On doit à James Rachels un argument connu dans les milieux concernés par l’euthanasie (éthique, droit, médecine) et il m’a semblé intéressant de le rappeler en ces heures où le débat sur cette question fait rage au Québec.
Rachels part de cette distinction qu’on fait couramment, et que d’aucuns jugent cruciale, entre euthanasie active et euthanasie passive.
Il y a euthanasie active quand une personne — typiquement ce sera un ou une professionnelle de la santé, notamment un médecin : mais ce peut aussi être toute autre personne — pose délibérément un geste qui a pour conséquence la mort d’une autre personne, le patient.
Il y a euthanasie passive quand un patient meurt du fait qu’une personne, — typiquement, ici encore, ce sera un ou une professionnelle de la santé, notamment un médecin: mais ce peut aussi être toute autre personne — ne fait pas ce qui, si cela avait été fait, aurait maintenu en vie le patient. (Il peut s’agir de commencer un traitement ou de le poursuivre)
Cette distinction est souvent tenue pour très importante sur le plan moral : l’euthanasie active serait en effet moralement condamnable, même quand elle est pratiquée à la demande du patient, tandis que l’euthanasie passive serait moralement acceptable. Cette distinction entre euthanasie active et euthanasie passive est également une des sources de certaines législations sur l’euthanasie qui tiennent la première pour illégale, mais pas la seconde. C’est ainsi qu’on condamnerait, selon ces législations, un médecin qui, même par compassion, pose un geste qui tue son patient; mais on ne condamnerait pas un médecin qui ne pose pas un geste qui eut maintenu son patient en vie — ce qui a causé son décès.
C’est cette distinction que Rachels conteste avec son célèbre argument exposé dans un article de 1975. Le voici:
Smith touchera un important héritage si son cousin de six ans devait mourir. Un soir, Smith entre dans la salle de bains où son jeune cousin prend son bain, le noie et fait en sorte que la chose semble accidentelle.
Jones, lui aussi, touchera un important héritage si son cousin de six ans devait mourir. Un soir, il entre dans la salle de bains où ce jeune cousin prend son bain. Il a l’intention de le noyer. Mais en pénétrant dans la pièce il voit j’enfant faire une chute, se heurter la tête contre le bain et retomber le visage dans l’eau, évanoui. L’enfant se noie sous le regard de Jones, qui ne fait rien pour l’empêcher.
C’est la clarté et l’importance sur le plan éthique de la distinction entre les deux types d’euthanasie que Rachels conteste ici en soutenant qu’il est des cas où tuer n’est pas moralement plus condamnable que laisser mourir. Si c’est bien le cas, si l’euthanasie passive n’est pas moralement si éloignée de l’euthanasie active, ne devrait-on pas, si on permet l’une, permettre aussi l’autre? (Notons que Rachels ne dit pas que l’on devrait permettre l’une ou l’autre.)
Qu’en pensez-vous?
L’article discuté ici est: RACHELS, J.«Active and Passive Euthanasia», New England Journal of Medecine, 292, pp, 78-80, 1975. On peut le lire ici.
Excellente question qui démontre l’importancer de juger selon chaque cas autant que faire se peut…
Très proche du sujet qui a inspiré »La chute » d’Albert Camus. Quel place pour le sentiment humain ? L’exercice du libre arbitre ou ce quelque chose qui nous sépare de la bête ? La réponse est peut-être dans ce qui nous habite après l’acte, mais encore faut-il se poser par rapport à cet après.
Le mourir humain dépasse le mourir animal.
Cet argument de Rachels montre à l’évidence que les deux gestes de ces cousins vénaux sont aussi condamnables l’un que l’autre. Pourtant, en ce qui concerne l’euthanasie, je perçois une faiblesse argumentative. Ici, on parle d’accident ou d’accident provoqué sur un sujet sain et jeune de surcroît. Or, le débat sur l’euthanasie touche bien davantage je crois (bien que non exclusivement) le sujet âgé et/ou malade. L’euthanasie me semble répondre plutôt à la volonté du malade d’abréger une vie devenue insupportable pour diverses raisons (dignité morale, souffrance, espoir ou goût de vivre totalement épuisé, etc.). Enfin, on semble assez loin de l’image du petiot qui joue dans sa baignoire avec son canard jaune, non ?
Au delà de ces questions, il en subsiste une assez essentielle … Vivre, oui (et je suis la première à aimer la vie passionnément, et à m’y ébaudir avec délice) mais à n’importe quel prix ???
Rien n’est simple….
Si Smith, Jones ou Tremblay entre dans la salle de bain et voit leur père de 60 ans les veines ouvertes, étendu dans le bain, sachant qu’il touchera un héritage à sa mort… tout en sachant que le père a un cancer incurable et qui lui reste moins d’un mois a vivre dans la souffrance, que fera-t-il ???
On ne parle pas d’enfant, ni de personne en santé….
Monsieur Baillargeon,
C’est une réflexion que je proposerai à mes élèves.
Merci de rappeler ce débat crucial.
FR
Monsieur Baillargeon ( et tous les autres ),
Il me semble que l’enjeux moral soulevé par la question de l’euthanasie se rapporte, en réalité, à la conception que nous avons du suicide.
La question à se poser avant toute chose me parait être celle-ci : reconnait-on à l’homme le suicide?
Qu’en pensez-vous?