(Paru dans le dossier Entre la rue et les urnes, de la revue À Bâbord. Vous pouvez appuyer la revue en vous abonnant.]
Il y a, relativement aux élections et à l’idéal démocratique, quatre idées qui me paraissent devoir être connues de tout le monde. Certaines, comme on va le voir, seront sans doute jugées très surprenantes, pour ne pas dire troublantes, par qui en entend parler pour la première fois.
C’est certainement le cas de la première de ces idées qui nous dit que si par démocratie on entend quelque chose comme : «reflétant l’opinion d’un groupe sur une question donnée», alors il faut admettre que, dans bien des cas, ce qui constitue l’opinion du groupe pourra changer considérablement, voire du tout au tout, simplement selon la méthode de vote qu’on choisira pour la déterminer.
La deuxième est que pour des conditions qu’on trouvera les plus faciles à admettre et dans les circonstances les plus usuelles, dès lors qu’on a le choix entre plus de deux options, il n’y a pas de méthode de vote parfaite et infaillible pour déterminer cette opinion d’un groupe.
La troisième est que néanmoins certaines méthodes de vote peuvent, pour de bonnes raisons, être tenues pour préférables à d’autres, à différents points de vue.
La quatrième est qu’il y a malgré tout de fort défendables raisons de chérir un idéal démocratique, d’autant qu’il tient à d’autres dimensions que le seul fait de voter pour prendre une décision sur une question ou une autre.
Nombre des idées que je viens de nommer ont été établies mathématiquement et il est impossible de leur rendre pleinement justice sans le recours à des raisonnements et à des démonstrations parfois complexes. Mais je veux néanmoins donner une idée au moins intuitive des quatre que j’ai évoquées.
Les étonnantes difficultés à identifier un choix collectif
Supposons (j’adapte ici un exemple proposé par Éric Pacuit) que les 21 membres du collectif de la revue aient à décider lequel retenir entre quatre sujets de dossier possibles pour le prochain numéro. Appelons ces sujets A, B, C et D.
Une manière de faire, la plus courante, celle qu’on utilise dans nos élections, est de demander à chacun de donner sa préférence entre les quatre choix. Disons qu’on découvre alors que 8 personnes préfèrent le sujet A, 7 préfèrent le sujet B, 6 le sujet C, personne ne préférant le sujet D. On opte donc pour le sujet A.
Mais si on avait demandé aux gens d’ordonner leurs préférences, on aurait pu obtenir ceci :
3 personnes | 5 personnes | 7 personnes | 6 personnes |
A, B, C, D
|
A, C, B, D | B, D, C, A | C, B, D, A |
On reconnaîtra ici nos 8 personnes (3 + 5) préférant le sujet (A) que nous venons de déclarer le gagnant de cette élection. Mais considérez à présent que 13 personnes considèrent que ce sujet est le pire des quatre et que la décision prise est donc, en ce sens, pour le groupe, la pire de toutes!
Si nous écartons A et que nous écartons aussi D, que personne n’a retenu, nous restons avec deux options : B et C. Eh bien, il y a de bonnes raisons de choisir B et de bonnes raisons de choisir C! Elles ont été avancées dans le cadre d’un bataille épique entre deux grands noms de la théorie des choix sociaux, ce qui est le domaine dont relèvent les débats que je vous présente.
Selon Condorcet (1743-1794), nous devrions choisir le sujet qui, au terme de confrontations un à un de tous les sujets les uns aux autres, battrait tous ses adversaires. Ici, c’est C qui l’emporterait et on dira que c’est le gagnant de Condorcet. L’ennui, c’est qu’il n’y en a pas toujours un.
Selon le contradicteur de Condorcet, appelé Jean-Charles de Borda (1733-1799), nous devrions regarder de plus près comment B se comporte dans ces confrontations un à un en demandant aux votants d’attribuer des points aux choix possibles : 0 à leur dernier choix, 1 à l’avant-dernier, 2 au deuxième choix et 3 à leur premier choix. En ce cas A aurait obtenu 24 points, B 44 points, C 38 points et D 2O points. Selon cette méthode, B serait donc le gagnant.
Cet exemple simple se généralise et montre que, contrairement aux idées reçues, l’agrégation des choix individuels pour en dégager le choix collectif est une affaire bien plus complexe qu’on pourrait le penser.
C’était ma première idée et elle conduit à la deuxième.
Pas de solution infaillible à ce problème
On pourrait en effet penser que si nous cherchons mieux nous trouverons une manière toujours infaillible de déterminer le choix collectif. Condorcet lui-même avait trouvé sur cette question un paradoxe qui porte aujourd’hui son nom et qu’il a tout fait ensuite pour résoudre. Le voici en termes simples
Imaginons qu’un comité de sélection composé de trois personnes A, B, et C, ait à choisir un candidat parmi trois postulants x, y, et z.
Les choix de chacun sont ordonnés et sont les suivants:
VOTANTS |
ORDRE DE PRÉFÉRENCE |
A |
x, y, z |
B |
y, z, x |
C |
z, x, y |
Examinons attentivement ce résultat.
Dans deux cas sur trois, x bat y.
Dans deux cas sur trois, y bat z. En d’autres termes, x bat donc y, qui lui-même bat z.
Or, dans deux cas sur trois également, z bat x!
Le principe de transitivité (qui veut que si l’ensemble x est plus grand que l’ensemble y et que cet ensemble y est plus grand que l’ensemble z, alors nécessairement l’ensemble x est plus grand que l’ensemble z) n’est pas respecté et il y a là quelque chose de profondément troublant.
Or en 1963, un économiste appelé Kenneth Arrow, qui a d’ailleurs reçu pour cela ce qu’on appelle, faussement, le Prix Nobel d’économie, a démontré un résultat qu’on pourra résumer de manière imparfaite mais intuitivement intelligible et correcte comme suit : dès qu’il s’agit pour des gens de choisir entre 3 options ou plus, toutes les méthodes de vote utilisées pour déterminer le choix gagnant qui satisfont quatre banales conditions de rationalité pourrait produire un résultat intransitif — en ce sens qu’un paradoxe comme celui de Condorcet pourra s’y manifester.
Des modèles préférentiels et proportionnels
Est-ce là le fin mot de l’affaire ?
Non, car, troisième idée, il y a tout de même des degrés d’imperfection entre les méthodes possibles de votation — celles que j’ai présentée plus haut et quelques autres, qui ont été proposées.
Parce qu’elles reflètent mieux la diversité des opinions, qu’elles tendent moins à polariser les votes, beaucoup de gens préconisent des méthodes dites préférentielles, c’est-à-dire par lesquelles on peut voter pour plusieurs options, en exprimant, justement, ses préférences. Borda, évoqué plus haut, est ici une importante source d’inspiration.
On préconise aussi, pour des raisons similaires, une représentation proportionnelle, qui permettrait d’assurer une représentation au moins en partie proportionnelle des opinions exprimées.
Diverses méthodes sont proposées pour parvenir à ces fins et je pense, avec bien d’autres, que la vie politique du Québec comme du Canada changerait considérablement par leur adoption et que c’est sans doute en grande partie pour des motifs platement … électoralistes que nos systèmes électoraux ne sont pas réformés en profondeur en ce sens.
Éloge de la démocratie
Mais, et c’est la dernière idée que je voulais proposer, la démocratie ne se réduit certainement pas à des élections, encore moins au fait de voter à intervalles plus ou moins fixes.
L’attachement à la démocratie peut, pour commencer, être un attachement à la vérité en ce sens que, sous certaines conditions, la démocratie est susceptible de faire avancer vers elle, voire d’y conduire. Condorcet a prouvé un célèbre théorème qui le montre bien.
Considérez une pièce de monnaie juste. Si vous la lancez 4 fois, vous pourrez avoir un étonnant résultat, comme par exemple qu’elle tombe quatre fois de suite sur pile. Mais si vous la lancez 10 000 fois, elle tendra vers sa distribution normale : être tombé 5 000 fois sur pile et 5 000 fois sur face.
Si la pièce est cependant fausse, c’est-à-dire biaisée en faveur de, disons, pile, le même raisonnement vaut. La pièce pourra tomber quatre fois de suite sur face, mais si vous la lancez 10 000 fois, elle tendra à tomber plus souvent sur pile. De sorte que si on imagine un groupe de gens même très légèrement plus susceptibles de trouver la bonne réponse entre deux options, plus le nombre de ces gens augmente, plus il est certain qu’ils la trouveront!
Il faut pour cela, bien entendu, que ces personnes soient informés et cherchent sincèrement la vérité et ce qui est mieux pour tous plutôt que pour eux seulement : bref qu’elles soient éduquées, ouvertes au dialogue, curieuses, honnêtes. Et la démocratie, de manière profonde et substantielle devrait justement être cela : des gens menant un type de vie associative par lequel ils partagent des intérêts communs, délibèrent, ont le souci des autres, de leur bien-être, de la justice et ainsi de suite. Tout autant qu’une réforme de notre système électoral, soigner notre démocratie signifiera rétablir de telles conditions de vivre ensemble.
Ce n’est pas une mince tâche, et cela pour de nombreuses raisons. Mais je pense que les extraordinaires inégalités qui prévalent désormais dans nos sociétés y sont pour beaucoup.
Je me demande jusqu’à quel point la notion de préférence permet l’interprétation correcte du résultat d’un vote. Ne faudrait-il pas prendre davantage en compte les motivations des votants eux-mêmes, qui peuvent varier considérablement selon leur perception des options qui leur sont offertes et leur connaissance du fonctionnement du modèle de décision qui est mis à leur disposition (à moins qu’il y ait moyen de modéliser cela aussi!). Si x, y et z sont réputés acceptables par tous, le classement qui en sera fait par A, B et C aura-t-il la même signification que si les choix sont perçus comme mutuellement exclusifs? Dans le premier cas, le classement pourra n’exprimer qu’un degré de préférence qu’on pourrait traiter à la satisfaction générale avec le point de vue de Borda. En revanche, si ces choix sont perçus comme plus ou moins exclusifs, le classement de chacun sera aussi déterminé par des stratégies plus ou moins élaborées et efficaces eu égard aux intentions du votant lui-même. Dans nos sociétés politiques, où les options se posent d’emblée comme mutuellement exclusives, il me semble périlleux de ramener le vote à l’expression simplement numérique d’une préférence, quel que soit le modèle selon lequel on traite ces quantités. Une telle manière nous conduirait par exemple à prendre pour absurde le fait que beaucoup de québécois qui ont voté pour le PQ en 1976 ont aussi voté pour Trudeau au fédéral.
Suis curieux d’entendre les autres là-dessus….
J’aurais aimé que le concept de démocratie par tirage au sort, ancien, mais méconnu, soit au moins mentionné. http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mocratie#D.C3.A9mocratie_par_tirage_au_sort
J’aurais aimé que le concept de démocratie par tirage au sort soit mentionné. Je m’excuse si ce commentaire apparaît deux fois.
Bonne idée.
Je pense qu’un des éléments fondamental de la démocratie est ce que les grecs ( et athéniens plus particulièrement ) auraient appelé l’«esprit de cité» c’est-à-dire un certain sentiment d’appartenance à une organisation politique populairement constituée. Dans cet «esprit de cité», tous, s’entendant comme joints par des principes supérieurs, acceptent qu’une direction contraire à la leur soit entérinée par une majorité à l’assemblée car cette dernière est sous la garde des dieux qui veillent au bien-être de la ville.
La démocratie peut-elle, sans principes supérieurs à l’individu, populairement répandus et favorisant la cohésion sociale, exister?
L’idée selon laquelle un grand nombre de personnes même partiellement informées tendraient à prendre ensemble la «bonne décision» repose sur l’hypothèse qu’une telle décision juste est déjà possible et que l’exercice de la démocratie ne la produit pas tant qu’elle la rend simplement effective. La démocratie viendrait ainsi assurer la garde du vrai un peu comme les grecs acceptaient de se placer sous la garde des dieux (merci monsieur Séguin). Qu’en est-il donc de ce vrai vers lequel on pourrait tendre par l’exercice démocratique? S’agit-il d’une vérité factuelle, d’une sorte d’intérêt général ou de bien commun que les institutions politiques auraient seulement vocation d’incarner? Il faudrait en effet alors donner raison à Condorcet. Dès lors que les chances d’être dans le vrai sont supérieures à 50% pour le citoyen moyen, le problème de la mise en œuvre de ce vrai serait d’abord une question de mathématiciens. Cela ne voulant évidemment pas dire que l’éducation civique soit sans effet réel sur l’évolution sociale et politique. Même si le vrai a déjà été donné comme objectivement déterminable, il faudrait encore aligner l’éducation sur des rails scientifiques si on le peut, mais surtout ménager l’espace de la conversation, attendu qu’une telle vérité ne saurait s’imposer de l’extérieur, qu’elle ne pèsera de tout son poids que dans la mesure où un consensus aura été librement obtenu par le débat, la délibération, puis la décision. La quiétude que procurait autrefois la bonne entente du divin, on l’aura gagnée en se mettant en prise directe et ferme avec le bien, chacun faisant au passage de bonne grâce le sacrifice de sa vision particulière de celui-ci.
Bien. Et c’est peut-être sous cette lumière qu’il faut chercher les clés du royaume. Pourquoi contrarier les espérances. Je reste quant à moi doublement inquiet. D’abord, je ne sais pas si une telle chose que le bien commun est possible autrement que comme résultat mouvant et précaire d’une lutte de forces économiques inconciliables. Je crains que le dépassement des antagonismes de classe, s’il peut être pensé par de généreuses théorisations ne sera pourtant pas un effet de celles-ci ou de leur diffusion, ou de leur mise en œuvre pratique. Je le dis sans fatalisme, sans cynisme, en tout respect pour ceux que de telles craintes animent peut-être aussi et chez qui la détermination lucide doit être saluée comme réellement courageuse.
Ensuite, et cette autre inquiétude n’est peut-être que l’autre face de la précédente, je ne suis pas du tout sûr que nous soyons jamais animés comme personnes par un authentique désir du vrai, mais plutôt par le souci que nous avons chacun de nos affaires, comme barons de l’industrie, comme parent, comme plombier, comme professeur, comme étudiant, comme membre d’un parti politique. L’aspiration au vrai, pourtant proclamée servant souvent, de bonne ou de mauvaise foi, à occulter ces intérêts (dont l’urgence et la légitimité ne sont pas du tout en cause, ici). Cela aussi, je le dis sans fatalisme, sans cynisme, avec une tendresse quelquefois un peu impatiente qu’on voudra bien me passer…
Vous écrivez : « D’abord, je ne sais pas si une telle chose que le bien commun est possible autrement que comme résultat mouvant et précaire d’une lutte de forces économiques inconciliables. […] Ensuite, […] je ne suis pas du tout sûr que nous soyons jamais animés comme personnes par un authentique désir du vrai, mais plutôt par le souci que nous avons chacun de nos affaires … »
Bref, vous doutez que notre nature humaine puisse nous amener à un équilibre social que l’on appellerait le « vrai ». C’est un peu comme si vous vous demandiez si l’humanité est une machine défectueuse en train d’essayer de s’auto programmer? Il est certain que notre nature humaine, ce qu’on pourrait aussi appeler le matériel (« hardware ») humain, doit respecter certaines conditions pour qu’un équilibre social soit possible.
Je ne crois pas que le matériel humain soit fondamentalement incapable de créer et maintenir de longues périodes de paix et de prospérité. Cependant, commencer à discuter de cela en faisant appel à l’histoire, trop souvent réécrite, au lieu de chercher des solutions applicables maintenant n’aide pas. S’il est requis d’améliorer le matériel humain, cela est possible par la méditation, car ça change la physiologie, mais cela nous éloigne du but ici. Le but ici n’est pas de savoir si le matériel humain ou la nature humaine est capable d’exécuter la solution, mais de chercher la solution. Par analogie, on sait que ça prend de l’essence pour faire rouler une voiture, mais cela ne devrait pas nous empêcher de discuter de la voiture qu’on aimerait avoir. La conception de la voiture est analogue au niveau politique. L’essence est analogue à un niveau plus fondamental, le niveau du matériel humain.
Vous expliquez aussi que ce qui compte n’est pas tellement la capacité de voter parmi des choix, mais la capacité de définir ces choix. Beaucoup d’autres ont compris que l’élection d’un gouvernement par le vote n’est pas vraiment le fondement de la démocratie. Ne devrait-on pas alors considérer des solutions de rechange concrètes, telle l’usage d’assemblés tirés au sort? Ne devrait-on pas analyser ces propositions concrètes à leur niveau, sans remettre constamment en question la nature humaine et la capacité que nous avons de nous entendre?
Vous dites : « Le but ici n’est pas de savoir si le matériel humain ou la nature humaine est capable d’exécuter la solution, mais de chercher la solution. » Je suis tout à fait d’accord. Mais pour qu’une solution à un problème quelconque ait quelque intérêt, ne faut-il pas qu’elle soit applicable, bref qu’on en soit « capable » ? Je suis sûr de ne pas bien saisir, ici.
Votre référence à l’idée de nature humaine, que vous nommez aussi matériel humain et hardware me fournit l’occasion de vous donner toute la mesure de mes perplexités. Je ne sais même pas s’il y a une telle chose que la nature humaine indépendamment de la décision que nous prenons de nommer tel l’ensemble de déterminations biologiques, historiques, culturelles… que nous rencontrons ici ou ailleurs, hier ou aujourd’hui et selon l’importance que nous accordons à chacune. Pour moi, l’idée d’homme, c’est comme l’idée d’ordinateur, tiens. Devant le même, l’un verra une machine pour aller sur l’Internet, l’autre une machine de traitement de texte ou un tableur. Un autre, plus futé dira le sourcil froncé que c’est un Dell. Mon tech favori dira que ce n’est rien de tout cela par soi. La nature de l’objet technique est suspendue au projet qui le fait exister et, secondairement, à la chose qu’il est, qu’on a fabriquée à ces fins. Quelle chose sommes-nous? Qui a mis ensemble l’hardware dont vous parlez? Pour quelle fin? Sommes-nous bricolés de manière telle que bien ventilés du caisson, nous soyons enclins et capables, par nature humaine, de produire de longues périodes de paix et de prospérité?
Ou s’il n’y pas de Dieu créateur sur la bienveillance de qui nous pourrions justifier un tel optimisme, pensez-vous que le matériel humain ait en lui comme virtualité de se porter, à bout de bras, à la hauteur de cette idée d’une humanité généreuse et pacifique? C’est bien possible. Après tout, peut-être faut-il ne pas être trop attentif aux retentissants échecs et aux souffrances qu’ont suscité une telle espérance…
@Richard, je ne nie pas la complexité que vous soulevez. La meilleure façon que je peux expliquer ce que je ressens est de redonner mon analogie. De la même manière que je trouve qu’il y a un intérêt à regarder le problème de la conception d’une voiture à son niveau, lorsqu’on regarde un système pour réaliser la démocratie, il y a un intérêt à ne pas se pencher sur des questions trop fondamentales. Comme dans le cas de la voiture, cela ne veut pas dire que je nie l’intérêt ou l’existence de questions plus abstraites ou générales telles l’unification de la théorie quantique des champs et de la relativité générale, par exemple.
Normand a au départ analysé différents systèmes de vote. Les mathématiques requises n’y sont peut-être pas toujours simples, mais il a été question de systèmes bien précis pour réaliser la démocratie. Les systèmes basés sur des assemblés tirées au sort sont d’autres exemples de systèmes précis pour réaliser la démocratie. Mon attention était à ce niveau.
Je n’avais pas réalisé qu’il avait ouvert la porte a une discussion plus large dans la dernière partie de son texte et que cela nous a amené à parler de Gödel, de Dieu,etc. Cet aspect m’a échappé. Je dois m’excuser si j’ai paru contrôler maladroitement la discussion ou si je n’ai pas démontré assez d’appréciation pour ces excursions à des niveaux plus généraux et abstraits. La réalité est que ces sujets me passionnent. J’ai un doctorat en informatique théorique. Simplement, je me suis senti comme si je travaillais sur la conception d’une voiture et qu’on s’est mis soudainement à me parler de la théorie quantique des champs.
Stimulant comme tout cette réflexion – et il faut que j’y réfléchisse. J’espère que d’autres réagiront…
@R. Desjardins
« je ne suis pas du tout sûr que nous soyons jamais animés comme personnes par un authentique désir du vrai, mais plutôt par le souci que nous avons chacun de nos affaires »
Qu’est-ce que l’authentique vrai de toute façon ? Existe-t-il vraiment ? Pour ma part, je dirais que le vrai est toujours relatif. Même, les mathématiques qui pourtant sont réputées être la vérité dans sa plus pure expression n’y échappent pas. Les vérités que l’on peut tirer des mathématiques n’ont de sens que si l’on accepte un certain nombre d’axiomes. Autrement dit, une vérité mathématique n’a de sens qu’en rapport à un contexte que l’on doit définir.
C’est bien là le dénouement tragique : on doit d’abord s’entendre sur une définition du vrai; mais pour que notre définition soit vraie, on doit s’entendre sur une définition de la définition du vrai. Et on entre dans une boucle récursive, où l’on peut creuser comme cela à l’infini, sans jamais avoir terminé, sans jamais avoir atteint le « vrai ». La vérité est un problème formellement indécidable.
Alors nous sommes obligés d’accepter par convention un certain nombre de prémisses, mais personne n’est entièrement d’accord sur le choix des prémisses. Elles sont toutes autant discutables ou justifiables les unes que les autres, cela dépend simplement du point de vue.
Et c’est là que les différents conflits commencent. Certains vous dirons que le soucis de nos affaires est le vrai. D’autres diront que ce sont les dogmes religieux. D’autres dirons que c’est une règle morale quelconque. D’autres diront que c’est la nature. Ni l’un ni l’autre n’a vraiment plus raison que l’autre, puisqu’il n’existe aucune méthode formelle et absolue qui démontre la supériorité d’une définition ou d’une autre.
Les théorèmes de Gödel ne sont pas les raisons pour lesquelles on ne s’entend pas sur une manière de fonctionner. Il y a plein de gens qui se sont entendus sur une manière de fonctionner malgré les théorèmes de Gödel. Cela est donc aussi possible au niveau d’une population entière.
@Dominic Mayers
Oui il est possible de s’entendre (c’est difficile, pas impossible), mais pas au sens d’une vérité absolue, c’est ce que je voulais dire, car cette vérité est inateignable. On doit donc choisir des critères sur lesquels on peut être d’accord. Mais comment se base-t-on pour définir ces critères, comment décide-t-on ? On se rallie au groupe ? On se fie au senti de l’individu ? On se rallie à la religion ?
Comment on fait ? On discute de la question qui nous préoccupe, pas des théorèmes de Gödel ! Que penses-tu de l’idée des assemblés tirées au sort? Ça peut commencer comme cela. Je sais très bien que ça prends plein de bonnes volontés pour que n’importe quelle solution fonctionne. La bonne volonté c’est comme de l’essence que l’on met dans la voiture. On sait que ça en prend. D’accord. On peux-tu quand même décider de la voiture qu’on veut?
@Dominic Mayers
Ok, je pense que nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde: vous allez dans une direction et je vais dans une autre. J’étais plutôt dans la veine métaphysique de la vérité. Je conviens que c’est plutôt abstrait et que ça n’est pas pragmatique, mais je trouvais quand même intéressant d’avoir la réflexion et de la partager. Je ne suis pas contre les tirages au sort.
Je ne trouve pas la métaphore de la voiture adéquate: trop matérielle, trop mécanique, trop simple, grise. Ça ne reflète pas la complexité des relations humaines. Je préfèrerais que vous utilisiez un terme comme organisme, écosystème ou galaxie, qui seraient plus poétique et riches de significations. Voir la société humaine comme un écosystème, un organisme ou une galaxie suggère qu’il y a des vérités qui échappent à l’être humain et nous encourage à rester humbles devant sa complexité.
Le but de la métaphore était de faire ressortir notre responsabilité. Nous ne sommes pas des observateurs avec des télescopes pour scruter les relations humaines dans un espace qui nous échappe. Même si certains aspects nous échappent, avec les problèmes que nous avons, les dettes gouvernementales, les politiques d’austérités, etc. comment ne pas mettre son attention là où on peut faire quelque chose?
@Nicolas. Au risque d’avoir l’air de chipoter sur les mots, je n’ai pas parlé de vrai authentique, mais de désir authentique du vrai. C’est que je suis déjà d’accord avec les réserves qu’on peut adresser à l’idée traditionnelle de la vérité comme adequatio, même dans la considération du monde physique et a fortiori dans un ordre de choses où les contours de la réalité sont plus manifestement déterminés par l’intervention des agents.
Par ailleurs, s’il était bien question dans le texte de Normand de choix collectif, il concluait en parlant d’attachement à la vérité. La vérité dans les choses humaines ne se rencontre pas comme dans l’étude des pierres ou des étoiles, hors de nous, résistante à nos rêves et à nos désirs. Elle est une oeuvre à faire. Bien faite, elle serait oeuvre commune. Autrement, ben on aura encore de vrais tyrans, de vrais voleurs, de vrais illuminés…
À ce que j’entends ici, les mathématiques peuvent nous aider à rendre manifestes nos finalités collectives et à les réaliser. J’avoue mon ignorance en cette matière, qui excusera peut-être la candeur de cette question: au-delà de leur habileté à décrire des processus complexes et même à nous aider à les modifier dans leur mécanique, ont-elles vraiment le pouvoir de faire avancer les débats sociaux par une sorte d’ingénierie de la vie démocratique?
@Richard Desjardins
« Au-delà de leur habileté à décrire des processus complexes et même à nous aider à les modifier dans leur mécanique, ont-elles vraiment le pouvoir de faire avancer les débats sociaux par une sorte d’ingénierie de la vie démocratique? »
Bonne question. Il n’y a pas de civilisation qui me vient à l’esprit qui n’ait poussé l’usage des mathématiques jusqu’à s’en servir systématiquement pour faire avancer les débats sociaux, sauf peut-être la nôtre de manière un peu timide. Ça serait intéressant comme approche en tout cas.
D’ailleurs vous venez de me rappeler une conférence grand public à l’UDeM demain de Paul Embrechts, un professeur de mathématiques. Ouf !, j’ai failli oublier. C’est dans le cadre du 24 Heures de sciences, le titre est « Des ponts de Königsberg à la chute de Wall Street » et le résumé est le suivant :
« Notre planète, la Terre, fait non seulement face à de nombreux défis sur le plan environnemental, mais elle est également menacée par la complexité des infrastructures sociales conçues par l’homme. Le meilleur exemple en est la croissance fulgurante, tant en volume qu’en complexité, des produits financiers, des marchés et des institutions. Je vais discuter des défis que cela nous pose en utilisant 3 exemples […] »
Si les mathématiques peuvent nous aider à mieux comprendre la complexité des infrastructures sociales alors elles peuvent nous aider à les faire évoluer ! Mais bon, je pense que je dérape encore un peu. J’espère que ça n’agace pas. Il faut me pardonner, j’adore les mathématiques !
@Richard Desjardins et @Nicolas, Je trouve très intéressant que Paul Embrechts va parler de Wall Street. Je pense que les mathématiques aident à décrire la réalité économique et donc sont utiles dans un débat politique. Pour ce qui est de l’impact des théorèmes de Gödel, même à l’intérieure des mathématiques elle mêmes, j’ai trouvé ce vidéo intéressant : http://www.canal-u.tv/video/universite_bordeaux_segalen_dcam/les_theoremes_de_godel_fin_d_un_espoir.3954
Je repense au théorème de Condorcet… à ce que j’ai lu, il aurait aussi prouvé que si le citoyen moyen a moins de 50% de chance de prendre la « bonne » décision, la probabilité que l’ensemble de la population se trompe est à 100%. En généralisant l’idée, on pourrait dire que dès que pile a été rendu tant soit peu plus probable, qu’il soit vrai, faux ou ce qu’on voudra, il devient tendance lourde. Pour qu’une élection soit gagnable, il pourrait suffire qu’un détail, même insignifiant, infléchisse, même très légèrement, le jugement des citoyens. Exemple de détail insignifiant: Justin Trudeau. On dirait que ça va marcher!
Parlant de Justin Trudeau, je suis complètement abasourdi de voir à quel point son discours peut être vide (jusqu’ici, c’est mon champion du « parler en ne disant rien ») et qu’il réussisse malgré tout à rallier (apparemment) un nombre important de gens. Bravo l’équipe de marketing. Encore un exemple flagrant de la prémisse erronée selon laquelle l’être humain est un être rationnel.
Une partie des gens sont tannés des discours négatifs, d’austérité et qu’ils doivent toujours fournir l’effort qui au finale profitent aux autres, les « BS » pour certains, les nantis pour les uns et les corporations pour les autres!
Un discours d’espoir les touchent donc….
Même le milieu financier se tanne de ses discours négatifs, ils ne veulent pas un gouvernement qui va réveiller, dans le mauvais sens, les gens comme le gouvernement Harper mais un gouvernement qui va les endormir!
«Exemple de détail insignifiant: Justin Trudeau. On dirait que ça va marcher!»
🙂
@Dominic Mayers
Bonjour. La participation de tout le monde est importante dans ce type de débat. J’ai cependant une clarification à vous demander. Quand vous dites : « on », comme dans « Comment « on » fait » ou « On discute de la question »…De qui parlez-vous ? L’indétermination du « on » donne une vague impression que vous remettez le pouvoir à d’autres ou pensez que tout s’arrange de lui-même ou bien le pouvoir c’est « vous » ? Merci de clarifier.
@tous
Il est vrai que lire et saisir le théorème de Gödel nécessite un effort, mais cela aide à comprendre l’enjeu. Pour ma part, le théorème de Condorcet m’est apparu incomplet. J’ai cherché. Le paradoxe de Jules Richard – apparenté à celui de Russell – m’a semblé plus clair pour cerner le « choix collectif ».
J’ai copié/collé l’énoncé et l’ai adapté à la problématique qui nous concerne : Si l’on numérote tous les votes réels définissables en un nombre fini de votes, alors on peut construire, en utilisant l’argument de la diagonale de Cantor un nombre réel hors de cette liste. Les votes x, y ou z non en tête de liste et étant les plus populaires créent des segments emboîtés. Ces segments emboîtés s’additionnent à l’ensemble fermé V, donc l’ensemble V n’est plus fini. Pourtant ce nombre a été défini en un nombre fini de votes.
Voici quelques détails sur la construction :
1.Les nombres réels définissables avec un nombre fini de votes forment, de ce fait même, un ensemble dénombrable, soit V.
2.On peut construire un réel N qui n’est pas dans V par le procédé de diagonalisation suivant : on numérote les éléments de V, puis, on choisit chaque chiffre de N de sorte que le n-ième chiffre de N soit différent du n-ième chiffre du n-ième élément, et que ce ne soit pas 9 (pour éviter la double écriture des décimaux). Ainsi, pour chaque n, l’élément numéro n diffère de N pour au moins un chiffre, donc n diffère bien de N (tous les réels, en dehors des décimaux, ont une écriture décimale unique).
3.Cependant, en décrivant ce procédé de construction, on a défini N en un nombre fini de votes : c’est une contradiction.
Je m’imagine plutôt l’ensemble « choix collectif » par un cercle pointillé (un disque ouvert en mathématique). À l’opposé, s’il s’agissait d’un ensemble fermé, disons l’ensemble V, ce serait un nombre fini de votes des électeurs aboutissant à un choix collectif pourtant parmi d’autres choix collectifs possible et pouvant mener à une contradiction tel que démontré plus haut. La manifestation de la démocratie me semble être plus dynamique en ce sens que le choix collectif revient au fond à l’individu d’abord, et de préférence connaissant les enjeux et de préférence impliqué socialement (éduquées, ouvertes au dialogue, curieuses, honnêtes). À l’inverse, si c’était le choix collectif qui dicterait les enjeux, nous serions tous pris à voter pour un même type de système, entre plus-de-la-même-chose : (Justin Trudeau, Stephen Harper, Thomas Mulcair) par exemple; ce serait prendre l’effet pour la cause : ce n’est pas parce que j’ai le nez est bouché que j’ai le rhume; j’ai le rhume et mon nez peut être bouché à cause du rhume. Par contre, il s’agit en fait d’allergie. Cela semble cabotin mais plus sérieusement le choix collectif ne me semble pas une manifestation définitive de la démocratie. La démocratie est effective du moment que les choix sont possibles par rapport à un ensemble dynamique, quitte à être parfois contradictoire ou paradoxale. Et là réside tout l’enthousiasme relevant du défi !
Maintenant, le pouvoir exécutif existe et fait partie de la donne; il est déterminé par l’issue d’une élection. Je définis le pouvoir comme l’interaction de deux informations (ou plus) inégales. Le pouvoir se permet les contradictions. Je peux définir A=A’ ou A=A comme vrai sans que personne ne me mette en prison tout en sachant que cela peut être absurde dans un système logique et conséquent dans un autre. Il faut espérer un pouvoir éclairer et non-obstiné de la part de la classe dirigeant autant que des citoyens – nous ne sommes plus à la garderie – car ils ne sont pas séparés mais en vases communiquant : l’un ne peut pas aller sans l’autre.
Les données du vote ne peuvent pas être réduites à une simple comptabilisation sur deux plans : préférence et proportion. Les variétés de modèles seraient toujours subsumés par un méta-ensemble susceptible de contradiction (paradoxes de Russell et de Richard), et ce, peu importe le parti au pouvoir. La variable de la fausse monnaie de Condorcet peut survenir en tout temps. La démocratie devient l’hypothèse à renouveler sans cesse pour que, de façon dynamique, nous puissions toujours sortir (créer plus grand) avec un nouvel ensemble disons plutôt un ensemble renouvellé, en ajustant nos connaissances sur la base des variables soutenues par la psychologie de chacun, la capacité à réagir ou non devant une règle, une loi, le dialogue avec l’autorité au pouvoir et l’échange d’information entre les citoyens et le pouvoir (honnêteté du processus). Cela me semble se rapprocher de la sélection naturelle, dans son acception la plus honnête et non au profit du meilleur comme certains l’entendent parfois. J’ai emprunté la conjecture de Poincarré dans ce paragraphe.
J’aime votre démonstration à l’aide de la diagonale de Cantor. Cela démontre qu’aussi grand le nombre de combinaisons de choix possibles soit dans notre ensemble fini, il y aura toujours des combinaisons de choix manquantes. Je m’étais un peu égaré sur le concept de vérité, mais vous avez remarquablement utilisé ma référence à Godël pour nous ramener sur le sujet original du texte : le choix collectif.
« Les variétés de modèles seraient toujours subsumés par un méta-ensemble susceptible de contradiction (paradoxes de Russell et de Richard), et ce, peu importe le parti au pouvoir. »
Quand la topologie s’incruste dans la philosophie, j’adore ! Cette branche des mathématiques me fascine même si (ou peut-être parce que) je n’en saisit pas toutes les subtilités. J’essaie de faire les liens: les variétés de modèles de pouvoir s’apparentent aux variétés de solides sans trous à n dimensions et le méta-ensemble serait l’analogue d’une sphère en n dimensions ?
La description de démocratie que vous faites en tant qu’hypothèse à renouveler me plait beaucoup et il me semble que c’est là que notre modèle actuel semble faire défaut. Certaines personnes ont présenté notre modèle comme une fin en soit, l’aboutissement logique de l’évolution (le capitalisme est la fin de l’histoire) et utilisent cet argument pour justifier une sorte d’immobilisme. Je ne suis pas du tout d’accord avec cette vision.
Il y a peut-être un peu de psychologie qui explique cela. Une forme de réaction psychologique collective, analogue à l’aversion à la perte, et le sentiment d’euphorie ressenti après avoir résolu un problème, nous poussent à stagner collectivement dans un état où nous avons l’impression d’avoir fait au moins quelques gains. Ce sentiment nous procurerait l’illusion d’avoir atteint la fin de l’histoire.
Les « on » de ma réponse étaient au même niveau que les « on » de la question posée, La porté de ma réponse était la même que celle de la question: « On se rallie au groupe ? », « On se fie au senti de l’individu ? », « On se rallie à la religion ? » La question ne demandait pas si dans notre discussion ici on se rallie à la religion. La réponse avait la même porté. J’ai écrit « on ne discute pas de Gödel. » Je présumais en cela que les discussions politiques ne porteraient pas sur les théorèmes de Gödel et non que les théorèmes de Gödel n’avaient aucune implication sur les enjeux politiques. Cela dit, je vais regarder de plus près ce que vous avez expliqué. On sait jamais, peut-être que le débat devrait tourner autour des théorèmes de Gödel aux prochaines élections. 😉
@Dominic Mayers
« On sait jamais, peut-être que le débat devrait tourner autour des théorèmes de Gödel aux prochaines élections. 😉 »
Héhé, un politicien qui parle du théorème de Gödel, ce serait une première ! Par contre, le pauvre, je doute qu’il serait élu…
@Nicolas, et pourtant un politicien pourrait gagner de la crédibilité à discuter des différents systèmes de vote et, en général, des différents systèmes démocratiques telles les assemblés tirées au sort.
@Nicolas
Merci.
« …et utilisent cet argument pour justifier une sorte d’immobilisme. ». Que nous pourrions qualifier de statu quo.
« Il y a peut-être un peu de psychologie qui explique cela. ». Cette hypothèse peut définitivement faire l’objet d’un mémoire et d’une thèse totalisant plusieurs volumes.
La psychologie ne m’apparaît pas une science à part ou catégoriquement séparée ni du milieu qu’on nomme acquis ni de la génétique, l’inné. Jusqu’à maintenant, la science ne m’a pas convaincu d’adhérer ni à la sociobiologie ni à la génétique pure (le génotype expliquant le phénotype) pour démontrer que certains sont au pouvoir et d’autres pas.
Je n’ai que peu de connaissances en philosophie mais j’aimerais partager cette petite réflexion qui m’agace.
Le fait est que, selon moi, le concept de démocratie possède le défaut intrinsèque de n’être jamais applicable par le fait qu’en réalité ( pardonnez mon latin ), il se révélera toujours sous la forme d’une majoricratie. Si l’on entend par « démocratie » la jonction de « peuple » et « pouvoir », le résultat que nous observons est la jonction de « majorité » et « pouvoir ».
Ce que cela entraine et que je trouve fâcheux ( pardonnez mon utopisme ), c’est que le pouvoir concret se trouve toujours écarté d’une certaine partie de la population. Hors, en tant qu’homme, ce que je veux c’est de posséder le pouvoir – d’avoir les moyens de travailler à mes fins. Certes, je trouve important que l’on me reconnaisse le droit d’accès à ce pouvoir, mais je trouve la démocratie insatisfaisante sur ce point: elle ne garantit pas nécessairement le pouvoir d’oeuvrer à son bonheur. Est-ce vain d’espérer une manière de satisfaire le besoin de moyens de tous et en même temps?
Parce qu’au fond, la démocratie implique une relation d’autorité entre majorité et minorité…
Peut-être que vous êtes un vrai démocrate à la Étienne Chouard http://en.wikipedia.org/wiki/Étienne_Chouard, mais que vous ne le réalisez pas ! Imaginez que vous vivez dans une société miniature de 100 habitants et qu’ainsi une discussion de fond de personne à personne est pensable. Vous expliquez exactement ce que vous ressentez et il se trouve que la plupart des habitants partagent votre sentiment. Après quelques rencontres tout le monde s’entend pour protéger les libertés individuelles. Il est bien compris que quiconque tenterait d’établir des lois qui brimeraient la liberté individuelle, élimineraient le droit aux richesses naturelles, manipuleraient les moyens de communications, etc. ne serait pas le bienvenu. Voilà l’origine de la démocratie selon Étienne Chouard. En fait, selon Étienne, c’est la démocratie telle que définie par les Athéniens. Il explique que le premier but de la démocratie est d’affaiblir, c’est exactement le terme qu’il utilise, affaiblir ceux qui ont le pouvoir.
Il faut aussi comprendre ici que le problème de la majorité qui brime la liberté individuelle est un problème intéressant et bien réel, mais qu’il est en pratique négligeable en comparaison avec un problème beaucoup plus important : celui d’une minorité qui vole le pouvoir à la majorité. Ce que je comprends de Étienne Chouard est que les Athéniens avaient bien vu ce problème et considéraient qu’un système d’élection telle que celui que nous avons de nos jours n’est pas de la démocratie, mais plutôt une manière de permettre à une minorité de voler le pouvoir à la majorité.
J’étais heureux d’entendre M. Baillargeon nous parler de démocratie d’autant plus qu’il rejoint quelque chose qui me tient à coeur.
Sur ma carte d’affaire apparaît un dicton ou une pensée que je change aux deux ans.
L’an passé, c’était : «Le privilège de voter implique l’obligation de s’informer».
Cette pensée est de mon cru mais je cite aussi les grands penseurs.
Cette année c’est Ghandi.
Pierre Raymond, Montréal
Content de voir qu’on se rejoint là-dessus, cher monsieur.