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Prévert contre l’homophobie

On trouve dans Paroles, le célébrissime recueil de Prévert, un texte qui pratique cette écriture cinégraphique (i.e. par images successives, comme au cinéma) qu’il affectionnait tant. C’est un texte magnifique et bouleversant, intitulé Déjeuner du matin:

Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuillère
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s’est levé
Il a mis
Son chapeau sur sa tête
Il a mis son manteau de pluie
Parce qu’il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j’ai pris
Ma tête dans ma main
Et j’ai pleuré

 

Or, en 1962, un prêtre appelé Viénot, le reprend, sans autorisation,  dans le bulletin de sa paroisse (Saint-Roch, à Paris), au grand dam de Prévert, athée et anticlérical notoire. Le prêtre a été jusqu’à donner un nouveau titre au texte, devenu: Mon mari!

Prévert lui écrit donc la savoureuse lettre suivante, qui paraîtra dans Fatras.

Monsieur,

J’aimerais savoir de quel droit divin ou autre vous vous êtes permis, dans votre bulletin paroissial, Le Messsager, de reproduire en changeant le titre – afin de donner le change – un texte signé de moi et paru ailleurs depuis fort longtemps.

En administrant ainsi, typographiquement, le sacrement du mariage à deux êtres d’encre, de papier et – comment pourriez-vous le savoir ? – peut-être en même temps de présence réelle, de chair et de sang, n’avez-vous pas agi avec une inconcevable légèreté ?

Qui vous dit que vous n’avez pas imprudemment travesti deux innocents et charmants homosexuels en victimes du devoir conjugal ?

Si vous vouliez vous donner la peine de relire attentivement ce texte, vous vous trouveriez dans l’obligation de reconnaître que rien ne vous permet de rejeter cette hasardeuse hypothèse.