rarement défini.
Centré sur l’apprenant – il peut y en avoir une trentaine dans une classe!
Gratification instantannée – apprendre est stimulant, mais surtout après.
etc…
Quel fiasco – un réforme par et pour ceux qui n’ont pas aimé l’école!
Je suis enseignante auprès des enfants en difficultés d’apprentissage depuis plus de 15 ans, mère d’un garçon de 6 ans et d’une fille de 5 ans.Je me remet en question concernant mon travail , surtout depuis la rentrée des tableau interractif et des tablettes dans les écoles. Je crois que la musique et le sport aide véritablement l’enfant à se concentrer . Je suis certaine que de passer une autre heure par jour à regarder ce tableau blanc, qui manque totalement de spontanéité comme outil d’enseignement, n’amène pas l’enfant à se concentrer. Au contraire, cet ordinateur géant dénature la relation prof/élève. Mon fils qui est en première année déteste que son enseignante utilise ce tableau blanc pour enseigner le français et els mathématiques et pourtant, cette enseignante de 36 ans l’utilise tous les jours. Je pense sérieusement le changer d’école. Cette méthode ne lui convient pas du tout, Elle l’éteind. Merci pour tous vos propos sur la réforme, ils sont justes. Je peux vous assurer que ‘enseignement Par projet au primaire n’aident pas les enfants à mieux connaître leur grammaire. Ils en sorte plus habiles en expression orale, mais plus faible en écriture.